Après le chavirement d’une pirogue qui est partie de la plage de Mbour le dimanche dernier et a coulé 30 mn après son départ, la mer continue de vomir les corps sans vie. Après les 9 personnes décédées retrouvées entre dimanche et lundi, les secouristes, composés de la Marine nationale, des sapeurs-pompiers et des agents du Service des pêches de Mbour, ont découvert au moins 27 corps sans vie dans un état de décomposition très avancé. Le long de la Petite-Côte, la douleur intense est ressentie par tout le monde. Jusque tard dans la soirée, les recherches et les enterrements se poursuivaient à Mbour.

Mbour est figée dans une douleur indicible. Un moment apocalyptique ! Le grand bleu continue à étirer son horizon à l’infini comme si de rien n’était. Ses vagues à bout de course viennent lécher la berge de Tama Lodge où les zodiaques de la Marine nationale se succèdent. Ils ramènent les corps sans vie des candidats à l’émigration dont l’embarcation a chaviré dans la nuit du dimanche. 48h après le chavirement, la mer, qui continue à onduler ses vagues dans un rythme intense, n’a pas encore rejeté tous les corps qu’elle a engloutis ce jour-là.

Il règne une ambiance de deuil sur les lieux. Mines tristes et larmes aux yeux, certains parents ne peuvent plus se retenir. Ils craquent. C’est un instant de tourmente. De torture. A l’annonce de la découverte de certains corps par les secouristes, les populations de Mbour ont envahi le quai de pêche à la recherche de leurs enfants qui sont introuvables depuis dimanche dernier.
Sous une pluie fine, le spectacle qui s’offre devant les yeux des gens venus se renseigner est désolant. Pendant une heure, de 10h à 11 heures, les secouristes étaient comme des pêcheurs qui pêchent du poisson, sauf que cette fois-ci ce sont des corps sans vie en état de putréfaction très avancé qu’ils ont pu récupérer après que la mer les a avalés pendant deux jours. Des corps de jeunes hommes et femmes sortent des eaux maritimes dans des conditions indescriptibles. Les sapeurs-pompiers, les éléments de la Marine nationale, la Police nationale, en parfaite collaboration, ont abattu un travail extraordinaire dans un silence de cimetière. Les corps repêchés ont été mis dans des sacs en plastique avant d’être emmenés à la morgue de l’hôpital de Grand Mbour.
En plus des 22 corps repêchés hier à Mbour, 4 autres corps sans vie ont été retrouvés à la plage de Ngaparou. Un autre corps a été récupéré à la plage de Saly. Au total, 36 corps sans vie ont été repêchés depuis dimanche dernier entre Mbour, Ngaprou et Saly plongés dans une tristesse absolue. A Ngaparou, le bateau de surveillance des pêches continue de sillonner l’océan pour trouver d’autres corps. Une attente insoutenable ! Ils étaient combien ?

En l’absence d’un manifeste, il est difficile de dénombrer avec exactitude le nombre de personnes qui étaient à bord de cette pirogue. Mbaye Boye, pêcheur et membre de «Kurel Gui» de Tefess, qui a tout vu, rembobine le film de l’accident : «Le chavirement nous a trouvés ici. C’est vers 16h (dimanche) qu’une pirogue de la pêche du jour a emmené quelques rescapés. Ils nous ont fait savoir qu’une embarcation a chaviré. C’est par la suite que nous avons envoyé une pirogue, mais c’était trop tard. Nous avons pu repêcher quatre corps. Nous avons reconnu tout de suite celui de la fille parce qu’elle habite dans le quartier à Tefess. C’est à ce moment que nous avons appelé sa maman avant que cette dernière ne confirme que sa fille devait prendre la pirogue pour rallier l’Espagne.»

Aujourd’hui, il invite les jeunes à savoir raison garder. «L’heure est grave. Compte tenu du nombre de morts enregistré ces derniers jours, il est temps que les jeunes arrêtent de prendre la mer», conseille-t-il. Quid de l’Etat ? «Il est temps que l’Etat aide les pêcheurs. Nous n’avons plus de terre parce que tout a été morcelé pour des habitats. On parlait des bateaux, mais même si on les arrête, il n’y a plus de poissons. Donc, l’Etat doit construire des usines et créer des emplois, la pêche ne nourrit plus son homme. C’est pourquoi les enfants ne veulent plus rester dans le pays», ajoute Mbaye Boye.

Une mafia très organisée
Aujourd’hui, ce drame est un rappel que le phénomène de l’émigration irrégulière traverse les époques. Il empire. Il prend des proportions effrayantes. Alors que l’incertitude entoure une pirogue qui a quitté Mbour depuis presque 1 mois sans nouvelles, cette nouvelle tragédie maintient la ville dans le traumatisme. En apparence, rien ne semble altérer la détermination des jeunes qui rêvent d’un ailleurs meilleur pour changer de destin, échapper à la morosité économique. Une vraie mafia, qui est derrière cette émigration irrégulière, réussit à exploiter la misère de ces jeunes vulnérables attirés par les mirages d’un eldorado européen inaccessible. «Tout le monde sait à partir de quelle région ou département du Sénégal partent les pirogues. Les populations connaissent ceux qui fabriquent les pirogues, même les convoyeurs. Pourquoi on ne les dénonce pas ? Juste parce que nous avons peur des représailles ou bien c’est parce que l’on nous donne notre part sur l’argent encaissé pour organiser ces voyages», s’interroge Omar Seck. Il indexe et accuse ceux qui fabriquent les pirogues pour convoyer ces jeunes. «Pour moi, ce sont des criminels. Ils fabriquent leurs pirogues, encaissent leur argent et transportent de jeunes innocents. Certains ont même fui leur localité. Ce sont les principaux responsables. Il faut que l’Etat prenne ses responsabilités. Les populations ou les migrants qui embarquent aussi doivent prendre leurs responsabilités en dénonçant cette mafia. Les responsables doivent être arrêtés et mis en prison. A Dakar, toute pirogue qui veut faire cette pratique doit être dénoncée ! C’est mieux que de faire le médecin après la mort», balance-t-il.

Sur la plage de Téfess, la vie s’est arrêtée pour céder à la cruauté du destin. Implacable, la mer a englouti des rêves et des projets d’hommes dont l’énergie est l’espoir. Fin du récit !
Par Alioune Badara CISS-abciss@lequotidien.sn