Alors que les perspectives de récolte de l’arachide sont particulièrement prometteuses au Sénégal, et que les données de la production atteignent des records, les industriels huiliers dans le pays semblent au bord du désespoir, et indexent les mauvaises politiques de l’Etat. La situation semble si désespérée que l’un des plus importants huiliers du Sénégal, la Copeol, veut arrêter son activité dans le pays. Son Directeur général, Nicolas Brugvin, de passage à Dakar, s’en explique dans cet entretien avec Le Quotidien.

Quelle est la raison de votre présence à Dakar ?
Je suis venu rencontrer nos équipes, nos confrères de West African Oil (Wao) et de la Sonacos, mais surtout les autorités sénégalaises, pour leur expliciter la position de Copeol pour la prochaine campagne. J’ai rencontré les responsables du Cnia ainsi que les membres du comité de suivi du protocole Etat/huiliers. Je n’ai pas pu rencontrer notre autorité de tutelle, le ministre de l’Agriculture, du fait de son agenda chargé.

Il se dit que Copeol Sénégal ne participera pas à la prochaine campagne d’arachide. Cela est-il confirmé ?
Ce n’est pas tout à fait exact. Depuis plusieurs années, nous avons initié un programme de contractualisation avec les producteurs et ce notamment, au travers de l’Asprodeb, qui est le bras armé du Cncr. A ce titre nous avons fourni, en dehors du programme gouvernemental, 6 000 tonnes de semences certifiées et 6000 tonnes d’engrais à des milliers de producteurs, ce qui représente environ 45 000 ha. Nous sommes engagés au­près de ces agriculteurs et nous allons bien entendu, collecter leurs productions dans la limite des volumes définis contractuellement, soit environ 27 000 tonnes, mais nous n’irons pas au-delà.

Vous n’agréez donc aucun opérateur ?
Non, et nous les en avons informés, ainsi que le Cnia, depuis plusieurs semaines.

Qu’est-ce qui justifie cette position ?
Tout simplement parce que ce n’est pas rentable. L’Etat a fixé le prix de l’arachide à 210 F Cfa alors que les cours de l’arachide, huile et graine, se sont effondrés sur les marchés internationaux. Ces cours sont exprimés en dollar, qui s’est lui-même déprécié. Aujourd’hui, si vous achetez de la graine d’arachide pour produire de l’huile pour l’exportation, vous perdez 70 F Cfa par kilo de graines acheté. Nous acceptons cette charge pour honorer nos engagements avec les producteurs qui nous ont fait confiance, mais ce n’est pas à une société privée d’assumer les engagements de l’Etat.

Mais l’Etat ne compense-t-il pas ce différentiel par le biais du protocole Etat-Huiliers ?
Lors des dernières campagnes, l’Etat a effectivement annoncé des mesures. Puis, face aux contraintes budgétaires, il en a modifié les modalités d’application, après la campagne, au détriment des huiliers. Nous avons perdu 3 milliards de francs Cfa sur ces deux campagnes. Il y a un moment où les actionnaires disent stop !
De plus, nous constatons que les autorités assument le fait de favoriser la société nationale et assomment les producteurs privés avec des contrôles fiscaux ou douaniers surréalistes. Pour ce qui nous concerne, nous subissons un redressement fiscal de 8 milliards de francs Cfa, sur des motifs totalement fantaisistes, dans une société qui a perdu 6 milliards depuis sa création. Le message est assez clair et nous l’avons compris.

Pourquoi dites-vous perdre de l’argent alors que les Chinois en gagnent, puisqu’ils achètent l’arachide du Sénégal ?
Les Chinois achetaient l’arachide plutôt que l’huile, tout simplement parce que la Chine taxe cette dernière à 21% à l’entrée en Chine, alors que la graine n’est pas taxée. C’est une politique classique pour favoriser son industrie nationale.
Ceci étant, cela était vrai par le passé, car aujourd’hui les cours sont tellement bas qu’ils préfèreront s’approvisionner ailleurs. Rendez-vous compte que les Etats-Unis garantissent un prix à leurs producteurs 35 F Cfa/kg moins cher que le gouvernement sénégalais et il s’agit d’arachide de bouche, qui se valorise mieux sur les marchés.
Les industriels chinois ne cherchent pas aujourd’hui à s’approvisionner sur le marché sénégalais car ils le jugent trop cher. Malgré tout, il restera forcément un certain nombre d’opérateurs pour qui l’arachide est avant tout un moyen de rapatrier des devises, mais ceux-ci privilégient les circuits informels, sans garantie pour les producteurs.

Est-ce la fin de Copeol Sénégal ?
Aucune décision n’est prise à ce jour. Comme je vous l’ai dit, nous allons collecter nos con­trats et nous aviserons ensuite, mais il est clair que, pour le moment, tout indique que nous allons vers un arrêt de l’activité, car le contexte est totalement défavorable à l’activité d’huilerie au Sénégal.
Le gouvernement a misé sur la société nationale. Mais la réalité économique est la même pour les acteurs privés et publics et probablement plus difficile encore pour la Sonacos, du fait de sa taille et du poids de l’endettement passé. In fine, c’est le contribuable qui paiera et l’addition risque d’être salée, la disparition des acteurs privés n’y changera rien.

Et qu’adviendra-t-il alors de votre programme de contractualisation, qui était très apprécié des producteurs ?
C’est notre plus grand regret, car c’était notre principale fierté. Nous sommes parvenus sans aucun support de l’Etat, qui nous a refusé l’accès aux intrants subventionnés, à fédérer des milliers de producteurs et à améliorer leurs conditions d’exploitation dans un rapport gagnant-ga­gnant. Malheureusement, la politique de l’Etat s’est orientée vers la satisfaction des revendications des opérateurs et des exportateurs plutôt que celle des producteurs et industriels. Il faut en tirer les conséquences.
mgueye@lequotidien.sn