Les révolutionnaires tunisiens du printemps arabe de 2011, aidés par l’avènement du réseau social Facebook, avaient comme slogan : «Partager nous sauvera.» Pour prendre à témoin l’opinion internationale et se dépêtrer de la tyrannie de Ben Ali, il fallait tout partager sur internet. Ce qui fut fait par les internautes, et le pays consomma sa Révolution. «Adieu Ben Ali», écrira Béchir Ben Yahmed, dans ses Mémoires (J’assume. Les Mémoires du fondateur de Jeune Afrique, Paris, Editions du Rocher, 2021).

Par contre, pour nous, lauréats d’alternances sans alternatives, le défi est de ne pas se taire face à ce qui se passe sous nos latitudes : un pouvoir qui oblitère nos derniers espoirs. Partager ce que l’on croit est une affaire existentielle. Notre à-venir en dépend.

Que les insulteurs ne nous effarouchent nullement. Il est facile d’insulter, difficile, très difficile, d’argumenter, de convaincre. Les insultes et les insanités, ce sont pour les imbéciles, ceux qui n’ont pas une idée, on n’en a pas une tous les jours. Décidément. Quand on n’a rien derrière une cervelle contusionnée, bourrée d’excréments, assombrie par du sectarisme, la parole vide et vulgaire constitue l’unique repaire, tel un fauve mutilé. Ces gens-là ne doivent aucunement dissuader ceux qui ont des choses à dire, ceux qui, heureusement, ont une pensée peu ou prou concise. Ils n’ont qu’à la partager, au grand bonheur d’un certain public.

La malédiction nationale continue de faire son chemin : vive la continuité ! La rupture, ce mot magique si doucereux, n’est qu’une gageure. Qui peut s’en douter ? C’est une lapalissade. Le même boulanger pétrit le même pain, ils sont tous formés à la même école : celle du mensonge. Pauvre Peuple. Malchanceux en amour, ses idylles tournent toujours au chaos.

Les pratiques, jadis conduites au bûcher, font, aujourd’hui, la loi. Souhaitons, encore une fois, la bienvenue à l’invitée transhumance. Ponctuelle et fidèle, elle ne se désiste jamais, toujours là, tel un cèdre libanais. Immobile. Son histoire, avec nous, n’est pas encore prête à entrevoir l’épilogue. C’est aussi une histoire d’amour. Trans­humer à chaque alternance, c’est notre cul-de-sac. C’est une maladie incurable. La science de l’éthique, qui voulait s’y atteler naguère, a abdiqué. Combat perdu d’avance. De la honte pour les prétendus guérisseurs d’hier. Désenchantés que nous sommes. Sidérés d’avoir été si idiots. Mais l’idiotie a été une valeur. Ne faisons pas mine de l’oublier. Væ victis !

C’est Déthié Fall qui rejoint ses anciens amis. C’est de la transhumance ? Cela dépend de la chaire sur laquelle l’on prêche. Faut-il, pour se donner bonne conscience, inventer une nouvelle acception pour ce vocable. C’est une question d’ingéniosité, d’opportunité, de manipulation. Reniement ? N’en parlons pas. C’est du sacrilège. Ça souille. Ça profane. Et les profanes sont éconduits, s’ils ne sont pas conduits vers la guillotine. Mais non, dédramatisons, édulcorons. Sur nos gardes. Circonspection en bandoulière. C’est délicat. Bon sang !

Et Abass Fall qui appelle ses militants à prendre les armes contre leurs ennemis pour, ensuite, présenter ses excuses. Que personne ne s’y trompe : ce n’est pas un lapsus ; c’est une bêtise. Camus, dans sa Peste, nous dira que celle-ci insiste toujours. La violence politique, qui a irradié le pays ces dernières années, va continuer à vivre ses lettres de noblesse. Cela va de soi : les frondeurs d’hier ne peuvent pas imposer, aujourd’hui, l’orthodoxie. Ils sont si souillés (impurs) pour diriger les prières de la démocratie, de la République, de la Justice. La violence a conquis le pouvoir ; elle gouvernera.

