L’exil de Nguédiaga créa une rupture fondamentale avec les pratiques et les traditions d’une ancienne époque à une nouvelle ère.
Seydina Limamou Lahi Psl venait en effet d’annihiler un modèle sociétal établi sur les liens du sang et favoriser une fraternité fondée sur la croyance sincère en Allah Swt.
Les détenteurs de privilèges favorisés par le système politique et traditionnel de l’époque usèrent de tous les moyens pour empêcher cette nouvelle forme de société, dénigrant leurs croyances, empêchant la bonne entente sociale établie par le colon. Tout devait basculer d’un moment à l’autre.
Un des rapports établis par l’autorité coloniale mentionne cette inquiétude d’un des «privilégiés» parents de Limamou Psl : «Demba Fall Diop arriva le 9 septembre. Il était ému et triste. Il me dit qu’il voulait me prévenir de ce qui se passait … Il dit ensuite ce que faisait Limamou Laye, le marabout de Yoff. Il me parla de ses prédications anti-françaises et me dit qu’il prétendait faire des miracles… Il me parla des achats d’armes et de munitions qui se faisaient en différents endroits…»
Tout serait centré autour d’un homme, fut-il leur parent proche, né 43 ans plut tôt dans une famille connue pour leur bonté et leur générosité. Sa mère Mame Coumba Ndoye incarnait la probité morale et religieuse dans une société où, malgré la percée de l’islam, dans ces contrées, les gens s’attachaient toujours aux pratiques païennes dignes de l’époque Jahiliya de la Mecque.
Le culte du Rab s’était introduit dans les entrailles d’une société arborant fièrement sa foi bien que brandie, mais frileux face aux caprices de la tradition conversationniste.
Seydina Limamou reçut l’injonction d’appeler les hommes et les djinns à adorer le Tout-Puissant et se déclare être le Mahdi attendu de la fin des temps.
Le saint se heurta au refus des détenteurs de la tradition qui certes le voyaient comme un «possédé», simple punition des génies qui se sont sentis frustrés. Il se dressa encore contre lui la jurisprudence de beaucoup d’oulémas qui n’avaient pas encore senti la pertinence de l’appel, car l’heure dépassait toute attente.
Le noble Messager et l’ensemble de ses compagnons se sentirent à l’étroit à cause des persécutions et de l’adversité de leurs propres frères et sœurs au sein de leur clan respectif. La situation était devenue intenable.
Les autorités coloniales de l’époque cèdent face à l’incontinence de réclamations faites par les proches parents de Limamou, neveu du chef de canton Diali Beuk Diop. Ce dernier entreprit une médiation afin de ramener le fils, soutien de beaucoup de familles et connu pour ses qualités irréprochables.
Un refus courtois et ferme lui fut servi en ces termes par Seydina Limamou Laye Psl : «Vous voulez que je renvoie mes disciples d’ici pour rester seul et recommencer avec vous nos activités de pêcheur ? Non, cela ne se fera plus jamais. Dieu m’a placé au-dessus de vous et au-dessus de toutes les créatures.»
Devant son oncle et une forte délégation de dignitaires de la presqu’île du Cap Vert dépêchée sur place, le saint maître manifesta son courage et sa foi ferme. La réaction des autorités ne se fit pas attendre.
C’est ainsi que le commissaire de police Huguenin, à la tête d’une colonne de dix spahis, se rendit à Yoff le 7 septembre 1887 pour procéder à l’arrestation du Seydina Limamou. Il se heurta à des phénomènes miraculeux lorsqu’il se trouva face-à-face avec Seydina Limamou : les menottes qu’il lui mettait aux poignets tombaient à terre, le feu qu’il allumait sur la paille des cases s’éteignait dès que Seydina Limamou y posait sa sainte main, son pistolet s’enraya lorsqu’il voulut tirer en direction de Seydina Limamou.
Finalement, il voulut se saisir du saint maître, celui-ci lui fit une bonne prise et le projette violemment à terre. Huguenin dût rentrer bredouille. Dès lors, les colons décidèrent d’envoyer à Yoff une puissante expédition militaire. Elle y arrivera dans la nuit du 10 au 11 septembre 1887 à 3 h du matin.
Le délégué de l’intérieur, Cleret (successeur de Banginski), nous fait savoir dans son rapport du 19 septembre 1887 l’importance de cette expédition militaire. Il écrit en effet :
«Monsieur Bert formait une véritable colonne composée de cavalerie, infanterie et artillerie. Je fournissais 40 porteurs pour les bagages.»
Seydina Limamou reçut du maître du Trône Swt l’ordre d’aller en exil. Il demanda à ses adeptes de se disperser momentanément.
