Ndiaga Sylla, sur le parrainage : «Un serveur central devrait être exigé»

Finie la vérification des parrainages. Les 7 observateurs de la société civile ont fait l’évaluation du dispositif lundi. Mais Ndiaga Sylla aussi revient largement sur le système de façon générale, ses limites, des propositions de solutions. L’expert électoral décode tout.
Quel bilan faites-vous du processus de vérification des parrainages ?
Faire le bilan du processus de vérification et de contrôle des parrainages revient à passer en revue l’ensemble du dispositif juridique et technique ainsi que le rôle de chaque acteur. Pour ce faire, il faut partir de la définition du cadre légal et réglementaire qui a suscité beaucoup de controverses et de désaccords à cause sans doute du contexte politique post-législatif assez tendu. Je me permettrai de faire quelques constats et appréciations sur le système de parrainage. D’abord, il faut souligner pour le regretter que le Conseil constitutionnel n’a en aucun moment été sollicité pour donner un avis sur les projets de loi portant révision de la Constitution et modifiant le Code électoral par rapport à l’instauration du système de parrainage. Pourtant, il devait être impliqué dans de lourdes et complexes tâches techniques. Même s’il est vrai que le parrainage citoyen a été instauré depuis 1992 comme une condition de recevabilité des candidatures indépendantes, le Conseil en a toujours enregistré un nombre minimal et qu’il s’appuyait sur les services du ministère de l’Intérieur, la Direction de l’automatisation des fichiers (Daf) pour les besoins du contrôle de la conformité du minimum de 10 mille signatures d’électeurs requises.
Que dites-vous du dispositif de vérification mis en place par le Conseil ?
Le Conseil a pu mettre en place un dispositif autonome de vérification et de contrôle comme l’y oblige la loi électorale. Au surplus, il faut se réjouir que le Conseil ait prévu la présence des représentants des candidats et des membres de la société civile. L’une des plus grandes innovations dans la démarche du Conseil constitutionnel réside dans l’ouverture dont il a fait montre dans le cadre de la gestion des parrainages par une communication inhabituelle et salutaire destinée aux acteurs ; et ce, de la présentation du dispositif de vérification aux décisions et communiqués expliquant les procédures. C’est également l’occasion de magnifier l’initiative prise par le collège des facilitateurs de rencontrer les Organismes de gestion des élections, notamment les membres du Conseil constitutionnel dans le cadre du programme «Sunu élection».
Sauf que cette volonté de transparence du Conseil n’a pas convaincu l’opposition…
En tout cas, pour avoir pris part à ces rencontres d’échange en ma qualité d’expert électoral dudit programme et pour après avoir suppléé en tant qu’observateur le doyen Mazide Ndiaye, je puis témoigner de la volonté manifeste de garantir la transparence du contrôle des parrainages. Elle s’est traduite par les procédés utilisés comme la notification aux candidats par procès-verbal des différents motifs de rejet de chaque parrainage non conforme. Toutefois, j’ai toujours considéré qu’à défaut d’être présent lors du contrôle de toutes les listes de parrainages, il était judicieux de remettre la version électronique des parrainages à chaque candidat en vue de leur permettre de s’assurer de la régularité des listes de parrainages ou les contester le cas échéant.
