Non messieurs-dames, vous n’aimez pas le Sénégal !

L’on devrait tout un chacun se poser une simple question : peut-on aimer de trois cents manières une femme ? Quels en seraient les facettes, les inédits, les multiples grâces et nirvanas ? Et si Ronsard donnait la réponse lorsqu’il disait que «l’amour, c’est un je-ne-sais-quoi ?». Nous avons trois cents partis pour une femme convoitée, trois cents messages d’amour soi-disant les plus mielleux les uns, les autres. Cette dame courtisée s’appelle le Sénégal qui enregistre présentement trois cents candidats à l’élection présidentielle. Il a été recensé à travers le monde pas plus de dix fleurs qui symbolisent les gestes d’amour. Les bouquets de fleurs dont les plus marquants sont : la tulipe rouge, la rose, la rose orange, l’arum, la pivoine, le camélia, la rose blanche, le lilas, le lys, pour ne citer que celles-là. On a vite fait le tour de ces symboles de romance. La courtisée connaît donc la nomenclature et ne saurait s’attendre à autre chose que du déjà-vu. De ce point de vue, la sérénade joue en boucle et fatalement patatras : la routine, la lassitude des mêmes morceaux deviennent vite des refrains démodés, agaçants dans l’oreille de la précieuse. Voilà le scénario commun des trois cents musiciens-politiciens qui veulent conquérir le Sénégal.
Dans un langage moins métaphorique, le cas du Sénégal est inédit avec ce bataillon de partis, une situation unique dans un pays dit démocratique. Point besoin d’aller sur Google pour vérifier ce constat. Nous sommes les premiers à abriter sous nos cieux, une telle folie. Ces partis politiques sont tous nés d’amour rentré, de frustrations, de défenestrations qui nous plongent dans un mal vivre réel, dans une vraie détestation de la politique à l’aune de leur attitude sans classe. Ces partis nés, avec euphémisme, par suite de remerciement du chef, ont presque une idéologie revancharde qui leur est commune, avec comme finalité : le dégagisme. Un dégagisme pervers avec des effets pernicieux, étant entendu que la fin justifie les moyens pour faire mal. En regroupement, c’est néanmoins une armée mexicaine, mais que l’on retrouve quand sonne l’heure de partage du butin sur notre dos. A l’arrivée de ce coup de boutoir, de cette revanche, commence le règne du désordre, d’une gent politique inattendue à la barre, tellement l’envie d’en découdre est grandissime. L’analyse du moment renseigne souvent sur des regrets obsédants dans les actions des mandataires, leur manque d’urbanité, de compétence, de sens républicain dans leur gestion. Aujourd’hui, c’est l’avènement d’outsiders pur jus installés soit par inadvertance, soit par complaisance, qui certainement dans leur intimité, se demandent ce qu’ils font là. Cette posture d’en découdre est devenue une parfaite désillusion. Il est hélas trop tard, mais il y a néanmoins dans les confidences, une sorte d’aveu d’échec, une sorte de lucidité reconquise sur l’irréflexion d’hier. Alors comment dans un tel bazar, manifester son sens des responsabilités, son amour pour son pays quand on a proposé ou installé parfois de vrais énergumènes dans un fauteuil, payés par le contribuable ? De Gaulle n’avait-il pas raison quand il disait que «la France est une personne, il faut la respecter» ? Où est le don de soi, le sens commun justement pour éviter les extrêmes de la revanche, le positionnement du politicien pour la satisfaction de ses besoins ? Où est Dieu dans les épreuves en cas de perte de poste, la résilience dans pareille situation ? Sous nos cieux, dès qu’on sort d’une station, la déception est à son comble, c’est le nouveau visage du déchu qui inquiète. En effet, hier l’enflure rhétorique, obséquieuse dans nos pauvres oreilles à l’endroit du chef, change aujourd’hui de gamme, de mesure. Le ton devient fielleux, méchant, haineux. Question d’agenda ? On libère les cafards à présent. Il faut abattre «l’ingrat» de chef. Le déballage en amont ne le permettait pas, car le personnage était en apesanteur avec le patron. L’utilisation du bâton, c’est toujours en aval. Cette posture iconoclaste est une tradition chez nous. Quand la tauromachie est lancée, le toréador veut immédiatement, nous pauvres citoyens, nous convertir à sa nouvelle démarche, nous caporaliser dans son sombre dessein, de nous enrôler dans son nouvel habit de protestant, dans son combat d’arrière-garde qui, à vrai dire, ne nous concerne pas, comme si nous n’avions pas d’âme, pas de valeurs, pas d’opinion ? L’air du temps est tout noir. En fait, la vraie raison de toute cette comédie est le manque de respect notoire du politique envers les populations. Une condescendance due en grande partie à l’absence de fondamentaux, d’intelligence, de culture républicaine. Le politicien n’a aucune considération, aucune morale dans son champ d’action, ne croit même pas aux principes de la démocratie qu’il ne maîtrise même pas. Cette démocratie, outil de l’Occident importé, nous a malheureusement éloignés de notre africanité, de notre «Pinth» (assemblée des sages), de notre «sous l’arbre à palabre». Nous avons hélas piqué un projet sans le service après-vente. Voilà où commencent nos problèmes. Notre lecture de la démocratie, c’est la totale confusion entre dire et faire ce que l’on veut, nonobstant le droit à respecter. Quand c’est le rappel aux principes fondamentaux du Droit, on l’oppose à la dictature, si l’on sait à l’évidence, qu’on ne parle jamais de dictature dans une dictature. Demandez à Y’en a marre à propos de leur mésaventure au Congo Kinshasa, leur arrestation, puis leur libération grâce à l’intervention du Président Sall. Gardons-nous de faire du sénégalaid, une démarche. Ne diabolisons pas notre pays par pur opportunisme. C’est comme l’autre amalgame entre prisonniers politiques et prisonniers de droit commun. Et encore que pour illustrer une telle assertion, il n’y a aucun pays démocratique au monde où existent trois cents partis.
Last but not least, une autre interrogation, une autre indignation qui s’imposent à nous et qui remettent en question la pérennité de chefs de partis, de dirigeants de syndicats, de sociétés civiles, de vrais mandarins, forts en décibels plus qu’en vertus, en poste depuis la nuit des temps. Ces chameaux qui ne voient jamais leur bosse, inusables, indécrottables en diable devant l’Eternel, ceux-là mêmes qui parlent de rotation ? A la lumière de l’analyse de ces éléments factuels, il est difficile, chers compatriotes, de croire à l’amour que vous portez pour le pays et à la noble mission de le servir. La remise en cause totale de votre démarche passerait d’abord par une autocritique collective, à commencer par descendre de vos certitudes surannées d’être des génies 2.0, d’extirper chez vous, l’aspect non indispensable de vos personnes et comme disait Victor Hugo : «Je passe, et refroidis sous ce soleil joyeux, je m’en irai bientôt au milieu de la fête, sans que rien manque au monde immense et radieux.» La maladie chronique du politique, c’est sa posture éternelle de messie, celui qui a les clés car il est le plus intelligent, sans qui rien ne marche. Et comme philosophie : ad vitam aeternam, les honneurs et jusqu’à ce qu’il devienne un légume, la tête d’affiche. Quelque part, l’on a vite fait de perdre sa dignité, en ruant dans les brancards. Et s’il en restait, le résidu de personnalité fond comme neige au soleil. La chute d’un politicien est son traumatisme, la honte de sa vie, sa tragédie sociétale, car ce n’est plus «être quelqu’un» qu’on salue chapeau bas, en sus de la perte de son «métier», l’outil par lequel il s’enrichit sans cause. Si l’on ne payait que des indemnités de session à l’Assemblée nationale, sûr que les places seraient libres pour d’authentiques patriotes.
Pourtant, on peut aimer ce si cher pays, sans pour autant être dans les arcanes du pouvoir. L’ancien président de la République, Me Abdoulaye Wade, aimait à répéter inlassablement à la veille de chaque remaniement ou changement de direction : «ôtez de la tête, l’atmosphère de deuil dans vos foyers, quand une responsabilité vous est retirée», en allusion à des sorties malheureuses de personnalités déchues.
Oui au «Sénégal bi niou beug», mais d’abord au «politicien bi niou beug».
Vous gagneriez, vous politiques, en maturité, en sincérité, en patriotisme, en respect en revenant sur terre. Il faut surtout comprendre que les meilleurs sont aussi dans les chaumières et non toujours sur le podium. Montrer un autre visage de la politique, c’est accepter de fédérer vos partis, les énergies, les amours, pour l’intérêt supérieur du pays, en s’inspirant du modèle américain : deux grands partis pour un But, un Peuple, une Foi, ce qui permet de faire un grand pas vers la vérité, socle de tout.
Si et seulement, nous avions l’immense volonté, ce don de soi, d’avoir des institutions fortes au lieu d’hommes forts, pour paraphraser Barack Obama ?
El Hadj Ndary GUEYE
Extrait de «Absolument Sénégalaid»