Notes de lecture – «L’Afrique au cœur» (Par Macky Sall) : Les contours d’une vision panafricaine

«L’Afrique au cœur» est presque un autoportrait du «Président-ingénieur», différent de ses prédécesseurs poète, administrateur civil ou encore avocat. Son successeur, «juriste-fiscaliste», n’est presque pas visible sous les traits de «L’enfant des lumières» à «l’engagement précoce». Un engagement militant au goût pétrolifère pour un «mix énergétique» gagnant. Pas à pas, il tisse sa toile. Sensible «aux thèses révolutionnaires» des années 70, il milite à And Jëf, avant de déposer finalement ses baluchons au Parti démocratique sénégalais, au lendemain de la Présidentielle mouvementée de 1988. Quelques années plus tard, pour des prospections dans des régions pétrolifères, menées par Petrosen, il atterrit à Diourbel. Au Centre du pays, il n’a pas trouvé du pétrole, mais a rencontré «Marème», celle qui a couplé, plus tard, le «beige» au «marron» de l’Alliance pour la République.
Avec le Président Wade, le diplômé de l’Institut des sciences de la terre (Ist) de Dakar et de l’Ecole nationale supérieure du pétrole et des moteurs (Enspm) de Paris est «aux manettes». Il devient successivement Directeur général, ministre, Premier ministre et président de l’Assemblée nationale. Après son départ du Pds en 2008, il plonge «au cœur du Sénégal» pour devenir, quatre ans plus tard, Président pour «servir», «agir» et «bâtir».
Le bilan éloquent du Président-ingénieur
A travers les lignes, force est de reconnaître que l’ingénieur a bâti. Du concret. Un bilan à la visibilité incontestable. Il nous parle et nous interpelle au quotidien. «325 kilomètres d’autoroutes, 3326 kilomètres de routes, 8000 kilomètres de pistes et 26 nouveaux ponts ont formidablement amélioré la circulation des biens et des personnes, offrant à tous nos compatriotes des perspectives nouvelles.» En 2012, «de plus de neuf cents heures de coupures d’électricité par an», l’équivalent de trente-huit jours par an, «la puissance installée est passée de 550 à 1900 mégawatts». «Des autoroutes de l’électricité longues de 2264 kilomètres couvrent désormais la quasi-totalité du territoire, avec une interconnexion nationale complète du réseau électrique haute tension alimentant 5300 localités au rythme de 443 par an. Au point que le Sénégal a été l’un des rares membres de la Cedeao à connaître un excédent de production en 2023 et à exporter son électricité vers ses voisins.» (p.58).
Même bond qualitatif constaté dans le secteur de l’eau : «A mon départ, 91% des foyers sénégalais étaient raccordés au réseau. Là aussi, au prix d’un effort financier, technique et humain considérable qui a permis de réaliser 816 forages, d’installer 11 unités de potabilisation et de traitement des eaux, et plus de 10 000 kilomètres de réseaux d’alimentation.»
Dans le secteur de l’éducation, il aborde brièvement ses réalisations : «Mes deux mandats ont permis de renforcer l’enseignement secondaire sénégalais avec la création de 83 lycées, 356 collèges et 6 instituts supérieurs d’enseignement professionnel.» (p.191) Dans les cycles supérieurs, «6 nouvelles universités ont été ouvertes». Face aux 77% de bacheliers littéraires au Sénégal, il plaide pour un système éducatif réorienté vers les sciences, les mathématiques, la technologie, l’innovation (p.193).
Porte-voix du continent des «solutions»
«L’Afrique au cœur» met en lumière un autre Macky Sall. Il ôte les habits de l’adepte de «la politique politicienne» pour porter le manteau de «l’homme politique» «soucieux» du devenir du Sénégal et de l’Afrique. L’homme d’Etat dont la vision d’aujourd’hui est supranationale. Il cramponne sur ses réussites dans plusieurs domaines en tant qu’ancien président de la République du Sénégal pour porter la voix de l’Afrique. «C’est à nous, Africains, de définir comment l’Afrique doit jouer son rôle d’acteur majeur dans le commerce mondial. C’est à nous de raconter notre histoire et d’imposer notre narratif», lit-on dans l’avant-propos.
Eau, électricité, éducation, énergie verte, routes, ponts, industrialisation, transformation des matières premières au niveau local, migration, pétrole, gaz, climat, numérique, tourisme, culture… tout y est. Des questions essentielles pour tous les Africains. Il met en avant le potentiel de l’Afrique, «un contient phare», son pouvoir de «créativité sans frontières», et défend un partenariat plus respectueux et gagnant-gagnant. «L’Afrique ne demande pas réparation. Elle ne réclame ni dédommagements ni pardon de ceux qui l’ont exploitée pendant si longtemps. Mais elle a des revendications. Elle réclame plus d’équité, plus d’inclusion, plus de justice. Et plus de respect. Non pour ce qu’elle a subi et qui ne serait que la suite de cet apitoiement qu’on lui a manifesté à chaque crise. Mais pour ce qu’elle est devenue, pour sa maturité, pour ses institutions, pour le soft power qu’elle exerce partout dans le monde, pour ce qu’elle représente et ce qu’elle inspire. Et surtout, pour l’avenir qu’elle est en train de construire au profit de toute l’humanité.» (p.136-137) Une «Afrique en marche», l’Afrique des «solutions» qui revendique sa place dans le Sud global et dans l’Onu, «la juste place».
