Note de lecture – «Tisserandes !» de Fatimata Diallo Ba Fleurs et épines du mâle
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Chaque ouvrage de Fatimata Diallo Ba est un coup de boutoir contre ce qu’elle considère comme le mâle : le patriarcat. On lui reconnaîtra volontiers ses qualités de prosatrice, sans doute l’une des meilleures de sa génération. On n’en attend pas moins d’une professeure de lettres qui, livre après livre, marque de son empreinte l’espace littéraire sénégalais. Oui, j’espère que ma fille, qui a cinq (5) ans, lira, un jour, le discours de Awa, manifeste de femmes décomplexées qui font sauter tous les verrous de l’oppression, les pesanteurs sociales. Oui, quand j’ai fait lire ce livre à mes étudiantes en journalisme, qui ont l’âge de Fanta, Awa, Aina (à son premier mariage), elles m’ont répondu en chœur : «Ces histoires nous parlent.» Ce recueil est composé de cinq (5) nouvelles de longueurs, de tonalités, de sensibilités différentes. La première, Fanta, est l’histoire d’une jeune fille abusée et dépouillée, avant d’être placée de façon opportuniste dans un mariage arrangé à la va-vite. Aina, dans Réunion de famille (la dernière nouvelle), est aussi victime de ces unions conjugales, mal conjuguées, au nom d’une loi d’airain qui semble sceller à l’avance le sort des héroïnes de Fatimata Diallo Ba. Mais l’amour, si rebelle, sait jouer des tours au destin (Réunion de famille) et gommer les rides de l’âge (Les Vieux Amants du boulevard Montparnasse).
De Pompéi à la Médina (la 2e nouvelle) est une sorte de voyage dans les ruines du temps. Entre les décombres fossiles de la ville ravagée par le Vésuve, l’auteure retrouve, comme dans un songe, son quartier de jeunesse et la figure aimante de la grand-mère. Une complicité entre deux âges se tisse, faite de douceurs et de senteurs…
Le titre générique (Tisserandes !) de ce recueil ne fait-il pas allusion à la figure centrale de la grand-mère, présente dans deux nouvelles sous le même nom de Mame. Ces «Mame» sont réparatrices d’âmes brisées, prêtresses ou liseuses d’avenir, et protectrices avant tout… (C’est sans doute là, dans ces gynécées où se construisent les liens, que l’auteure de Rouges Silences exprime le mieux son talent.)
Et pourtant, la figure de la vieille sorcière n’est jamais loin. A l’image de Ayipem Diédhiou. Ce qui a le mérite de jeter une lumière crue sur le rôle des femmes dans le maintien du système patriarcal que dénonce avec énergie l’écrivaine. Fatimata Diallo Ba a un gros contentieux avec ses personnages masculins, souvent confinés à la caricature, en proie à leurs instincts bruts ou brossés dans des généralités hâtives. Sa plume ne se prive pas de décrire «l’odeur du mâle en rut qui empeste l’atmosphère» ou «les maris, pauvres pingouins bancals…».
Fatimata Diallo Ba est professeure de Lettres classiques, «engagée pour la cause des femmes». Tisserandes !, édité par Harmattan Sénégal, est son troisième ouvrage personnel. Elle a publié chez le même éditeur deux romans : Des cris sous la peau et Rouges Silences (2022). Elle est lauréate du Prix Cénacle pour le roman en 2023.
Abdou Rahmane Mbengue – Journaliste et critique littéraire