Non au mémorial de Gorée !!!

Le gouvernement de son Excellence, monsieur Macky Sall, a hérité du régime précédent, entre autres projets, celui dit du mémorial de Gorée. Ce projet a fait couler beaucoup d’encre et fut l’objet d’une série de critiques objectives, dont la pertinence devrait pousser au moins les initiateurs à revoir leur étude. Nous espérons que nos dirigeants actuels, comme leurs prédécesseurs, prêteront une oreille attentive aux objections formulées à l’encontre de ce projet.
Ce projet, pour la réalisation duquel un concours international d’architecture avait été ouvert et le lauréat du 1er prix, l’Italien Ottavio Di Blasi, avait été choisi, son coût s’élevait avant l’an 2000, à 24 milliards de francs Cfa, plus de 100 milliards aujourd’hui. Les sources de financement visées par les promoteurs étaient : Etat du Sénégal, Unesco, communauté internationale, fondations et institutions spécialisées, personnes physiques et morales, dons et legs, partenariats divers.
La problématique que soulève ce projet se résume en deux questions :
Pourquoi le projet ?
Pour qui le projet ?
La réponse des promoteurs figure en bonne place dans la fiche synoptique qu’ils avaient mise à la disposition du public :
Le mémorial se présente comme la place d’un village africain, qui a été témoin d’une tragédie qui l’a coupée en deux parties, séparées par la mer. Le long de cette ligne de fracture se dresse le mémorial.
Un lieu de souvenirs et de rencontres, resserrer les liens entre l’Afrique et les Africains de la Diaspora à travers le monde.
Nous pensons que la construction d’un village africain, qui témoigne d’une tragédie qu’il n’a pas vécu, est une escroquerie politico-culturelle, qui procède d’une manipulation idéologique certaine.
La Maison des esclaves de Gorée est un témoin oculaire, de même que la plupart des maisons de l’île-mémoire, dont la simple évocation du nom renvoie à l’esclavage.
Les festivals, comme celui des arts nègres de Dakar en 1966, Lagos en 1977 ou encore Dakar en 2010, resserrent les liens entre l’Afrique et les Africains de la Diaspora. Gorée est le lieu du souvenir vivant et des rencontres, le seul qui mérite d’être sauvegardé. La construction d’un témoin postérieur aux évènements, à une échelle mille fois supérieure à la grandeur nature, relève d’intentions obscures et d’objectifs inavoués. De même que les interminables festivités folkloriques et autres ballets souillés, organisés sur l’île pleine de souffrances, sont une profanation de la mémoire des victimes. Les juifs n’iront jamais festoyer à Auschwitz, mais plutôt pour se recueillir sur leurs lieux de souffrance.
En outre, le projet tel qu’il se présente est incontestablement une sublimation du souvenir de l’esclavage, pour en faire le repère de l’histoire de l’homme noir : un négrier en béton armé, avec son pont de 25 000 mètre-carré et son mât de 135m de hauteur, visible même des îles du Cap-Vert. Il procède d’une logique néocoloniale offensive, d’agression politico-culturelle, d’aliénation et d’acculturation, tendant à cultiver et perpétuer chez les peuples d’Afrique et de la diaspora, le complexe d’infériorité que confère l’idée saugrenue d’appartenir à une humanité inférieure, sans civilisation et sans histoire, dans le but d’imposer une nouvelle conquête culturelle et morale.
A ce propos, Cheikh Anta Diop faisait la remarque que : «Le souvenir de l’esclavage récent, dont la race nègre a été l’objet, savamment entretenu dans la mémoire des hommes et en particulier dans celle des nègres, affecte souvent la conscience de ces derniers de manière négative» (Cheikh Anta Diop, Nations nègres et culture, page 55).
La négation à l’Afrique noire d’une histoire, donc d’une identité et d’une personnalité culturelle, voire d’une civilisation, procède de l’étouffement de tout sentiment de continuité historique générateur de conscience nationale, elle constitue sans doute l’offensive morale préalable à l’exercice de la domination.
L’auteur de Nations nègres et culture conforte cette thèse : «L’essentiel pour le Peuple est de retrouver le fil conducteur qui le relie à son passé ancestral, le plus loin possible. Devant les agressions culturelles de toutes sortes, devant tous les facteurs désagrégeant du monde extérieur, l’arme culturelle la plus efficace dont puisse se doter un Peuple est ce sentiment de continuité historique.» (Op p.271)
Il savait que la parenthèse de l’esclavage et la colonisation est la discontinuité historique, qui a toujours servi de prétexte à l’Occident pour ensauvager le nègre et l’exploiter continuellement, avec une bonne conscience, imperturbable.
Le mémorial suit la même logique d’avant-garde que celle qui préparait la colonisation, avec comme support, les théories hégéliennes pour la cautionner moralement : «L’Afrique au Sud du désert du Sahara, aussi loin que remonte l’histoire, est restée fermée, sans lien avec le reste du monde… Dans cette partie principale de l’Afrique, il ne peut y avoir d’histoire proprement dite. Ce qui se produit, c’est une suite d’accidents, de faits surprenants. Il n’existe pas un but, un Etat qui pourrait constituer un objectif» (Hegel, La raison dans l’histoire 10/8 page 247). C’est la raison pour laquelle Gallieni disait : «Nous allons en Afrique pour leur apporter la civilisation.»