Les réformes de l’Onu, Omc, Fmi, etc., le scandale de la dette africaine…
Sur les 23 chapitres de l’ouvrage, 15 sont consacrés au continent africain, avec un plaidoyer fort intéressant et des propositions concrètes et courageuses d’institutions internationales (Onu, Omc), de Bretton Woods (Fmi, Banque mondiale), des agences de notation dont les plus influentes, Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch Rating. Le Président Sall met ces dernières au cœur de ce qu’il consacre un chapitre entier, «le scandale de la dette africaine». «L’ensemble de la dette africaine est alourdi par une surcharge de primes de risques qui viennent s’ajouter à l’endettement lui-même. Le résultat est que le poids de la dette devient rapidement insurmontable.» (p.152) Plus loin, il révèle : «La perception du risque d’emprunt, c’est-à-dire d’investissement en Afrique, me paraît donc fortement exagérée. Je ne suis pas le seul à estimer que le système d’évaluation que je viens d’évoquer est inéquitable. Le rapport sur le financement du développement durable, réalisé en 2022 par une soixantaine d’institutions multilatérales dont le Fmi, la Banque mondiale et le Comité de Bâle sur la supervision bancaire, ne dit pas autre chose. Il déplore la sévérité des agences de notation pour les pays du Sud et leur indulgence à l’égard des pays industrialisés.» (p.153)
Parallèlement aux réformes souhaitées, il salue la création prochaine de l’Agence africaine de notation financière indépendante pour le continent (Acra) portée par l’Ua. Non sans mentionner les progrès significatifs d’une Afrique qui avance : Zlecaf, Open Sky, les grandes zones économiques du continent, etc. Les prémices d’une Afrique unie : «Il a fallu près d’un siècle, quatre-vingts ans pour être précis, pour passer de la Conférence de Berlin aux indépendances. Qu’il en faille autant pour atteindre les Etats-Unis d’Afrique ne nous effraie pas.» (p.86)
Supposée «dette cachée», non-dits, omissions (in) volontaires…
Hormis la mise au point sur la «prétendue falsification des chiffres de la dette publique», les poursuites contre certains de ses anciens ministres et les événements politiques de 2021 (p.54-55), l’ancien Président n’a pas abordé dans son livre d’autres actualités. «(…) je ne peux qu’être indigné lorsque le nouveau pouvoir prend comme prétexte la reddition des comptes et utilise la Haute cour de justice pour incriminer des ministres et les emprisonner sur la base de l’audit de la Cour des comptes que j’avais moi-même ordonné : on frise la vendetta, alors que nulle part dans ce même rapport, aucun des ministres accusés et mis en prison n’est cité.» (p.68). Et il ajoute : «Il en est de même des accusations de falsification des chiffres de la dette publique lancées par le nouveau gouvernement, qui n’a pas hésité à changer les méthodes et bases de calcul pour les formuler. Au moyen d’un artifice comptable, il a ainsi ajouté toute la dette contingente des sociétés nationales à la dette publique, ce qui est proprement inacceptable. La dette publique représente principalement celle de l’Etat à travers le Trésor, mais aucunement celle des sociétés nationales qui possèdent un patrimoine, des actifs et du passif, comme la Senelec, Air Sénégal, etc.»
A la page 73, Macky Sall évite de citer l’ancien Président gambien, Yaya Jammeh. «La Gambie et le Sénégal sont condamnés à vivre ensemble et doivent le faire dans la paix. Nos accords se sont matérialisés par la construction d’un pont sur le fleuve Gambie, un vieux rêve que le Président gambien et moi avions l’un et l’autre. Long de 942 mètres, inauguré en janvier 2019 par son successeur, le Président Adama Barrow, et moi, il a permis de relier enfin plus facilement nos deux pays et de renforcer leur intégration.»
L’autre note
Mis à part la coquille sur le bilan officiel du naufrage du bateau Le Joola, 1863 victimes au lieu de 1853 (p.33), et la répétition d’une phrase -«il n’est pas question pour autant de renoncer aux études littéraires» (p.193)-, l’œuvre est correcte dans la forme. Dans le fond, il y a des choses à dire, comme dans toute production intellectuelle. Mais il faut saluer tout de même son courage d’écrire et ses intéressantes prises de position sur des questions stratégiques. Il ne se contente pas de dénoncer tout simplement. Il a proposé. «Se contenter de protester ne sert à rien si l’on n’a aucune autre option à présenter», annonçait-il d’emblée. C’est un Macky Sall «libéré» et «sans complexe» qui parle au monde avec l’Afrique au cœur.
Papa Moctar SELANE