Par Yoro DIA

– «Honni soit qui mal y pense, le Roi le veut.» Cette expression qui est le cachet du Roi ou de la Reine d’Angleterre est presque tout ce qui est resté de français dans la vieille monarchie anglaise qui remonte à Guillaume de Normandie, parce que dans l’histoire un colon qui reste longtemps finit par être assimilé. C’est la même chose qui est arrivée à ma famille avec le Cayor. Tout ce qui m’est resté de poular est mon nom, mais surtout mon prénom, qui incarne, paraît-il, le Peul par excellence. Comme le juif errant toujours en quête de Jérusalem pendant les mille ans d’exil, je suis en quête du Fouta, mes origines, mes racines.
L’histoire a été une voie, avec les cours de Pr Oumar Kane au département d’histoire de l’Ucad, les livres aussi avec le Pr Alioune Badara Diop et sa sociologie électorale du Fouta, la musique naturellement avec Baba Maal, qui me fait frissonner même si je ne comprends rien des textes. Le Livre de Oumar Demba Ba, Le message en chantant, consacré à Baba Maal, comme le titre l’indique, permet un double frisson, un frisson naturel grâce à la musique comme le fait la 9ème symphonie de Beethoven, devenue l’hymne de l’Europe, mais un autre frisson quand l’auteur explique le message à la fois local et profondément universel de Baba Maal. Après avoir refermé ce livre qui se lit d’une traite, on ne peut s’empêcher de penser aux similitudes entre Baba Maal et Beethoven, en particulier la 6ème symphonie, la Pastorale ou l’éloge de la nature. Beethoven, c’est un fleuve (le Rhin si central dans l’âme allemande), des villes comme Vienne, et l’amour incarné par Für Elise (lettre à Elise).
Baba Maal, quand on suit sa musique et les messages que décrypte le diplomate, c’est presque la même chose avec naturellement le fleuve Séné­gal, puisqu’il est thioubalo, des villes Podor, Ndioum sublimé dans Macina Tooro welli et (qui est à Baba Maal ce que Vienne est à Beethoven), Da­kar, Paris et Londres. Comme nous le fait constater l’auteur, la vie et la carrière musicale de Baba Maal se font toujours au fil de l’eau car toutes les grandes villes qui ont inspiré et façonné la carrière de Baba Maal sont des villes d’eau.
Le fleuve qui lui permettra de quitter Podor pour aller étudier à Saint-Louis grâce au my­thique bateau Bou el Mogdad (chanté dans Bouyel) après son entrée en sixième, une première étape de ses études qui le mèneront à l’université de Dakar, aux Beaux-arts et au Conservatoire à Paris. Ce qui permet de comprendre le caractère engagé des chansons de Baba Maal, qui a donné le ton en appelant son orchestre Daande Leniol (la voix du Peuple). Beethoveen a chanté Elise. Pour Baba Maal ce sera Mariama Diallo, «la lune au milieu des étoiles, une lampe dans la pénombre», qui sera comme la fameuse Sweet sweet Fanta Diallo de Blondy.
Mariama Diallo sera la muse, la parenthèse douceur des messages en chantant qui vont traiter de l’histoire, de l’anthropologie et de l’archéologie du Fouta, des injustices dans le monde comme l’apartheid et la colonisation, et surtout la résistance coloniale avec l’épée et l’épopée de El Hadji Oumar Tall et de ses compagnons, dont le Taara est devenu l’hymne de leur gloire car, entre la «mort qui est devant et la honte qui est derrière», ils n’ont pas hésité. Baba Maal doit beaucoup au Taara, car son ancien combattant et muezzin de père, ne pouvait pas interdire à son fils de chanter les louanges de al Foutiyou et leva ainsi son veto après avoir entendu son fils chanter le Taara à la radio, en lui disant : «Si tel est ton genre pas de mal à ce que tu chantes.» Le veto du père s’expliquait ainsi par les pesanteurs et le déterminisme sociaux du Fouta. La chanson est réservée au Griot. N’eut été le Taara, Baba Maal aurait perdu son violon d’Ingres et son Mozart aurait été brisé. Donc gloire au Taara et à El Hadji Oumar Tall.
