La date du 29 décembre 2017 restera gravée à jamais dans les annales de l’histoire de l’éducation sénégalaise. Elle marque en fait la célébration de la première édition du Grand prix du chef de l’Etat pour les enseignants. Ce jour-là, tous les yeux étaient rivés sur le Grand Théâtre où se déroulait la cérémonie. L’occasion était choisie par la plus haute autorité de ce pays, en l’occurrence le président de la République, pour monter en épingle le meilleur des enseignants qui s’est illustré parmi ses pairs au terme d’une compétition nationale âprement disputée entre «des soldats de la craie» proposés par les différentes inspections d’académie, à l’issue d’un choix opéré au préalable dans chaque Cir­conscription départementale de l’éducation. «La palme d’or» est attribuée cette année au nommé Assane Ndiaye. Il est un professeur de Lettres modernes au lycée de Mbacké 2. Ce fut un événement grandiose, en fanfare et fortement médiatisé, pendant lequel toute la République, à sa tête le chef de l’Etat, s’était mise debout pour rendre un hommage appuyé à cet homme émérite. A travers lui, c’est l’enseignant tout court, jadis ignoré et déconsidéré, qui se voit honoré et redoré de son blason. L’ins­tauration de ce prix devrait emporter l’adhésion de tous. Malheu­reusement, il n’a pas manqué de soulever quelques réactions chez de nombreux enseignants qui l’apprécient différemment.
Il est question d’abord des critères du choix de l’enseignant supposé être le plus méritant de tous. Certains se demandaient quels allaient être les éléments d’appréciation objectifs à mettre sur la table pour pouvoir départager des prétendants. On sait que l’instituteur, tout comme le professeur, sont des enseignants certes, mais n’évoluent pas dans le même cycle. Leurs élèves ne sont pas du même niveau. Ils n’enseignent pas les mêmes disciplines et évaluent différemment. Dès lors, il n’est point aisé de jauger leurs actions pour pouvoir les comparer. Même entre des enseignants de même cycle, la comparaison n’est pas aussi simple. Les conditions dans lesquelles les enseignements-apprentissages sont dispensées varient et dépendent de plusieurs facteurs : le niveau des élèves, l’environnement scolaire, la motivation de l’enseignant etc. Partant de ce constat, on peut supposer qu’il n’y a pas eu de critères définis au départ, qu’il fallait remplir pour être porté en triomphe. Certainement, il a été passé minutieusement en revue les qualités des uns et des autres pour aboutir au résultat connu. Peut-être que les qualités retenues pour le choix de Assane Ndiaye, cette année, ne seront pas identiques à celles qui prévaudront au futur lauréat. La vidéo diffusée et retraçant le parcours du détenteur du Grand prix du chef de l’Etat dévoile ses qualités d’homme compétent, dévoué, ambitieux, persévérant, serviable, désintéressé, utile à la société… Ces qualités démontrent à suffisance que ce trophée n’a pas été usurpé et doit faire enlever des esprits toute idée de suspicion sur sa désignation comme meilleur enseignant de l’année. Si les critères mis en avant ne souffrent plus d’équivoque, des voix se sont pourtant élevées pour s’interroger sur l’opportunité d’organiser une telle manifestation dans un contexte de crise.
Certains n’y sont pas allés du dos de la cuillère pour se demander comment une telle cérémonie, aux allures de festivité, peut être organisée par les autorités en l’honneur des enseignants pendant qu’ils sont nombreux à être tenaillés par une situation de précarité ou de carrière du fait de ces mêmes autorités qu’ils tiennent pour responsables ? On dénote la fièvre montante du côté des syndicats d’enseignants qui, non contents du traitement réservé aux accords passés avec les autorités étatiques, ont commencé pour certains à dérouler des plans d’actions pendant que d’autres affûtent leurs armes. En creusant à fond, il est difficile de ne pas partager ce sentiment. On sait que le dilatoire toujours observé des autorités relève ni plus ni moins de la mauvaise volonté et du manque de considération à leur égard. A partir de ce moment, on peut difficilement croire que c’est au nom de la considération à l’égard de ces mêmes enseignants qu’est institué ce prix. Même si symboliquement on peut considérer qu’il est fait pour les enseignants, il reste que c’est une reconnaissance d’un effort et d’une performance individuelle. Pourquoi ne devrait-on pas reconnaître alors aux dizaines de milliers d’honnêtes gens leurs droits, suite aux efforts qu’ils ne cessent de déployer inlassablement pour s’acquitter de leurs obligations ? Est-il plausible, dès l’instant que l’autorité a les enseignants dans le dos pour de l’argent qui leur est dû, qu’elle se paye le luxe de se montrer généreuse en doublant le montant de l’enveloppe accompagnant ce prix ? Et ce qu’il y’a de plus navrant, c’est le fait d’entendre le ministre de l’Education nationale s’extasier de la réussite de cette manifestation, en estimant être déjà comblé de sa mission même si elle devait s’arrêter là. Comme si sa mission s’était réduite à organiser ce Grand prix et que rien d’autre n’est attendu de lui. Comble de malheur alors aux pauvres enseignants que nous sommes ! Nous qui le croyions à notre chevet pour plaider notre cause. C’est un aveu de taille sur son incapacité, avec son gouvernement, de trouver des solutions aux préoccupations des enseignants. Ce qui est une alerte pour les organisations syndicales. Désormais, elles ne peuvent compter que sur leurs propres forces. Cela étant, il faut néanmoins rendre à César ce qui appartient à César.
Le ministre de l’Education nationale a le mérite d’avoir réussi à organiser avec succès cet événement, inscrit désormais dans le calendrier républicain. Il doit alors être félicité et remercié, quoi qu’on puisse penser de ce grand prix. C’est une première au Sénégal et nous pensons que le ministère est ouvert aux suggestions et propositions pour les organisations futures. Dans cette optique, pour donner plus d’envergure à l’événement et créer plus d’émulation dans le corps, nous suggérons d’une part la valorisation de tous les enseignants méritants, et d’autre part l’élargissement des distinctions aux autres acteurs et partenaires de l’école.
Comme le meilleur des meilleurs enseignants reçoit les honneurs de la République à l’échelle nationale, les autres sont aussi les meilleurs de leur localité respective. Pour cela, leurs titres méritent également une reconnaissance et une célébration par les autorités départementales. Aussi, même s’ils ne sont pas primés par le chef de l’Etat, il serait intéressant quand même, au moment du sacre, de les associer à la fête  et de les montrer en exemple.
L’excellence est une quête permanente dans le secteur de l’éducation. C’est pourquoi, régulièrement, des concours et compétitions sont organisés pour distinguer ceux qui excellent et les récompenser pour leurs efforts. Comme la récompense suscite l’envie et crée l’émulation, aucune occasion n’est ratée pour distinguer et récompenser les meilleurs. Les élèves en savent quelque chose. Ceux qui brillent reçoivent tout le temps des distinctions de leurs maîtres, de leur établissement, de la communauté, de leurs parents… Mieux encore, ils sont honorés annuellement par la plus haute autorité de ce pays, à travers le Concours général. Les enseignants, craie en main, viennent d’être honorés à leur tour, mais il faut étendre cette compétition aux autres acteurs ou partenaires de l’école, comme les directeurs d’école ou les chefs d’établissement, les inspecteurs de l’éducation, les Associations de parents d’élèves, les collectivités locales et les responsables syndicaux. Le caractère systémique du secteur de l’éducation requiert la prise en compte des autres maillons de la chaîne dans cette stratégie de promotion du mérite et de la qualité.
Aly MAR
Permanent syndical
aly.mar45@yahoo.fr