Ça commence à faire beaucoup, non ? Attendons. Patience. Le pire arrive à grands pas. La violence des gyrophares laisse présager un patient qui agonise, à la lisière du trépas, lorgné par les braises de l’enfer. L’enfer des hommes. Pas celui de Dieu. Juste que là l’agonie est généralisée, c’est toute une communauté qui se consume de ses entrailles, qui perd sa dignité à cause d’une indigence suffocante dont rien n’entrave la croissance. Les symptômes vont changer de mise, comme pour forcer le destin. Le temps, et rien que lui, jugera. S’il y a bien une justice parfaite, c’est celle qu’il administre aux soi-disant mages -ou archanges- résolus de leur grâce divine. Pour ceux-ci, les surprises sont cauchemardesques. Evidemment.

Samba est un indésirable. Pauvre Samba. Et ses congénères ? Mimi, Mary Teuw, Guirassy, que sais-je encore ? Ils sont tous du système autrefois présenté comme le goulet d’étranglement du pays. Il n’en est rien. Preuve : c’est la même classe politique, avec quelques réajustements, qui se recycle. La dichotomie entre système et antisystème n’a jamais existé. Vive la continuité !
Il s’est passé quelque chose d’étrange. Certains loups, surpris et hébétés, se sont égarés de la meute. Qui l’eût cru, cet égarement ? Personne. Pas même les plus sceptiques, rationnels. Un mot, jusque-là inexistant, a fait irruption : désobéissance. Mot nouveau : c’est un signe des temps. Peut-être que le doute est désormais de mise. Hécatombe. C’est une basilique de mythes qui s’écroule. Décombres ? Il n’y en aura pas. Tel un génocide, c’est une race entière qui est rasée de la surface de la terre. Fin de l’histoire, ou plutôt d’une histoire. Imaginons la brutalité de la nouvelle chez les décideurs suprêmes qui, convaincus de leur baraka, ont cru pouvoir tout faire ingurgiter. Ah ! Ces fidèles ne sont pas exclusivement des lobotomisés, après tout. Il y a ceux qui se servent ne serait-ce qu’une once de rationalité.

Ce qui est fascinant dans la pensée totalitaire, unique -ce qui, en réalité, est chimérique puisque, même manu militari, des frondeurs prendront le plaisir d’avoir des idées subversives-, c’est qu’elle ne tient à rien. C’est un bateau ancré avec de la soie. Du jour au lendemain, à la vitesse d’une rixe de peureux, tout peut s’annihiler dans l’abîme d’un gouffre. Le doute, aussi infinitésimal soit-il, peut faire tituber tout un dogme. L’hétérodoxie s’installe. L’orthodoxie, jadis sanctifiée, est rangée dans une pissotière. C’est maintenant de la bistouille, inapte à la consommation. Malheureux seront ceux qui s’entêtent. Cruel destin. Plus cruel encore : c’est le destin consacré. Hélas.

Les carabistouilles, si savamment inoculées dans l’imaginaire collectif d’un Peuple soient-elles, finissent toujours par être rattrapées par le temps. C’est inéluctable. Elles ont une consécration à court terme. Le temps, ô ce fabuleux juge, remettra toutes les pendules à l’heure.

Le défi est de ne pas se taire face à ce qui se joue devant nos yeux, habitués d’être bernés par ces charognards si doués en production de balivernes. Pour ces tenants du pouvoir largement plébiscités, c’est plus dur encore. Ecœurant. Cette grande comédie, orchestrée par de talentueux scénaristes, a été si dramatique, meurtrière, voleuse d’espoirs. Ne pas se taire, et pour toujours : tel est le chemin du salut national ! En attendant les «quatre z’axes» de transformation du pays.
Baba DIENG
Etudiant en Science politique
UGB