Au-delà des messages et de la Musique, le livre de Oumar Demba Ba comme le dit le Préfacier Felwine Sarr, «c’est toute l’histoire culturelle contemporaine des Peuls de la vallée qu’il nous fait arpenter…. Sa géographie physique et humaine, ses cultures et ses traditions». Baba Maal et sa musique sont les produits du Fouta, de sa géographie et de son histoire. C’est pourquoi l’auteur nous dit que son œuvre est «une aventure musicale où le timbre authentique de ses origines, fait harmonieusement corps avec les sonorités enrichissantes de la modernité…Baba Maal est le légataire incomparable de tout le folklore poular, au-delà de son titre certes prestigieux de Roi du Yela». Baba immortalise El Hadji Oumar Tall mais aussi Thierno Souleymane Baal, «le sage de Bode, mentor de la révolution théocratique de 1776 qui mit fin au tribut aux maures, le fameux modou Horno, et au règne de la dynastie des denianyankés de Kolytengala». L’année où Thierno Souleymane Baal libéra le Fouta de l’assujettissement des Maures, les Amé­ricains se libéraient de la domination anglaise ; comme quoi, contrairement à ce qu’a dit Sarkozy à l’Ucad, l’Afrique n’a pas à chercher à entrer dans l’histoire car on ne l’a jamais quittée pour avoir été à son origine, le continent d’origine. C’est ce que nous apprend Baba Maal, «quand le chanteur se mue en conteur», pour nous raconter l’histoire de Samba Gueladio Diegui dans la chanson Samba, ou celle des héros du siège de Médine en 1857, les généraux comme Mamadou Ha­mat Couro Wane, Alpha Oumar Tierno Baila, hade Wada ou en faisant l’apologie de la bravoure, du sens de l’honneur dans la chanson Yero Mama Galo, en rappelant que «le brave doit avoir peur de la honte et toiser la mort car il n’y a point de déshonneur dans la mort». Shakespeare dit la même chose : «Les lâches meurent plu­sieurs fois avant leur mort, le brave ne goûte ja­mais la mort qu’une fois.» Ce sera le choix de Baidy Kathie Pam, qui tira à bout portant sur le commandant Jeandet et que chante Baba Maal dans Djam Leeli.
A côté de l’histoire, la culture, l’anthropologie, comme dans Ko Wone Mayo (les esprits du fleuve) ou quand il est dans le faantang qui fait «l’apologie de la vache», qui est à la culture peule ce que le cheval est à la culture mongole. Le thème de ses chansons qui décrivent le plus Baba Maal est sans doute Jahowoo (le voyage). Ce voyage au fil de l’eau qui commence par une pirogue comme tout bon Thioubalo avant le Bou el Mogdad, pour un long voyage qui, comme Ulysse, le conduira partout dans le monde avant de le ramener vers son port d’attache (Ithaque pour Ulysse) et Podor pour Baba Maal avec les Blues du Fleuve. Un long voyage, de Douera (un des noms de Podor) à Hollywood avec les musiques de films comme La chute de Faucon noir et Black Panther, qui permet au Sénégal d’être présent à la civilisation de l’Universel, qui passionne Baba Maal mais aussi l’auteur Oumar Demba Ba car, de temps en temps, l’auteur malgré lui, laissant transparaître ses convictions profondes comme «une croyance profonde à l’égale dignité des cultures et des civilisations comme valeur universelle» où «le capital humain est assurément la première matière première». Dans l’avant-propos, de façon diplomatique et en toute modestie, Oumar Demba Ba nous prévient qu’il n’a «ni la qualité ni le talent de critique d’art. En tout cas s’il n’en a pas encore la qualité, il en a le talent, car les grands diplomates, de Chateaubriand à Ruffin en passant par Claudel et Saint John Perse, ont toujours été de grands écrivains.
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