24 heures après la nomination de Latif Coulibaly comme ministre de la Culture, «Le Quotidien» a tendu le micro aux acteurs afin qu’ils se prononcent sur celui qui désormais portera leur combat pour l’avancée du secteur. Sans langue de bois, chacun a partagé son regard. Et l’on se rend bien à l’évidence que tous restent optimistes et gardent espoir.
Marouba Fall, dramaturge et poète«J’ai des préjugés favorables»
Je connaissais bien le journaliste et bien sûr quand il est entré dans le gouvernement je l’ai suivi. J’ai écouté ses discours, lu ses ouvrages. C’est donc quelqu’un qui a un profil intéressant. Parce qu’un journaliste c’est comme nous autres écrivains. C’est quelqu’un qui est en contact avec la langue, la civilisation, la société. Je ne le connais pas plus que ça, mais j’ai des préjugés favorables. Parce que la culture, pour moi, c’est simple. Il suffit tout simplement de comprendre que c’est un monde ouvert… Pour donner un bon exemple de ministre de la Culture, je pense souvent à Jack Lang… Parce qu’un ministre de la Culture ne doit pas s’enfermer, il ne doit pas aussi s’accoutumer avec une catégorie d’artistes. Il doit être ouvert et connaître les artistes, lire les livres, aller voir les plasticiens, assister à leurs expositions, comprendre un peu ce que c’est que l’art, la culture, ce que c’est un livre et un tableau de peinture. C’est ça qui a plus ou moins manqué et peut-être les infrastructures culturelles que nous avons aussi, il faut veiller à ce qu’elles soient productives. Qu’on mette les hommes qu’il faut à la place qu’il faut ! Quand on a par exemple un théâtre où ce sont plus des chants religieux, des cérémonies je ne sais pas quoi, ce n’est pas normal. Coulibaly est un journaliste, c’est donc quelqu’un de curieux. Je pense qu’il pourra faire l’affaire…
Amadou Lamine Sall, écrivain poète«Il faut que Latif Coulibaly corrige cette absence du ministre sur le terrain culturel»
C’est un homme qui respecte la pensée, un homme profondément soucieux de la qualité de l’esprit. C’est un bon intellectuel, engagé. Je suis sûr qu’il fera un bon travail au ministère de la Culture. Il a la capacité intellectuelle, la capacité d’écoute pour diriger ce ministère. Je connais Abdou Latif Coulibaly, c’est un frère, et ce que j’attends de lui, il le porte déjà. C’est-à-dire beaucoup d’écoute, de l’efficacité, et surtout être un acteur du terrain. Il ne faut pas se consigner dans les bureaux, il faut descendre dans les régions, être à l’écoute des écrivains et artistes. Parce que notre pays regorge de talents et ces derniers ne sont pas soutenus. Ce qu’il nous faut aussi, c’est renouveler le théâtre national Daniel Sorano, les centres culturels régionaux. Et ce qui est fondamental également est d’aider le président de la République à ne pas être trop éloigné des comédiens, écrivains, les artistes en général. Je ne suis d’ailleurs pas surpris de cette décision du Président. Parce qu’il a toujours accordé un grand intérêt à la culture. Mais la seule chose qui a manqué au ministère, c’est la proximité avec la culture, avec les acteurs culturels. Et il faut que Latif Coulibaly corrige cette absence du ministre sur le terrain culturel.
Elie Charles Moreau, poète et directeur général de la maison d’édition «Le nègre international».«Attendons qu’il déroule sa feuille de route»
Oui, Abdou Latif Coulibaly est un intellectuel classé parmi les intellectuels qui comptent dans ce pays. C’est un homme de médias. Les gens n’ont pas encore conscience qu’au Sénégal, on n’est pas 14 millions de citoyens, mais 14 millions d’acteurs culturels. Parce que tout le monde possède en lui la culture. Mais le malheur est que dans ce pays, on n’a pas encore pris conscience que la force la culture est tant au niveau institutionnel et intellectuel. Quand on parle de culte de valeur, la culture est mieux adaptée pour que les valeurs ne soient pas bafouées. Dans les pays normaux, la culture génère effectivement énormément d’argent à l’économie nationale. Il faut signaler qu’il y a autant de défis et enjeux qui l’attendent. Pour ces défis à relever, il y en a plein… On ne peut pas tout citer ici. Il faut d’abord attendre que Mbagnick Ndiaye et Abdou Latif Coulibaly fassent passation de service, ensuite qu’on puisse écouter Latif dérouler sa feuille de route.
C’est un nouveau ministre, il aura sa mission, on lui confiera des tâches. Il devra répondre aux attentes des artistes. Maintenant, il est compétent, il peut le faire, il ne peut pas le faire, je ne peux rien dire la dessus. Il faut l’attendre à la tâche. Ce que je peux dire, c’est qu’aujourd’hui le caractère international de mobilisation, concertation à travers le monde mérite la connaissance du secteur. Maintenant, il faudrait peut-être en connaître davantage les problèmes du secteur pour pouvoir faire face, car ils sont nombreux.