C’est dans la nuit du 10 au 11 septembre 1887 que Seydina Limamou Laye (psl), accompagné de Thierno Sarr Thiom, Abdoulaye Samb, Demba Mbaye, Ali Mbaye, prit le chemin de l’exil. Une dure épreuve à laquelle tout prophète eut à faire face. Longeant le rivage de la mer, Seydina Limamou (psl) et ses compagnons n’avaient aucune destination précise, seulement guidés par l’ange Gabriel qui leur indiquait la direction à suivre. En un moment donné, Seydina Limamou (psl) fit à ses compagnons signe de s’arrêter et leur dit : «Faites le tour et dites ce que vous trouvez, l’endroit devant nous protéger n’est pas loin d’ici.»
Cet abri n’était autre qu’un buisson appelé «nguedj» assez touffu, haut de quelques mètres, situé sur un monticule de sable. Nguédiaga est dérivé du nom de cet arbre très connu pour ses vertus médicinales. Le saint maître y a séjourné trois jours durant lesquels il a observé le jeûne.
Baye Abdoulaye Sylla nous apprend, dans son livre La belle réponse, que c’est avec de l’eau seulement qu’ils ont coupé leur jeûne les deux premiers jours. C’est au troisième jour, le mercredi, que sont arrivés Sam Penda et Sira Tall avec deux gourdes de lait caillé.
En ce moment, les autorités coloniales avaient contraint les sept villages lébou de la presqu’île du Cap-Vert : Dakar, Ouakam, Ngor, Yoff, Thiaroye/mer, Rufisque et Mbao, qui avaient provoqué les hostilités, de retrouver le saint maître. Tout le monde était mis en alerte. Errant de broussaille en broussaille, ils ne savaient où trouver Seydina Limamou Laye (psl) qui n’était pas très loin. C’est lui-même qui envoya un de ses compagnons pour signaler à ses parents lébous de sa présence sur les lieux. A leur arrivée devant le saint maître, celui-ci les exhorta d’aller maintenant vers l’autorité coloniale qu’ils crurent être en mesure d’arrêter sa mission divine.
C’est Belval, commissaire de police de Rufisque, qui informa l’administrateur Cléret et le juge Desvallons de l’arrestation de Limamou le 14 septembre 1887. En compagnie de son disciple Abdoulaye Diallo, il fut interné à Gorée pendant trois mois, avant de bénéficier d’un non-lieu. Libéré, il alla à Dakar chez son disciple Thierno Mbaye Sylla où il est resté neuf mois avant de fonder le village de Camberène.
C’est durant son séjour à Dakar que celui-ci lui donna sa fille Aminata Sylla, mère de Mame Mbaye Thiaw, en mariage.
C’est plus tard en 1904 qu’il créa le village de Malika en y installant quelques-uns de ses prosélytes, Mame Abdou Sène (premier chef de village), Lamine Gadiaga (premier imam ratib), Madieng Kébé et Ndiack Sow.
Sous le califat de Seydina Mandione Laye, l’actuel khalife général Seydina Abdoulaye Thiaw Laye, porte-parole à l’époque, initia en 1962 le pèlerinage de Nguédiaga dans l’après-midi du jour de la Tabaski. Selon le témoignage d’un de ses compagnons, Ngagne Demba Gadiaga, actuel imam ratib de la grande mosquée de Malika, ils étaient six à s’y rendre avec lui : Demba Gadiaga, Seydi Borso Sow, Alassane Ndioro Ba, Mamadou Diariétou Sow et deux habitants de Yeumbeul, Doudou Dia et Souleymane Diop. Il a ajouté qu’il leur avait ordonné d’effectuer sept fois le tour du monticule de sable avant de commencer leurs prières.
Sous le califat de Seydina Mame Alassane Laye, la cérémonie fut ramenée au lendemain de la Tamkharit, présidée par lui-même. Depuis sa disparition, elle se fait sous la conduite d’un représentant envoyé par le khalife.
Le site de Nguédiaga symbolise la bravoure de Seydina Limamou et de ses disciples face aux brimades du colonisateur renforcées par la haine farouche nourrie à son encontre par ses contemporains, sans motif valable. Allah Swt exalte la bravoure de ces nobles compagnons du Prophète Psl : «Ceux qui ont émigré pour Dieu après avoir subi des injustices, Nous leur affecterons un séjour agréable en ce monde, et leur rétribution dans la vie future sera encore plus belle, si seulement ils savaient. Ceux qui ont patienté et qui ont placé leur confiance en leur Seigneur.» Sourate 16 verset 41.
L’exil est donc une épreuve de la confiance, une fois encore. Tous les prophètes ont vécu cette épreuve du cœur, de façon toujours très intense, et tous les croyants à leur suite. Jusqu’où sont-ils prêts à aller, que sont-ils prêts à donner, d’eux-mêmes et de leur vie, pour l’Unique, Sa vérité et Son amour ? Telles sont les questions éternelles de la foi qui accompagnent chacune des expériences temporelles et historiques de la conscience croyante. L’Hégire fut une des réponses de la communauté musulmane à l’origine de son existence.
Assane NIANG
Shaaba de Seydina Limamou Lahi Al Mahdi Psl
Membre de la Commission scientifique Layène
deboniang@gmail.com