Suivant toujours cette logique avant-gardiste, le Président français, Nicolas Sarkozy, vient à Dakar à l’université Cheikh Anta Diop, pour rappeler le propos hégélien à l’homme africain, qui doit se convaincre que son retard n’est pas imputable à l’esclavage et la colonisation, mais plutôt à son entrée tardive dans l’histoire de l’humanité. Cette sortie de Sarkozy montre à suffisance que l’Occident sait commettre un crime parfait en convaincant les noirs, victimes de ses propres agressions, qu’ils en sont eux-mêmes les coupables. La mise à mort de Mouhamar Kadhafi et la déstabilisation du Sahel, qui s’en est suivie, montrent à ceux qui veulent le voir, que l’Occident est prêt à tout pour maintenir l’Afrique dans la malléabilité et la soumission totales, encore longtemps.
Revenons au mémorial pharaonique que les promoteurs nous proposent. Il suggère que l’histoire de l’homme africain se résume à l’esclavage et que la colonisation l’a fait entrer dans l’histoire de l’humanité. Il passe sous silence les brillantes civilisations précolombiennes portées par les empires du Mali, du Ghana, Le Monomotapa… Il occulte ou blanchit la lointaine Egypte pharaonique, foyer de la première civilisation connue dans l’histoire de l’humanité, première civilisation nègre, berceau des lettres et des arts, d’où proliférèrent toutes les civilisations postérieures… Les mémorialistes et leurs parrains occidentaux sont vraiment dérangés par la restauration scientifique de la vérité historique, faite par l’auteur de Civilisation ou Barbarie ; ils sont apeurés par la résilience intellectuelle que ses idées charrient, le réveil brutal des peuples africains et le renouveau du panafricanisme les effraient. Le choix de l’université Cheikh Anta Diop, par le Président Nicolas Sarkozy pour faire son fameux discours de Dakar, n’est pas gratuit.
Nous pensons que sauvegarder des monuments historiques classés patrimoine mondial est une bonne chose, et en construire pour commémorer un mauvais souvenir, une autre chose.
En effet, ce projet dénoncé en 2000, au lendemain de l’alternance, allait passer inaperçu à l’époque, si ce n’était le site choisi. Les mémorialistes et leurs parrains avaient déguerpi sur la corniche-ouest, une prestigieuse institution scolaire, en l’occurrence le Collège d’enseignement moyen Isaac Foster, de surcroît à la veille d’une rentrée scolaire et renvoyé des centaines d’élèves et dizaines d’enseignants, en errance dans les autres établissements où ils accentuèrent la pléthore.
Soyons sérieux, à l’orée du troisième millénaire, pendant que l’aggiornamento tourne autour de ce qu’il est convenu d’appeler un village planétaire, où la préoccupation des peuples est l’union pour le développement et la démocratie dans ce que le poète-président Léopold Sédar Senghor aimait appeler la civilisation de l’universel, nous avons autre chose à apporter au reste du monde que de dresser à la porte de l’Afrique, au cœur de la capitale du Sénégal, pleine de symboles, une honteuse tour de lamentation tournée vers les Amériques, où brûle la gigantesque torche de la liberté, comme pour opposer les deux symboles et marquer la dualité maître-esclave.
Nous pensons que l’humanité ne doit pas se faire par l’humiliation des uns au profit des autres. Les inventeurs du mémorial de Gorée osent-ils demander :
Aux juifs d’Israël d’ériger un mémorial pharaonique en souvenir de l’esclavage auquel les Egyptiens les avaient réduits pendant plus de 400 ans, comme en témoigne la Bible. «Alors les Egyptiens assujettirent les Israélites à une servitude rigoureuse. Ils leur rendirent la vie amère par un rude travail avec l’argile et les briques, et tout le travail des champs, c’est-à-dire par tout le travail auquel on les asservissait avec rigueur» (L’Exode, chapitre 1 13- 14).
Osent-ils demander à la France d’ériger la statue d’un géant nazi de 135 mètres de haut, marquant le pas sur les Champs-Elysées, pour se souvenir de l’occupation allemande. On sait que sa libération incombe beaucoup à ces milliers de Tirailleurs sénégalais, dont de nombreux rescapés furent payés en monnaie de singe à Thiaroye.
Osent-ils demander à l’Allemagne de reconstruire le mur de Berlin pour se souvenir de l’humiliation de la capitulation.
Osent-ils demander à l’Espagne de restaurer les vestiges de l’occupation arabe musulmane, au lieu de transformer les mosquées en église.
Le Président Abdoulaye Wade avait entendu notre appel, en 2000. C’est ainsi qu’il avait proposé et réalisé le Monument de la Renaissance africaine qui, malgré les critiques, symbolise l’espoir, contrairement au mémorial de Gorée, qui véhicule une idéologie de la soumission.
