Lorsque l’on fait des travaux, quels qu’ils soient, il faut faire de l’archéologie préventive, vérifier qu’on ne va pas détruire des traces précieuses du passé. Dans la Cathédrale Notre-Dame de Paris, des tranchées ont été creusées pour faire passer l’eau et l’électricité notamment. Et là, on a fait des découvertes qui vont permettre de renouveler considérablement les connaissances qu’on a de Notre-Dame et du centre de Paris. Il y a des vestiges du Ier siècle, du Bas-Empire romain, du Moyen-âge et d’autres périodes historiques plus récentes. Les archéologues ont retrouvé plus de 700 fragments du Jubé, ce mur qui avait été construit au XIIIème siècle et détruit au XVIIIème, parce que les usages liturgiques avaient changé. Les fidèles devaient pouvoir voir la messe, et donc il fallait abattre ce mur sculpté de personnages et de décors végétaux. Les pierres ont été utilisées pour servir de fondement à la cathédrale gothique. Elles n’étaient donc plus visibles. Cependant, en l’absence d’humidité ou de champignon, elles ont été bien conservées. Et en injectant un révélateur, la polychromie d’origine est apparue. «Ce sont des couleurs absolument magnifiques», indique Christophe Besnier, responsable des fouilles à l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap). «On fait tout un travail de stratigraphie des couleurs. On se rend compte qu’il y a un premier décor peint et il y a une reprise du décor au fur et à mesure. Ces peintures médiévales sont éclatantes et contrastent tellement avec l’absence de peintures médiévales conservées dans Notre-Dame.» Ce fut un chantier hors norme, qui permet d’avoir un nouveau regard sur les reconstructions de Notre-Dame de Paris. «L’ampleur, la variété, la qualité des découvertes. [Ce sont] 2000 ans de chronologie que l’on va revisiter sur Notre-Dame, sur l’île de la Cité», ajoute Christophe Besnier.
Les tombes étudiées
En creusant les tranchées pour poser l’eau et l’électricité à Notre-Dame, de très nombreuses sépultures ont été mises au jour. Les évêques et les chanoines principalement y sont enterrés. Leur nombre est estimé à un millier. Camille Colonna, archéo-anthropologue, a commencé à étudier une petite centaine de tombes. «On a une population quasiment exclusivement masculine, plutôt âgée, tous inhumés de façon très respectueuse, c’est-à-dire qu’il y a très peu de recoupements des sépultures», décrit Camille Colonna. «Il y a une vraie gestion de l’espace. On réutilise les tombes. On les rouvre, on enlève l’individu qui était inhumé à cet endroit-là, on redépose un cercueil et par-dessus, on remet les ossements de l’individu précédent et ainsi de suite, du XIVème jusqu’au XVIIIème siècle.» Parmi ces tombes, deux gardaient une part de mystère : deux sarcophages de plomb à la croisée du transept. L’un des deux sarcophages, qui portait une épitaphe, a été rapidement identifié comme celui de Antoine de La Porte (1627-1710). Simple chanoine, mais qui a versé 10 000 livres par an pour financer la clôture du chœur de la cathédrale, quand les caisses du royaume de Louis XIV (1643-1715) étaient vides.

Joachim Du Bellay, un homme d’importance au-delà du poète
L’autre était un inconnu, mais dont le profil a fini par être établi : un homme de 35 ans, un cavalier émérite, souffrant de tuberculose osseuse et de méningite. Pour Eric Crubézy, médecin et professeur d’anthropologie à l’université Paul Sabatier de Toulouse, aucun doute : c’est Joachim Du Bellay. «C’était un grand poète, mort en 1560 et qui a été connu au XIXème siècle. Il parlait français à une époque où les poètes employaient plutôt le latin. C’était aussi un homme de son époque, qui vivait au sein d’une famille qui faisait partie du premier entourage royal et du premier entourage du Pape à Rome», explique-t-il. «Ce qui m’a particulièrement intéressé, c’est de reconstituer sa biographie et de faire renaitre ses relations politiques du milieu du XVIème siècle, en plein concile de Trente, au moment où il y avait des luttes de pouvoir entre le Pape, le Roi de France, les évêques de Notre-Dame, le chapitre de Notre-Dame et ceux qui étaient des hommes de décision, et Joachim du Bellay en faisait partie», souligne Eric Crubézy. Le doute est-il permis ? Le responsable des fouilles de l’Inrap, Christophe Besnier, estime que la composition isotopique des dents du squelette indique une enfance passée en région parisienne ou lyonnaise. Or, Joachim Du Bellay venait de l’Anjou. Est-ce parce que l’expert qui a identifié Joachim Du Bellay fait parte de l’équipe de Toulouse ou parce qu’il a été trop affirmatif dans son récit qu’il semble y avoir ce doute ? Pour le président de l’Inrap, Dominique Garcia, il n’y a pas de doute à avoir. Le poète est angevin, mais a été élevé à Paris.
Rfi