Dans plusieurs chansons sénégalaises, il y a une expression qui revient fréquemment : «La réussite d’un enfant s’explique par les sacrifices de sa maman.» Cela crée un déterminisme du rôle de la mère : si son enfant échoue, c’est inéluctablement de sa faute, car elle ne s’est pas «assez sacrifiée». Je remarque que cela est l’une des plus grandes causes de la souffrance des femmes dans nos sociétés, notamment celle sénégalaise.

Souvent, dans l’environnement culturel sénégalais, quand l’enfant commence à prendre un chemin sinueux, les papas oublient leur rôle, contrairement aux mamans. Les pères oublient qu’être papa va au-delà du fait d’être un simple géniteur, c’est une responsabilité à vie, pour le meilleur et le pire.

Maintes études ont montré le rôle primordial de la femme dans le développement d’une société et dans la prospérité d’une firme. Les entreprises dans lesquelles il y a une forte représentation féminine s’en sortent le mieux. Lors de la crise de 2008, il y avait une corrélation entre la représentation féminine dans les comités directeurs et les conseils d’administration des banques et la résilience de ces dernières face à la crise1. Plus les femmes étaient représentées au sein des instances dirigeantes, moins les banques ont éprouvé de difficultés, comme leur faillite ou leur rachat.

Donner leur chance aux femmes ne relève pas de la pitié, mais d’une décision judicieuse et nécessaire. Elles apporteront leur créativité, leurs perspectives. Leur donner la possibilité d’exprimer leurs talents permettra aussi d’avoir une diversité, ce qui, dans le monde actuel où une entreprise s’implante sur différents marchés, est une obligation. Aujourd’hui, encourager la diversité ne relève pas d’un luxe, mais tout simplement d’un impératif.

Le développement d’une société s’explique par plusieurs facteurs qui, pris individuellement, ne feront certainement pas la différence, mais qui, associés, permettront l’essor d’un pays. Une société a besoin de justice et d’équité, ainsi les conditions de naissance ou le sexe n’expliqueront pas la réussite ou l’échec futur. Une société a besoin d’encourager l’éducation et la santé, en y investissant. Une société a besoin de créer la perception que toute personne qui travaille dur a la possibilité de s’élever. C’est ce dernier point qui fait la force des Etats-Unis, malgré les inégalités qu’ils connaissent ; le récit national fait croire que la réussite est possible pour tout un chacun.

Comment une société pourra-t-elle se développer si elle exclut les femmes des instances dirigeantes ?

Statistiquement, il y a une quasi-égalité entre hommes et femmes. Comment une société qui exclut les femmes peut-elle espérer avancer plus rapidement qu’une autre qui encourage l’inclusivité ?

Aujourd’hui, les pays les plus développés sont ceux qui encouragent le plus l’éducation des femmes, leur permettent de prétendre à tout poste auquel elles aspirent. Comme je l’écrivais plus haut, cela ne relève pas de la pitié, mais simplement de la chose à faire.

Lors de son premier passage au pouvoir au Brésil, Lula avait fortement diminué le taux de pauvreté dans son pays. Comment y est-il parvenu ? Il avait créé un programme de bourses familiales dont les fonds étaient versés aux mamans. Pourquoi ? Ces dernières se préoccupent davantage de la scolarisation de leurs enfants ou de leur vaccination. Aller à l’école dans de bonnes conditions, faire ses vaccins dans les temps, contribue à l’égalité des chances. Cela permet à tout enfant de disposer des conditions minimales pour s’élever au-delà de ses conditions sociales d’origine.

Permettre une égalité des chances, c’est aider les femmes à s’autonomiser. C’est les garder à l’école, c’est les encourager à faire des études supérieures, y compris dans les domaines scientifiques, c’est ne pas leur créer des barrières imaginaires et superficielles. Il n’est rien qui démontre que les hommes sont plus intelligents que les femmes, ou le contraire. Pour cela, toute femme doit avoir la possibilité d’atteindre ses objectifs, sans qu’on lui pose des barrières artificielles que la société a créées.

Aujourd’hui, en tant que père, je mesure ma responsabilité dans l’éducation de mes enfants. La première chose que je m’évertuerai à faire sera de ne pas favoriser mes garçons au détriment de mes filles. Cela revient à les mettre dans les mêmes conditions de réussite pour qu’ils puissent s’épanouir dans leurs domaines respectifs. Telle devrait être également l’attitude de la société entière.
La croyance que l’échec d’un enfant s’explique par le rôle de la mère doit également cesser. Cela revient à ce que nous, les pères, assumions continuellement notre responsabilité dans la vie de nos enfants, même quand les choses se passent mal.

L’année dernière, un assistant social m’expliquait que dans la prison pour mineurs au Sénégal -ex-fort B-, l’écrasante majorité des visites aux enfants sont effectuées par les mères ou la famille maternelle. Si en tant que pères, nous changeons cela, nous aurons fait un pas important pour l’épanouissement des femmes. Cela ne signifie pas faire une faveur aux femmes, mais tout simplement jouer notre rôle, peu importe la voie que prend notre enfant, et l’aider au besoin pour qu’il prenne le bon chemin.

J’ai aussi remarqué qu’on demande plus fréquemment aux filles qu’aux garçons d’arrêter l’école quand elles connaissent des difficultés, ce qui relève d’une erreur. Dans ce genre de situation, les encourager devrait être l’attitude à avoir. Les filles doivent être gardées à l’école, ce qui revient à les aider à combler leurs lacunes, si nécessaire.

L’école Mariama-Ba a montré que si l’on met les filles dans les meilleures conditions de réussite, elles obtiennent des résultats brillants. Cela devrait être une motivation pour permettre à tout élève, dont les filles, d’étudier dans d’excellentes conditions de réussite afin qu’éclose leur potentiel.

Dans son essai Nous sommes tous des féministes2, Chimamanda Adichie montre tous les préjugés de la société vis-à-vis de la femme. Elle y écrit notamment : «Si nous ne voyons que des hommes occuper les postes de chef d’entreprise, nous en venons à trouver «naturel» que les hommes soient les seuls à être chefs d’entreprise.»

Le «naturel» mis entre guillemets est la plus grande explication face aux discriminations que subissent les femmes. La société a créé des barrières artificielles, et ces barrières doivent être enlevées aujourd’hui. L’histoire de mon féminisme, que je clame haut et fort, est née face à toutes les souffrances des femmes que j’ai observées dans mon entourage, souffrances créées par une société parfois misogyne.

Quand ces pratiques seront combattues, c’est toute la société qui connaîtra un essor et se portera mieux. Ce n’est pas juste dans l’intérêt des femmes, mais dans notre intérêt collectif. Une société composée d’hommes et de femmes épanouis3 devient tout simplement une société épanouie. Ne voulons-nous pas vivre dans une telle société ?
Moussa SYLLA

1 François Derrien, Christophe Pérignon (2011), LES FEMMES PEUVENT-ELLES SAUVER LA FINANCE ? https://m.lesechos.fr/redirect_article.php?id=00276-054-ENJ
2 Voir la version Tedtalk via ce lien : https://www.ted.com/talks/chimamanda_ngozi_adichie_we_should_all_be_feminists?language=en
3Robert B. Zoellick (2011), Point de vue : Renforcer la place des femmes est un atout pour l’économie nationale https://www.banquemondiale.org/fr/news/opinion/2011/09/19/op-ed-empowering-women-powers-nations