Les professeurs Amadou Maktar Mbow et Pathé Diagne sont offusqués et chagrinés par ce projet, qui est avant tout une caricature du Mémorial Gorée-Almadies, qu’ils avaient pensé et qui consistait à une réédition scientifique de la découverte de l’Amérique par le Mansa malien, Bakary II, en 1312, deux siècles avant Christophe Colomb. Leur projet avait l’ambition de rétablir la vérité historique, il véhiculait une idéologie diamétralement opposée à celle de ces mémorialistes.
Nous dénonçons cette exploitation tendancieuse de la culture, orchestrée par l’Occident et ses relais locaux, pour perpétrer des manipulations idéologiques dévalorisantes et désarmantes de l’Afrique, dans le but évident de la ferrer par des complexes d’infériorité face aux réels enjeux du développement.
La culture, ce n’est pas seulement les lettres et les arts, encore moins le folklore et la danse, mais ce sont aussi les sciences et techniques, contrairement à cette acception réductrice du concept dans laquelle sont formatés les mémorialistes et dont se complaisent certains lettrés africains, depuis fort longtemps. Cette acception simpliste est intellectuellement paresseuse devant les sciences et techniques. Elle est savamment entretenue pour confiner le continent dans une posture passive d’éternel consommateur de produits manufacturés ailleurs, comme du temps de l’esclavage. Elle l’éloigne du savoir scientifique véritable et le maintient dans la domination qui est, en amont et en aval, scientifique et technologique. Les fusils et les chaînes d’hier, les drones et missiles intelligents d’aujourd’hui, en sont des preuves et non des moindres.
C’est pourquoi Cheikh Anta Diop invitait la jeunesse africaine à s’armer de science jusqu’aux dents. Cela, les Chinois, Indiens, Coréens, qui tutoient les puissances occidentales, l’ont bien compris.
Le Président Macky Sall en est très conscient. Dès l’entame de son premier mandat, en avril 2013, il posa les jalons de ce qui devrait contribuer à une appropriation véritable de la science et la technologie, en commençant par de grandes orientations pour la réforme de l’enseignement supérieur. Il institua pour la première fois au Sénégal, une Direction de la promotion de la culture scientifique au sein du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, ainsi que les projets d’établissement axés sur les sciences dans l’enseignement moyen. Tout cela pour inverser la tendance des apprenants, dont seulement 20% environ sont dans les filières de science et technologie.
Mais, le Président Macky Sall doit vaincre d’abord le piétinement programmé depuis belle lurette, de l’homme sénégalais face à la science et la technologie, marqué par : cette acception réductrice du concept de culture, une recherche scientifique extravertie et colonisée, un système éducatif déroutant, une organisation administrative discriminatoire, des obstacles socioculturels qui rament à contre-courant de la promotion de la culture scientifique.
Le volontarisme scientifique se pose comme un enjeu de taille pour hisser notre pays à l’émergence économique. Il nous faut jeter le regard au fond des puits de pétrole et de gaz pour percer leur secret, mais non dans les nuages pour contempler un négrier géant qui muselle la pensée. Le mémorial est semblable au criminel impuni qui revient sur les lieux du crime, ragaillardi pour commettre un nouveau forfait : la colonisation cérébrale des champs de la mémoire africaine.
Nous invitons les mémorialistes au débat, de même que tous les hommes de culture, notamment les insurgés qui avaient répliqué par un livre-réponse collectif contre la sortie à l’université Cheikh Anta Diop, du Président français Nicolas Sarkozy.
Nous lançons solennellement un appel à son Excellence monsieur Macky Sall, président de la République du Sénégal, pour arrêter pendant qu’il est encore temps, ce projet douteux, rétrograde, indéfendable, aux desseins obscurs, culturellement agressif et injuriant, moralement humiliant.
Excellence ! Vous avez la responsabilité historique de construire ou de ne pas construire ce projet, cette patate, que les parrains occidentaux des mémorialistes locaux intéressés, ont encore réchauffée.
Nous, du Collectif contre le mémorial de Gorée, nous vous apporterons notre soutien désintéressé pour l’abandon de ce projet et la dissolution de sa fondation porteuse, en réchauffant nos arguments qui avaient convaincu votre prédécesseur, le Président Abdoulaye Wade, les professeurs Amadou Maktar Mbow et Pathé Diagne, de nombreux universitaires, des intellectuels de tout bord et des milliers de Sénégalais signataires de la pétition que nous avions fait circuler en 2001.
Docteur Birame FALL
Sociologue spécialiste de la science et culture.
Président du Collectif contre le Mémorial de Gorée
biramefall1960@gmail.com
1 Comments
scandale absolu, surout pour le goréens.
LE SEUL MEMORIAL DE GOREE, C’EST GOREE.
Et pendant que certains s’inventent une éléphant rose, Gorée se meurt.
C’est à la restauration de Gorée que doit être destinée tout subvention éventuelle.
Nous, goréens, avions monté un mouvement « Sauvons Gore », fait des propositions concrètes, rencontrés des ministres qui n’ont pas dans leur vocabulaire le mot Patrimoine, que faite, où hurler ? Auprès de l’UNESCO qui se disqualifie avec ce projet ?