L’opposition et les 7 observateurs de la société civile ont remis en cause ce dispositif, notamment le logiciel utilisé par le Conseil…
Pour en venir à l’appréciation du système de contrôle, sans douter de la performance du logiciel et de l’authenticité des données remises au Conseil par la Daf, dépositaire du fichier électoral, je considère que le fait qu’on soit obligé de confronter l’ensemble des champs et rubriques exigés dans la collecte des parrainages augmente la probabilité de rejet. En effet, la moindre erreur commise pendant la transcription des données de l’électeur sur la fiche de collecte ou lors de la saisie entraîne la non-reconnaissance de l’électeur par le système informatique parce que le logiciel a été paramétré en fonction des rubriques contenues dans la fiche de parrainage. Le contrôle a été quasiment effectué à partir de la version électronique sur une clé Usb déposée par le mandataire. Cela pose la question de l’utilité de la fiche de parrainage dès lors qu’en trois jours, le Conseil constitutionnel a pu boucler, grâce à l’exploitation des supports électroniques, la vérification de toutes les listes de parrainages. Sous ce rapport, le recours à un serveur central devant recueillir les parrainages au fur et à mesure qu’ils sont collectés pour les valider ou les rejeter instantanément devrait être envisagé comme c’est le cas de certains pays. Il existe bel et bien des systèmes d’enregistrement automatique des parrainages, mais cela suppose qu’on en définisse au préalable le cadre juridique consensuel. A ce sujet, un collègue expert électoral international m’a fait part du système de parrainage appliqué au Mexique où tous les candidats à l’élection présidentielle doivent présenter des signatures de 1% de l’électorat. Mais l’organe de contrôle mexicain a développé une plateforme centralisée de réception qui permet la collecte et la transmission, en temps réel, de signatures par des smartphones android. Ce système permet également le rejet, en temps réel, des deuxièmes parrainages par le même citoyen, car son numéro de carte d’électeur était déjà saisi dans la base de données. Le dédoublonnage s’effectue donc simultanément, et non, comme au Sénégal, subséquemment. Le smartphone capture aussi une photo de la carte d’électeur du parrain et la télécharge sur la base de données centralisée.
Est-ce que c’est ce que vous proposez pour les élections locales par exemple puisque le parrainage est généralisé ?
En direction des prochaines élections départementales et municipales, cette méthode doit être considérée par les autorités administratives compétentes en matière de réception des candidatures même si elle doit être simplifiée. Il en est de même du contrôle des Cours d’appel et de la Cena. Cela éviterait la collecte d’un nombre exorbitant de signatures qui pourrait être perçu comme une volonté d’empêcher une candidature adverse.
Les doublons, parlons-en, puisque c’est la cause principale de l’invalidation de beaucoup de parrainages…
Si les doublons internes relèvent d’un déficit du système de vérification mis en place par les candidats, force est de reconnaître que le nombre exorbitant de doublons externes est surprenant. Il survient malgré la campagne de sensibilisation menée par le ministère de l’Intérieur et par les organisations de la société civile à propos des peines encourues par les fautifs. Sous ce rapport, il serait utile de situer les responsabilités du parrain, du collecteur et évidemment celles déterminantes des candidats. Il faudrait donc mener des enquêtes sur les 174 mille cas de doublons pour établir si les électeurs ont effectivement parrainé plus d’un candidat ou si certains ont utilisé leurs données personnelles à leur insu. En tout état de cause, l’on ne saurait occulter le clientélisme politique.
Ce sont les mêmes doublons encore qui ont éliminé certains qui devaient régulariser leur dossier de parrainage. Et précisément Malick Gakou n’y a pas échappé, là où Idrissa Seck et Madické Niang sont passés…
Au cours du deuxième traitement, le Conseil constitutionnel devrait aussi permettre au candidat de procéder au remplacement des doublons externes puisque logiquement, celui-ci ne dispose d’aucun référentiel lui certifiant a priori l’existence ou non de parrainages doubles dans son stock. Le candidat Malick Gakou s’est retrouvé après régularisation avec un gap de 546 parrainages alors qu’il lui reste encore 756 doublons qui devraient être normalement régularisables en vertu de l’article 57 du Code électoral.
Finalement, diriez-vous que le nombre de parrains exigés est un obstacle ?
L’instauration du système de parrainage intégral tout en passant de 10 mille à 53 mille 457 parrains pour la recevabilité de toute candidature à l’élection présidentielle a montré que le nombre excessif de parrainages exigé a eu pour conséquence de bloquer des ténors de la vie politique sénégalaise par-delà le filtrage des candidatures fantaisistes. La société civile, représentée aux concertations sur le processus électoral par le Cosce et la Pacte, avait initié une médiation en vue de faciliter un compromis à propos de la problématique du parrainage. Dans cette perspective, elle avait préconisé un système alternatif qui tienne compte des élus locaux ou de la représentation parlementaire ou, à défaut, la collecte de 20 mille parrains électeurs. Hélas, la proposition fut rejetée. Or, ces premières options auraient pu épargner certains candidats représentatifs d’un exercice trop contraignant. La pertinence de la dernière option pourrait s’apprécier sur la base des 14 candidats ayant obtenu 20 mille parrainages validés par le Conseil constitutionnel. Par ailleurs, il ne me semble pas judicieux de bloquer un candidat pour insuffisance de parrains validés alors qu’il dispose d’un stock suffisant en réserve ; d’où la nécessité de lever le nombre plafond à défaut d’élever le pourcentage maximum de parrains requis.