Alioune Badara Bèye, Président de l’Association des écrivains
«C’est quelqu’un qui connaît le milieu »
Nous lui souhaitons la bienvenue. Il fait partie de la famille. Ce qui est important, c’est que c’est quelqu’un qui connaît le milieu. La culture est aussi un secteur à mouvoir, c’est un secteur qui bouge beaucoup, donc qui rencontre des problèmes majeurs et qui a besoin de moyens. Je pense qu’en lui attribuant ce ministère, il répondra aux attentes des acteurs.
Latsouck Ndiaye, Expert consultant en suivi évaluation de projets culturels«Et si avec Latif Coulibaly l’espoir revenait à la culture !»
J’ai eu plusieurs retours sur la nomination de Abdou Latif Coulibaly à la tête du département de la Culture en remplacement de Mbagnick Ndiaye. Il ne suffit pas d’écrire des livres comme l’ont soutenu plusieurs personnes pour être un bon ministre de la Culture. Il faut aussi avoir des capacités managériales pour bien diriger ce département de la Culture qui, au Sénégal, est complexe par ses moyens, ses infrastructures et ses ressources humaines. Il est aussi évident de connaître les nouveaux enjeux et les orientations que la nouvelle ère exige comme transformation à la culture et à l’économie qu’elle peut apporter au développement du pays. Le magistère de Mbagnick Ndiaye au ministère de la Culture, qui a reflété un management participatif inspiré de la gestion associative, doit servir à Abdou Latif Coulibaly de leçon afin qu’il s’en inspire pour apporter des solutions aux insuffisances du bilan de son prédécesseur. Le département de la Culture doit être un modèle de bonne gouvernance. C’est sous cet angle que je vois la nomination de Latif puisqu’il avait été le ministre de la Bonne gouvernance sous le Président Macky Sall. Les fonds qui régulent le secteur de la culture dans le domaine des appuis à la création, à la production ou à la promotion comme le Fonds d’aide, le Fopica, le Fonds à l’édition, le Fonds pour les cultures urbaines etc. tous ces fonds doivent être gérés dans la plus grande transparence. Des commissions doivent être mises en place avec des orientations claires, des termes de référence, des lignes directrices. Des appels à candidatures, des jurys autonomes, des sélections méritées pour les subventions, des bilans et des évaluations qui sont respectés pour promouvoir l’égalité des chances, mais surtout pour donner l’opportunité aux plus méritants afin de booster la créativité et de rendre la production artistique plus compétitive au niveau régional et international. Le secteur de la formation est en décadence, le statut de l’artiste reste toujours encore squelettique, l’organisation du secteur reste à désirer. Bref, tous ces maux qui gangrènent le secteur plombent l’envol de la création, de la production et de l’industrie culturelle sénégalaise, gage d’une véritable économie de la culture. D’autre part, la mission du nouveau ministre de la Culture doit aussi s’articuler autour de la remise en place d’une façon claire et efficace du secteur de la culture dans le Programme du Sénégal émergent (Pse). Le volet culturel reste toujours un grand flou dans ce grand tourbillon de programmes malgré certaines initiatives très disparates. Ainsi, après avoir extirpé le volet culturel dans ce qu’on peut appeler le 11ème Fed, on pouvait penser que ce programme ambitieux allait prendre le relais. Mais jusqu’à présent, rien de palpable sinon que de décréter 2017 comme l’Année de la culture, sans actions, ni programmes ou autres importantes activités coordonnées. Peut-être les quatre mois qui restent dans l’année seront vraiment consacrés à la célébration de cette Année de la culture sous l’impulsion du nouveau ministre avec une dynamique continue. Voilà à mon avis quelques-uns des grands chantiers qui attendent Latif à la tête de culture sans oublier la pérennisation, par l’appui à l’autonomisation, des grands événements culturels, à savoir les festivals qui ponctuent l’agenda culturel du pays, mais qui sont de plus en plus fragilisés, voire étiolés par les événements ponctuels budgétivores à cause justement de leur caractère business et politicien. Enfin, il est important aussi de noter que le cabinet qui accompagne le ministre joue un rôle déterminant sur les performances du département ministériel, car certains ministres ne choisissent pas leur cabinet, dirait-on, tellement il y a de la divergence sur les dossiers. Par conséquent, cela engendre beaucoup de blocage ou de ralentissement au niveau de la mise en œuvre. La nomination de Latif peut alors susciter de l’espoir vu la grande bataille qu’il a gagnée sur les questions de bonne gouvernance. A cela s’ajoute qu’il hérite d’un département qui a la spécificité de ne s’occuper que de la culture. Donc wait and see !