Le projet de déplacer le Palais de justice de Rufisque est non seulement une entorse administrative territoriale, mais aussi et surtout, une atteinte à la mémoire collective pour une ville chargée d’histoire et de culture. Nous pouvons dire que l’histoire judiciaire du Sénégal, qui remonte bien avant l’indépendance, est en partie liée à l’histoire de la ville de Rufisque et à son Palais de justice qui a connu de grands magistrats dont un des plus éminents s’appelle Mody Coumba Ba. Délocaliser le Palais de justice classé dans le patrimoine de la ville hors de Rufisque, revient à détruire un monument historique, comme s’il s’agissait de déplacer l’Arc de triomphe réhabilité hors de Paris. De plus, la ville de Rufisque, qui concentre toutes les institutions départementales depuis Mathusalem, est le chef-lieu du ressort. Quelle raison fondamentale supérieure peut amener certaines autorités à vouloir délocaliser le Palais de justice de Rufisque à Diamniadio ? Ce n’est certainement pas l’attrait du nouveau pôle urbain dont les infrastructures ont une vocation nationale.
Située en eau profonde sur une baie unique dans la frange sud de la Presqu’île du Cap vert, cette ville a attiré la première puissance navale mondiale pour en faire le premier port du Sénégal sur l’atlantique. Ce n’est pas un hasard que le nom de Rio Fresco ou la ville fraîche, Rufisque, fut donné à cette bourgade de pêcheurs par les premiers conquistadors portugais, localité devenue commune de plein exercice déjà en 1880. Ce premier port de notre pays sur l’Atlantique a fait de la ville de Rufisque la capitale économique du Sénégal pendant de nombreuses années jusqu’à son transfert à Dakar, au point que ses institutions comme le Palais de justice sont devenues légendaires. Nous pouvons même dire que Rufisque a été, pendant plus d’une vingtaine d’années (1948-1968), la capitale politique du Sénégal pour avoir abrité à l’Hôtel de ville, le siège du Bds qui venait d’être créé en 1948 par le Président Senghor et le président Mamadou Dia avec le ralliement du maire Maurice Guèye qui fut le premier maire des quatre communes à rejoindre cette nouvelle formation politique issue de la scission de la Sfio section sénégalaise du président Lamine Guèye.
Rufisque est une ville quadri-centenaire avec ses ports qui reviennent (Sendou, Ndayanne), ses longues et majestueuses avenues et ses rues en damier. Faisant partie des quatre communes avec Saint-Louis, Gorée et bien plus tard Dakar si l’on remonte loin dans l’histoire, la splendeur d’antan de Rufisque en tant que capitale économique du Sénégal jusqu’à tout récemment avec le transfert de son port à Dakar en 1926, est en train de revenir avec le dégagement des activités portuaires de Dakar à Sendou et Ndayanne, car ce sont les ports qui font les villes et leur dynamisme. Chemin faisant, le port de Dakar est en train d’étouffer au vu de la quasi saturation de ses quais avec l’accroissement du trafic maritime, relevant les surestaries, le règne des camions dans Dakar-Plateau intra-muros pour le dépotement des navires, empêchant la mobilité urbaine dans la capitale du Sénégal.
En plus d’une ville quadri-centenaire riche d’un patrimoine historique et culturel incommensurable, cette ville bien tracée, d’une beauté rare, faisant partie du Top architectural des œuvres urbaines mondiales, Rufisque possède au plan immatériel une mémoire collective ancestrale lui conférant une âme vivante, à la différence des nouvelles capitales melting pot. Ce serait véritablement un sacrilège que de délocaliser le Palais de justice de Rufisque d’un lieu mythique vers un no man’s land, d’autant que ce lieu mythique est le chef-lieu du département très bien fréquenté par les populations environnantes.
Kadialy GASSAMA
Economiste
Rue Faidherbe X Pierre Verger
Rufisque