Certains estiment que le Conseil ne devait pas gérer le volet informatique du parrainage. Est-ce votre avis ?
Il m’apparaît plus logique de confier les tâches de vérification des parrainages à la Daf, plus outillée, sous la supervision d’une commission présidée par un membre de la Cena en présence des représentants des candidats et de la société civile. Ainsi, à l’issue du contrôle, le président de la commission remet une attestation qui sera déposée au Conseil au même titre que celle délivrée par la Caisse des dépôts et consignations. A l’avenir, il faudra forcément parfaire cette méthode trop complexe de présélection des candidats à l’élection présidentielle et irréalisable en cas d’élection anticipée eu égard aux délais prévus par l’article 31 de la Constitution.
Des candidats recalés par des Pv à l’issue des séances de vérification des parrainages se sont rendus au Conseil constitutionnel pour, disent-ils, compléter leur dossier. Qu’en pensez-vous ?
Quand j’ai entendu certains candidats recalés pour insuffisance de parrainages faire des déclarations à la presse en annonçant qu’ils vont compléter leurs parrainages puisque disposant de nombreux parrainages en réserve, j’ai considéré qu’ils méconnaissaient les procédures. Parce que seuls les candidats dont le nombre de parrainages validés additionné aux parrainages doubles est supérieur ou égal à 53 mille 457 sont autorisés à procéder à la régularisation. Finalement, le Conseil constitutionnel, dans un communiqué, a tenu à préciser les rejets régularisables et ceux non susceptibles de régularisation.
D’autres candidats ont annoncé des recours devant la Cour suprême. Est-ce la juridiction indiquée ?
La Cour suprême n’est pas compétente pour statuer sur le contentieux de l’élection présidentielle. Il convient de retenir qu’en matière électorale, les instances juridictionnelles interviennent chacune en fonction de ses compétences pour gérer le contentieux des opérations électorales et référendaires. Le contentieux concerne différentes phases du processus électoral, notamment la révision des listes électorales, la déclaration de candidature, la campagne électorale et les résultats du scrutin. Le Conseil constitutionnel est juge de la régularité des élections nationales et des consultations référendaires et en proclame les résultats en vertu de l’article 92 de la Constitution. Il est compétent pour la recevabilité des candidatures à l’élection présidentielle. A ce titre, le Conseil constate le retrait, l’empêchement définitif ou le décès d’un des candidats et modifie éventuellement la liste des candidats conformément à l’article 34 de la Constitution. Il a également en charge la gestion du contentieux sur les candidatures et la proclamation des résultats définitifs de l’élection présidentielle. Quant à la Cour suprême, elle est juge de cassation des décisions rendues par les Tribunaux d’instance sur le contentieux de la révision des listes électorales et celles rendues par le chef de la représentation diplomatique ou consulaire pour les citoyens sénégalais inscrits à l’extérieur. Elle est également juge d’appel en dernier ressort du contentieux des élections départementales et municipales. En définitive, la liste des parrainages faisant partie des neuf éléments constitutifs du dossier de candidature à l’élection présidentielle, le Conseil constitutionnel ne publiera la liste des candidats que lorsqu’il aura fini de contrôler toutes les déclarations de candidature ainsi que l’ensemble des pièces qui les accompagnent. Cela doit intervenir au plus tard le 20 janvier 2019. Il me semble que la seule issue qui s’offre aux candidats pour la validation des parrainages réside en leur capacité à bâtir un argumentaire solide autour de la nécessité pour le Conseil d’examiner les fiches de parrainage. Dans cette logique, il ne serait pas insensé de faire une confrontation des rejets pour autres motifs à partir d’un échantillon.