Il est des choses qui survivent à la dictature du temps et aux effets intempestifs de modes. Au Sénégal, le ngoyane en fait partie. Dans une époque caractérisée par un métissage profond des genres musicaux et un croisement sans précédent des musiques du monde, le ngoyane, dont les origines remontent au 19ème siècle, a su garder sa pureté et tout son charme. La doyenne, Marième Gueye, nous en parle.Par Laïty NDIAYE

– Encore considérée comme une musique plutôt noble, voire élitiste, et écoutée par un public connaisseur, le ngoyane est joué à l’occasion d’événements comme les soirées de gala, les rencontres culturelles ou les mariages et meetings. Résolument plus conservateur, il se distingue de genres comme le mbalax ou le ndaga, qui revêtent un aspect plus populaire et urbain. La musique traditionnelle ngoyane trouve ses origines au Saloum, plus précisément à Médina Sabakh, où elle aurait vu le jour à la fin du 18ème siècle. Mais aujourd’hui, le Ngoyane est porté par de nouvelles voix. A côté de la chanteuse Khady Mboup ou des anciennes, comme Say Bassi Dieng ou Saly Mbaye, qui se sont taillé une place sur la scène musicale sénégalaise, des voix moins connues continuent de porter cette variété musicale, dont la particularité est de s’appuyer sur le rythme des calebasses, que des mains agiles font chanter. Marième Guèye est aujourd’hui l’une de ces voix, porte-drapeau de ce genre musical. Installée dans le berceau du ngoyane à Madina Sabakh, elle se souvient encore très bien de ses débuts. «Je dois tout à mon mari, Ngoumbo Ndiaye, et sa mère, Adji Seynabou Dieng. Originaire de Nioro, après mon mariage, j’ai rejoint la troupe de Médina Sabakh, fondée par mon époux et sa mère, et c’est à partir de là que ma carrière a démarré», raconte-t-elle. Si aujourd’hui le ngoyane s’est taillé une belle place dans l’espace musicale sénégalais, c’est aussi par le talent des prédécesseurs, dont Seynabou Dieng. «En réalité, nous les acteurs du  Ngoyane, nous devons beaucoup à la pionnière Adji Seynabou Dieng, qui a popularisé le genre à travers le Sénégal. Son mari était également artiste de ngoyane et jouissait d’un franc succès, jusqu’à l’international», témoigne Marième Gueye. Originaire de Nioro, l’artiste est aujourd’hui un membre à part entière de la famille du ngoyane de Medina Sabakh.

A la gloire des familles royales 
A l’origine, quand ils revenaient de batailles victorieuses dans le Saloum, les rois rassemblaient, dans la nuit, les griots pour chanter au rythme du xalam et des calebasses. C’était une façon de célébrer les campagnes victorieuses. Les Xawaré, comme on les appelle, ou veillée au rythme de ngoyane, étaient organisés por les hôtes royaux, mais aussi pour chanter la gloire des familles royales et de la noblesse. Depuis, la pratique est restée et s’est transmise dans tout le Saloum (Ndoffane, Nioro, Ndoucoumane…), avant de s’étendre sur tout le Sénégal.  «Autrefois, dans notre quartier Ngueweul, notre troupe se produisait chaque samedi. Beaucoup de jeunes ont été initiés ainsi. On peut considérer que c’était une école et ça l’est encore aujourd’hui», confie la doyenne Marième Guèye.

Une  tradition immuable
Les royaumes n’existent plus. Ils ont fait la place à une autre réalité. Et le champ thématique du ngoyane a aussi subi cette évolution. Au-delà de sa vocation ludique et folklorique d’antan, bon nombre d’événements au Sénégal, aujourd’hui, se déroulent sur fond de ngoyane, comme les mariages, baptêmes, etc. Ces chansons, restées fidèles à leur part d’identité et leur structure, se sont quand même adaptées à de nouvelles cibles. Elles vont désormais servir aux griots, à encourager et féliciter dans les moments difficiles ou formateurs d’un individu ou d’un groupe, ou servir à glorifier mécènes, bienfaiteurs ou nobles.
«Aujourd’hui, notre musique traditionnelle est si appréciée que même les grands musiciens s’en inspirent. Ce qui fait que ce n’est plus seulement l’apanage des griots, même les nobles nous ont rejoints. Nos sujets se sont aussi diversifiés», poursuit-elle. Toutefois, selon la chanteuse, cette augmentation du nombre de musiciens n’est pas un obstacle, ni une régression. «Le ngoyane fait vivre son homme, par ce qu’il est béni. Malgré le nombre de musiciens, nous nous produisons régulièrement, sur sollicitation. Pour ma part, grâce au ngoyane, avec l’aide de mon mari, j’ai réussi à m’offrir un salon de coiffure et j’ai construit deux chambres dans notre concession».
Correspondant