Talentueuse et engagée, l’architecte Mamy Tall militait pour une architecture éco-responsable et tournée vers les matériaux locaux. Disparue hier à l’âge de 32 ans, elle laisse une œuvre inachevée, mais fortement symbolique.

Telle une étoile filante, l’architecte Mamy Tall a brièvement illuminé le ciel sénégalais. Décédée hier à l’âge de 32 ans, Mame Boyo Tall était architecte au Bureau des architectures de la présidence de la République. Sa disparition laisse un vide énorme au sein de sa profession. L’Ordre national des architectes du Sénégal salue son parcours à travers un communiqué de presse annonçant sa disparition. «C’est avec une profonde tristesse que l’Ordre des architectes du Sénégal vous annonce le rappel à Dieu de Madame Mame Boyo Tall dite Mamy Tall, architecte engagée et membre de notre communauté», lit-on dans le communiqué. Talen­tueuse, Mamy Tall l’était. Et Dakar porte l’empreinte de son passage à travers cette sculpture réalisée dans le cadre du projet «Doxantu» de la Biennale de l’art africain contemporain de 2022. Une œuvre qui trône sur un rond-point de la Corniche de Dakar.

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Mamy Tall était reconnue pour sa maîtrise des enjeux contemporains de l’architecture publique et sa contribution précieuse à de nombreux projets emblématiques inscrits dans le paysage institutionnel national. En effet, dès son retour à Dakar en 2017, elle travaille pour l’Agence de gestion du patrimoine bâti de l’Etat (Agpbe) où elle est architecte, cheffe de projet. Elle est au cœur des grands projets de l’Etat, notamment sur la revalorisation des bâtiments publics de la ville de Saint-Louis. «Cela peut paraître contradictoire, en tant qu’entrepreneur, de travailler dans le public, mais je suis convaincue que c’est de l’intérieur que l’on peut faire bouger les choses, avoir de l’influence et développer son réseau», déclarait celle qui militait pour une architecture éco-responsable. Sa vision de l’architecture transcende l’aspect technique. C’est un engagement profond en faveur du continent et de ses ressources. «J’ai toujours été passionnée par l’architecture, je l’ai toujours imaginée comme un métier humaniste. J’ai consacré mon travail à informer sur l’importance de l’aménagement et de l’entretien des villes, à sensibiliser à la construction bioclimatique, à ouvrir le débat sur le patrimoine et sa place dans nos sociétés, à créer des ponts entre l’architecture et la mode, à apporter des solutions aux problèmes urbains et, enfin, à comprendre notre système politique et son impact sur l’exercice de notre métier», expliquait-elle sur le site spécialisé Wallpaper. Pour elle, l’architecture va bien au-delà de la réalisation de bâtiments. «C’est trouver des solutions, être créatif, faire de l’art, améliorer les conditions de l’homme en s’inspirant d’une discipline (l’architecture). C’est pour cela que j’aime aussi faire plein d’autres choses : des clips, de la photo, de la vidéo, du design graphique, des décors, etc. Pour moi, toutes ces activités sont liées», confiait l’architecte dans un entretien avec Le Petit journal.

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Née à Dakar en 1992, Mamy Tall a grandi avec sa famille à Lomé, au Togo. Et c’est en 2017 qu’elle revient s’installer définitivement au Sénégal après des études d’architecture au Canada. «Partir au Canada, c’était expérimenter autre chose, avoir la chance d’avoir une plus grande ouverture d’esprit, de réfléchir à des problématiques d’aménagement, d’environnement et d’urbanisme auxquelles l’Afrique sera inévitablement confrontée dans quelques années», soulignait-elle dans son entretien avec Le Petit journal. Mamy Tall était également une artiste dans l’âme. Férue de mode et de design, elle a joué un grand rôle dans le Défilé Chanel à Dakar. Co-fondatrice de la plateforme Dakar Lives, qui promeut les destinations africaines et leur écosystème créatif, et qui est très suivie sur Instagram, Mamy Tall naviguait entre une multitude de passions, d’engagement et de projets. C’est donc un talent reconnu que le Sénégal vient de perdre.
Par Mame Woury THIOUBOU-mamewoury@lequotidien.sn