Le Quotidien publie une série de dossiers sur les grandes tragédies qui ont eu à frapper le Sénégal et l’ont éprouvé dans toutes ses coutures. Ces dossiers sur ces tragédies dont la publication se poursuit, sont pleins d’enseignements sur des fléaux qui ont eu à nous frapper et à partir desquels, en tant que communauté nationale, le Sénégal n’a pas eu la pleine capacité d’en faire des éléments catalyseurs pour choquer les consciences et impulser une dynamique nous prohibant de tomber dans les mêmes travers. Ces tragédies, qui vont du naufrage du Joola au crash d’un avion transportant des troupes sénégalaises au Koweït, en passant par un accident industriel dans la région de Dakar ou même la disparition d’une localité de la carte du pays, en disent beaucoup sur notre facilité à oublier, notre propension à nous faire amnésiques et surtout notre terrible incapacité à pouvoir honorer dignement nos morts et nos aïeux. On serait tenté de crier comme Périclès quand viennent les anniversaires des jours tragiques de notre histoire nationale : permettez-nous de commencer par «l’éloge de nos morts». Ils sont une partie de nous, ils sont de ce qui nous a fait et la conservation intacte de leurs mémoires est une balise lucide dans un monde où tout ce qui est repère et sacré se perd.
«Aux portes du Paradis, nous avons été ce que vous êtes et vous serez ce que nous sommes», lit-on à l’entrée du cimetière Saint-Lazare de Béthanie à Dakar. Ce rappel du caractère inévitable et impersonnel du Memento Mori, pour nous vivants, est également une invitation à ne pas oublier ceux qui nous ont précédés dans les pensées, dans les prières et surtout dans la façon de conduire notre présent. J’ai l’intime conviction que les nations se mesurent dans leur construction durable, par leur capacité à honorer les prédécesseurs qui ont ouvert des voies et de protéger le souvenir de ceux qui, par le hasard cruel de la vie, ont pu être victimes de tragédies. Le Sénégal doit mieux célébrer l’âme de ses disparus. Une tragédie comme le naufrage du bateau Le Joola ne doit cesser d’être un souvenir mobilisateur pour nous, un facteur de cohésion et surtout un rappel dans la douleur que la construction du mieux-être d’un pays se fait en prenant conscience que sur la marche, bien des gens manquent et manqueront à l’appel et qu’il faudrait avant tout penser à œuvrer pour eux.
Les Etats-Unis d’Amérique ont su inscrire dans toutes les consciences, qu’il y a des étapes de la vie de leur nation que nul ne saurait occulter. Les célébrations retenues dans leur calendrier en hommage à leurs disparus ou à des événements précis dans l’histoire de leur pays, sont des illustrations parfaites d’un tel état d’esprit. La symbolique revêtue par tous les rites et protocoles célébrant la mémoire des disparus, allant des minutes de silence au port de symboles particuliers pour marquer certains événements, sont des pratiques qui gagneraient à s’instaurer dans nos consciences et pratiques collectives. C’est assez triste que dans un pays où des incidents dans un stade de football, lors d’une finale de Coupe nationale, avaient fait huit morts (match Us Ouakam-Stade de Mbour en finale de Coupe du Sénégal), un championnat professionnel se dispute cinq ans après, sans aucun rappel sérieux d’un tel drame. Que dire des élus qui se permettent de bouder des cérémonies d’hommage aux victimes de l’une des pires tragédies de l’histoire de la Marine civile !
La disparition tragique de Soro Diop, une des âmes du journal Le Quotidien, a occasionné un torrent d’hommages, d’odes et de messages pleins de gratitude et de reconnaissance par des collaborateurs de toutes les époques qui ont contribué à faire de ce titre une référence. La beauté des témoignages nous rappelle ces mots trempés de vérité de Périclès à l’attention des morts de la guerre du Péloponnèse, comme quoi, «les louanges adressées à d’autres ne sont supportables que dans la mesure où l’on s’estime soi-même susceptible d’accomplir les mêmes actions (…) Les hommes éminents ont la terre entière pour tombeau. Ce qui les signale à l’attention, ce n’est pas seulement dans leur patrie, les inscriptions funéraires gravées sur la pierre ; même dans les pays les plus éloignés, leur souvenir persiste, à défaut d’épitaphe, conservé dans la pensée». Par les hommages à Soro Diop, Le Quotidien montre que la propension à l’oubli peut se combattre en ayant foi qu’il y a un caractère divin et poétique dans l’action d’hommes embarqués dans toute aventure. Une telle dynamique est celle qui anime la construction des nations et elle ne peut faire fi de la préservation des mémoires. Un discours du docteur Hiriluk, devenu classique dans le manga One Piece, disait que les gens ne meurent réellement que par l’oubli, mais non à la force du fusil, à la consommation du pire des poisons ou au poids d’une maladie incurable. Le Sénégal n’a pas le droit de laisser les mémoires de ses filles et fils souffrir d’indifférence et s’abîmer dans le naufrage d’un oubli collectif.
Par Serigne Saliou DIAGNE / saliou.diagne@lequotidien.sn