Ndèye Marie Diédhiou, Présidente de la Pfpc : «L’État et le Mfdc devraient négocier très rapidement»

La paix n’est pas devenue un mot banal chez les membres de la Plateforme pour la paix en Casamance (Pfpc). Et la présidente de la structure, Ndèye Marie Thiam Diédhiou, reste persuadée que l’Etat doit négocier avec le Mfdc pour qu’on arrive à une paix définitive. La Plateforme pour la paix en Casamance mobilise aujourd’hui à Dakar les femmes du pays pour un retour définitif de la paix dans la région méridionale. Mme Thiam évoque les nombreuses activités que son association -qui avait entendu les candidats à la Présidentielle pour qu’ils se prononcent sur leur projet pour la Casamance et s’engagent à impliquer les femmes dans le processus de résolution du conflit- a menées pour contribuer au retour de la paix en Casamance, persuader les protagonistes à travailler à se retrouver à la table des négociations, entre autres. Ndèye Marie Thiam Diédhiou plaide aussi, dans cet entretien, pour que l’Anrac soit placée au-dessus de toutes les organisations qui interviennent en Casamance.
Mme la présidente, vous allez marcher ce samedi à Dakar dans le cadre de la recherche de la paix. Quelles sont les motivations d’une telle activité ?
Ce 14 septembre, le consortium Unaam Kayraay, constitué de la Plateforme des femmes pour la paix en Casamance, Partner Global, Partner West Africa et Tostan, organise à Dakar la convergence nationale pour la paix en Casamance. Il s’agit pour nous, d’abord d’inviter toutes les femmes du Sénégal, de la Gambie et de la Guinée-Bissau à se joindre à leurs sœurs de la Casamance pour une implication de toutes les femmes du Sénégal dans la résolution de la crise qui sévit en Casamance depuis 37 ans. Cette crise connait aujourd’hui une évolution salutaire. Toutefois, l’implication des femmes dans sa résolution reste insuffisante.
La deuxième motivation est la remise d’un livre blanc que les membres du consortium ont rédigé sur la résolution du conflit en Casamance, destiné au président de la République, au Mouvement de forces démocratiques de Casamance et aux organisations de la Société civile.
Quels sont les gens qui sont attendus à la manifestation de samedi ?
Nous avons convié toutes les femmes du Sénégal. Des délégations nous viendront de toutes les régions, de la Gambie et de la Guinée-Bissau, également sont invitées toutes les personnes éprises de paix.
La rencontre va se tenir au Club olympique d’où partira une procession vers la Place du Souvenir africain où la convergence va se réunir avec des artistes qui vont aussi se produire et exprimer leur souhait de consolider la paix en Casamance.
Pour terminer, il y aura la remise du livre blanc qui est le fruit du travail de la Plateforme des femmes à la suite des consultations publiques au niveau des 9 départements, de l’Ong Tostan, qui s’est investie au niveau des zones frontières pour des activités allant dans le sens de rétablir la cohésion sociale et aussi Partner West Africa, qui a travaillé à réunir des femmes des régions nord du Sénégal et leurs sœurs de la Casamance. Dans ce livre aussi, nous avons recueilli les besoins, les préoccupations et les propositions de sortie de crise des populations particulièrement des femmes.
Votre structure œuvre pour le retour de la paix définitive en Casamance. En l’état actuel des choses, que peut-on dire de ce que vous avez pu réaliser ?
Nous avons mené plusieurs actions de plaidoyer, aussi bien à l’endroit du président de la République que du Mouvement des forces démocratiques de Casamance. Nous avons parlé également aux populations du Sénégal surtout celles des régions de Casamance. Une de nos organisations membres, «Usoforal», a effectué une tournée nationale en 2014, pour sensibiliser les femmes sur leur implication dans la résolution de la crise. Ce qui explique d’ailleurs leur mobilisation à Dakar.
Des rencontres communautaires nous ont conduits, en 2013, dans plusieurs villages de la Casamance. En 2018, nous avons organisé des consultations publiques dans les 9 départements de la Casamance, dans le but de recueillir l’avis des populations, leurs points de vue et leurs propositions de sortie de crise.
Nous avons échangé avec les ailes politiques du Mfdc, chaque fois que nous avons eu l’occasion de les rencontrer, elles ont affiché aussi une volonté d’aller à la table des négociations. Ce fut un moment d’échanges sur les actions des femmes contribuant à l’instauration d’une paix définitive en Casamance. En 2019, nous avons recueilli les projets des différents candidats à l’élection présidentielle pour le retour de la paix en Casamance.
Nous avons eu des travaux avec les femmes parlementaires pour les sensibiliser afin que le problème soit porté en plénière au niveau de l’Hémicycle.
Est-ce qu’on peut dire que la recherche de la paix va dans le bon sens ?
Nous avons de l’espoir. Beaucoup d’espoir d’ailleurs, parce que nous vivons depuis quelques années une accalmie. Et si cette accalmie existe, c’est bien grâce à l’Etat, au Mfdc, aux organisations de la Société civile et surtout aux populations qui l’accompagnent. Donc, on peut dire que nous sommes sur le bon chemin. Mais vivement que cette accalmie soit traduite en une paix définitive par des accords de cessez-le-feu.
L’engagement de l’Etat dans le cadre de la relance en Casamance des activités dans le domaine économico-social a-t-il joué un rôle pour l’avènement de cette accalmie ?
