Au Niger, un quarteron de putschistes a trahi son serment d’officier et violé tous les principes de loyauté du militaire vis-à-vis des institutions légitimes qu’il est censé servir. Désormais ces gens versent dans la grossière farce tragique avec les termes d’un communiqué qui prétexte une tentative d’évasion de Mohamed Bazoum et sa famille, retenus depuis le 26 juillet en isolement dans des conditions inacceptables. Pour rappel, les vivres, l’eau et l’électricité sont rationnés et les otages vivent sous la menace d’hommes armés. Les lettres de sa fille Zazia Bazoum en août publiées au Guardian et au Figaro sont révélatrices de l’inhumanité dans laquelle sa famille et une poignée de proches sont retenus par le Général Tiani et sa troupe.

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Abdourahamane Tiani et ses complices ont publié un communiqué montrant qu’au-delà de leur caractère déloyal, ils ont tout de même un sens aigu de l’humour noir. Le plan d’évasion qu’il présente avec un président de la République, qui quitte nuitamment son domicile avec son épouse, son fils, ses deux cuisiniers et ses deux agents de sécurité pour rejoindre un point de récupération, puis une planque avant de rallier un autre endroit où ils seraient récupérés par deux hélicoptères vers le Nigeria, est très improbable.

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Ils en profitent néanmoins pour durcir leurs conditions de détention. Notre compatriote Mohamed Seydou Diagne, avocat de Mohamed Bazoum, a eu raison d’évoquer une «ligne rouge qui a été franchie» par la junte militaire du Cnsp. Il est depuis séparé de sa famille, placé à l’isolement et a vu son téléphone confisqué. Mohamed Bazoum paie pour son courage et son refus de démissionner afin d’avaliser un coup d’Etat de confort d’une cohorte d’officiers qui justifient leur attitude par la dégradation de la situation sécuritaire au Niger. Or, l’Ong Acled, citée par le média Jeune Afrique, annonce une «baisse de près de 40% de la violence politique au Niger au cours du premier semestre de 2023». Comment un Président élu en 2021 dans l’un des pays les plus pauvres au monde, menacé en plus par divers groupes terroristes, peut-il en un an transformer celui-ci ? Mohamed Bazoum, outre une série de trahisons, paie plutôt pour ses discours et ses choix politiques à rebours de ce que mon ami Moustapha Diakhaté appelle «le panafricanisme de pacotille» actuellement dans l’air du temps et dont les ambassadeurs sont des trolls d’internet aux méthodes troubles. D’ailleurs, Kémi Séba, personnage grotesque, une marionnette qui se prend au sérieux, a été reçu en audience le 28 septembre par le putschiste Abdourahamane Tiani. C’est dire le niveau des putschistes de Niamey…

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Après ceux de la Guinée, du Mali et du Burkina Faso, ce putsch au Niger est celui de trop pour la région ouest-africaine. Que deviendrait l’Afrique, en proie à divers défis, si tout militaire mécontent de son sort, se retourne contre les autorités légales et légitimes, prend les armes et perpètre un coup d’Etat annihilant les efforts en matière de progrès politique et économique ? La Cedeao a eu raison de condamner vigoureusement le coup de force dès le début, de suspendre le Niger de ses instances et d’exiger le rétablissement de l’ordre constitutionnel. Sauf que l’organisation fait face à ses manquements passés, à ses errements politiques et à son incapacité à faire face de manière efficace aux démons des coups d’Etat. Si aucune issue politique n’est trouvée, la solution militaire, tragique certes, pourrait s’avérer la seule issue possible.

J’ai vu des pétitions circuler, notamment signées par des intellectuels, des journalistes, des militants et des cadres autour d’un média en ligne, pour dénoncer la «guerre au Niger» de la Cedeao, sans aucun mot de condamnation du putsch et sans aucun appel à la libération du Président Bazoum et de ses proches dont sa femme et son fils, et au retour à l’ordre constitutionnel. Au contraire, ces nombreux pétitionnaires dont certaines âmes étiolées qui désormais hurlent avec les loups, ont encore versé dans l’anti-France primaire, la tenant responsable du coup d’Etat, de la pauvreté du Niger et suggérant même que les dirigeants de la Cedeao étaient à la solde de Paris. C’est décevant de la part de certains parmi eux que j’estime et respecte pour leur hauteur de vue et leur sens moral, de convoquer toujours le même argument puéril sur la France. La France. Encore la France. Toujours la France. Tel un épuisant comique de répétition, un vieux complexe du colonisé dont certains, parce qu’ils vivent de cette rente morale, ne peuvent s’extirper, les empêchant ainsi de poser un bon diagnostic sur une situation de chaos. La France hante tellement certains esprits africains qu’ils en sont devenus ridicules. Le plus affligeant est que le sort de Mohamed Bazoum, un démocrate, un intellectuel et un ami du Sénégal pour avoir fait ses humanités à l’université Cheikh Anta Diop, intéresse peu les intellectuels sénégalais dont certains saluent le putsch et accusent le Président nigérien de connivence coupable avec la France. Donc, qui ne crie pas «France Dégage», ne fait pas de discours enflammés contre l’impérialisme, ne s’allie pas à des puissances autocratiques est suspect ?

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Je convie ces pétitionnaires à lire l’interview accordée par Mohamed Bazoum au média Le Grand Continent dans lequel il parle de sa vision de l’éducation nationale, notamment des jeunes filles, pour transformer le destin d’un pays. Ensuite, ils peuvent suivre les prises de parole des putschistes pour se rendre compte du danger qui consiste à crier avec les loups pour sacrifier un démocrate au profit d’un fantasque putschiste.

Que disent désormais nos signataires trois mois après le putsch ? Ils sont passés à une autre actualité pour maintenir les flux de la rente.

Mohamed Toumba, ministre de l’Intérieur de la junte, vient publiquement, à Lomé, de menacer de mort le Président Bazoum. Nos pétitionnaires n’ont apparemment rien entendu parce qu’au fond ils ne défendent ni la démocratie ni des valeurs progressistes, ils sont, pour la plupart, des situationnistes dont la conception de la démocratie dépend de la tête du client et de leurs intérêts du moment. Pour eux, Mohamed Bazoum est un autocrate tandis que, toujours dans leur curieux logiciel, Assimi Goïta et Ibrahim Traoré sont des sommités en matière de démocratie et de liberté dignes d’être élevés au rang de modèles ultimes.

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Le monde est actuellement en proie à des tensions graves. Durant ces épisodes de violence grave en Ukraine, à Gaza et ailleurs, partout les colombes de la paix sont négligées et les caméras braquées sur la dernière actualité dramatique. Mais dans nos indignations et nos inquiétudes solidaires, n’oublions pas le Président Mohamed Bazoum.

Par Hamidou ANNE
hamidou.anne@lequotidien.sn