Bien sûr ! Nous saluons tous les efforts qui ont été consentis par l’Etat pour désenclaver notre région afin de relier la Casamance aux autres régions du Sénégal. Nous nous réjouissons de tout ce qui a été fait du point de vue développement de notre région. Nous saluons toutes les actions entreprises par l’Etat du Sénégal pour instaurer la paix en Casamance. Mais il faudrait, très rapidement, que l’Etat négocie avec le Mfdc pour qu’on arrive à une paix définitive.
Mais pour aller vers une paix définitive, il faut un Mfdc uni. Est-ce que vous avez remarqué des efforts dans ce sens, chez les combattants ?
Les combattants du Mfdc, en général, ont fait des déclarations en faveur de la paix. Nous avons vu que, de leur côté, beaucoup d’efforts ont été faits dans le sens de l’unité. Nous saluons tout cela.
Mais, enfin, on peut toujours commencer les négociations avec toutes les personnes qui sont prêtes. Il faut aujourd’hui négocier avec toutes les personnes disponibles pour arriver à la paix dans la clarté et la transparence.
Il y a le Groupe de réflexion pour la recherche de la paix en Casamance (Grpc), dirigé par l’ancien ministre Robert Sagna, qui est actif sur le terrain aux côtés du président de la République.
Quels rapports votre organisation entretient-elle avec cette structure ?
Nous avons d’excellents rapports (elle se répète). Certains membres de la Plateforme comme moi-même sont membres du Grpc. Donc, nous adhérons à toutes les actions de sensibilisation que le Grpc mène sur le terrain dans les zones les plus reculées. Nous sommes comptables de toutes les actions du Grpc.
Quels sont les obstacles à votre mission ?
Quelquefois de l’incompréhension : nous sommes une structure qui veut rester à équidistance des deux parties en conflit. Il arrive que les autorités administratives nous croient proches du Mfdc, il en va de même pour le Mfdc qui nous accuse à tort d’être du côté de l’Etat. Cette posture nous met à l’aise, quand les deux parties pensent que nous sommes penchés d’un côté ou de l’autre, car nous dénonçons en toute liberté toutes les entraves aux droits humains.
Un autre obstacle qui se dresse sur notre chemin, l’absence des femmes dans le processus de négociation. Certains croient que les femmes n’ayant pas pris les armes, elles n’ont pas leur place à la table des négociations. Or, on oublie que les femmes étaient là au début du conflit, qu’elles ont accompagné la demande d’indépendance et qu’elles ont travaillé pour le retour de la paix. Les femmes et leurs enfants ont subi des violences pendant tout ce conflit armé. Elles ont remplacé leurs époux qui sont allés en guerre, qu’ils soient militaires ou combattants du Mfdc. Elles ont entretenu les familles le mieux possible. A partir de ce moment, les femmes ont leur mot à dire dans la gestion de cette crise en Casamance. En plus n’oublions pas que nous sommes dans une société où la femme traditionnelle a le devoir de s’impliquer dans la résolution des conflits.
Considérez-vous que le Président Macky Sall est un chef d’Etat qui a réussi là où ses prédécesseurs ont échoué en Casamance. Ou bien, c’est au nom de la continuité de l’Etat qu’il est en passe d’achever un chantier entamé par ces derniers ?
Je vois plutôt un président de la République qui a réussi à instaurer la plus longue accalmie. Mais cette accalmie-là, comme je le disais, elle n’est que momentanée. Et nous souhaitons qu’elle puisse réunir les acteurs autour de la table des négociations. Nous saluons également les initiatives qui se font en silence. Mais nous pensons que nous avons le droit de savoir ce qui est en train de se faire. Parce que les négociations se font au nom des populations de la Casamance.
L’Anrac (Agence nationale pour la relance des activités socio-économiques en Casamance) et le Ppdc (Projet pôle de développement de la Casamance) interviennent sur le terrain. A partir de votre posture d’observatrice, quelle évaluation faites-vous de leurs actions ?
L’Anrac est une structure qui a été mise en place suite aux accords de 2004 entre l’Etat et le Mfdc, à mon humble avis, il faut donner à cette structure toute son envergure et la doter de moyens suffisants afin qu’elle puisse remplir effectivement la mission qui lui est dévolue. En somme, l’Anrac devrait être une structure au-dessus de toutes les organisations qui interviennent en Casamance.
La tuerie de Boffa Bayotte revient souvent au-devant de l’actualité nationale. Quel regard portez-vous sur ce dossier ?
Il faut déplorer ce qui s’est passé à Boffa Bayotte et tous les autres actes de violence qui s’en sont suivis. Après Boffa Bayotte, il y a eu le ratissage de la forêt, des arrestations. Ensuite la tentative de sabotage du pont de Niambalang. Ces conséquences sont d’une extrême gravité. Et les populations en ont énormément souffert.
Les acteurs socio-culturels sont aussi impliqués dans la recherche de la paix. La Plateforme des femmes les a-t-elle approchés ?
Oui ! Aujourd’hui, nous travaillons avec toutes les organisations de femmes et de jeunes qui interviennent dans la recherche de la paix. Notre conviction est que toutes les organisations de Société civile devraient s’unir, harmoniser leurs actions pour pousser les deux parties en conflit à négocier. Il nous faut constituer une force réelle pour appeler l’Etat et le Mfdc à la table des négociations.