Israël a décidé d’étouffer le Peuple palestinien sur son territoire par un siège total, et un bombardement à feu continu sur des civils qu’il a lui-même invités à prendre les couloirs pour fuir Gaza. Un piège ignominieux. Devant cette catastrophe humanitaire, cette barbarie plus âgée que nous tous car vieille de plus de 70 ans, çà et là des voix s’élèvent pour évoquer les valeurs de tolérance et de vivre-ensemble, et adresser aux deux peuples palestinien et israélien, des messages de dialogue. Mon opinion est que les peuples ne sont que des victimes, et que les valeurs de tolérance et de vivre-ensemble doivent être fondées sur la reconnaissance mutuelle et le respect, et sur le Droit. Or, dans cette situation, il y a un profond déséquilibre entre les parties.

Israël jouit de l’appui inconditionnel de l’Occident qui semblerait en faire le symbole de son repentir, suite à sa barbarie à l’encontre des juifs, avec la Shoah. C’est, aux yeux de l’Occident, le gage de son expiation du péché d’inhumanité relativement aux juifs. Et dans la pratique, l’Etat d’Israël joue le rôle de sanctuaire, témoin de sa confession et offrande aux juifs du monde. Et pour donner un gage de sa sincérité, Israël doit rester debout et dominant, quitte à transformer la carte du Moyen-Orient et sa configuration à tous les niveaux. Nous avons tous entendu la quasi-totalité des pays occidentaux, les Usa à leur tête, proclamer leur allégeance à Israël. Tous se tiennent prêts à intervenir militairement à ses côtés si son existence est menacée, disent-ils. Israël nous voilà, ont-ils tous entonné.

Depuis le début de la question palestinienne, l’expansion d’Israël sur les territoires de ce peuple s’opère avec la bénédiction de l’Occident. Ce qui, en conséquence, a engendré le rétrécissement des territoires puis leur encerclement par les colons juifs, au mépris des résolutions des Nations unies, qui sonnent comme de simples incantations, sans effet. Dans une impunité totale, Israël, assisté par les pays occidentaux, se comporte comme un Etat voyou, rogue state disent les anglo-saxons.

«Israël est un Etat-voyou, Israël est un Etat hors-la-loi. Accusé de violer systématiquement le Droit international, de commettre à l’égard des Palestiniens des crimes de guerre, voire un crime contre l’humanité (voir le rapport Goldstone après l’opération «Plomb durci» à Gaza en 2009 et le rapport McGowan-Davis qui couvre l’opération «Bordure de protection» de juillet-août 2014). Israël est jugé coupable de perpétrer ni plus ni moins qu’un «génocide rampant» qui finira, si on ne l’arrête pas à temps, par devenir un génocide tout court. Ce n’est plus une politique que l’on condamne, un gouvernement que l’on dénonce, c’est un Etat qui est mis en cause, dont le fonctionnement orienté vers la violence tous azimuts est celui d’un Golem que rien ne laissait prévoir.»1
Dans de telles conditions, les deux peuples sont victimes de l’idéologie de la violence et du dessein d’effacer la Palestine de la carte du monde. Le plus souvent, les militants de la paix et de l’entente entre les nations s’acharnent à inviter les deux peuples à entreprendre la voie de la rencontre, du dialogue, pour construire une paix définitive. Mais le problème n’est pas au niveau des deux peuples, il se situe au niveau de l’Occident qui, honteux de ses fautes à l’égard des juifs, honteux de ses crimes contre l’humanité pendant la 2e Guerre mondiale, ferme les yeux sur la vengeance de l’Etat sioniste contre un peuple qui n’est pas coupable de son drame à Auschwitz ni ailleurs. Le déni au Peuple palestinien à disposer de son Etat, sur ses terres occupées par Israël, est le fait de l’Occident qui laisse Israël dérouler, sans coup férir.

Nous avons entendu le Premier ministre israélien déclarer : «Nous allons changer le Proche-Orient.» Le Proche-Orient a déjà changé, depuis qu’Israël occupe les territoires palestiniens et qu’il a étouffé ce peuple prisonnier sur ses propres terres, dans l’indifférence totale de la Communauté des Etats arabes et du Conseil de sécurité des Nations unies. Le Proche-Orient a bien changé depuis la campagne de «normalisation», c’est-à-dire de l’ajustement des Etats arabes aux normes voulues par l’Occident, au détriment des droits du Peuple palestinien. Alors, que dire aux deux peuples ? Que dire aux peuples du monde entier, sinon de faire du bruit, avec tous les outils sonores ? Make noise, jusqu’à ce que l’Occident entende raison et arrête ce crime continu, à ciel ouvert, sur le Peuple palestinien.

A ce niveau de la réflexion, je voudrais attirer l’attention sur le risque qui se profile, avec la tentation de transformer la nature de ce conflit, qui est d’ordre politique, en une confrontation religieuse entre l’islam et le judaïsme. Cette transformation de la nature du conflit comporte de réels dangers pour les peuples palestinien et israélien particulièrement, et cela va déborder sur les pays et peuples musulmans dans le monde. Et c’est ce qu’espèrent les sionistes et les idéologues islamophobes : déplacer le problème sur le terrain religieux. Or, il faut éviter cela car la question palestinienne est une question nationale et humaine, c’est une question de droit à l’autodétermination, un principe juridique consacré par la Charte des Nations unies. Aussi bien les chrétiens que les juifs de Palestine sont concernés, au même titre que les musulmans.

Les exactions d’Israël, les violations des règles du Droit international et des principes du droit humanitaire impactent tout le Peuple de Palestine, toutes religions confondues.

Cependant, on ne peut pas nier la dimension religieuse dans ce conflit, vu l’historicité et la sacralité de Jérusalem. Etant le 3e lieu saint de l’islam, le point de départ du Messager d’Allah pour son ascension, et hébergeant de nombreux temples et sanctuaires historiques pour les autres religions, al-Quds est un condensé d’émotions multiples pour les croyants. Mais la prégnance du fait religieux dans ce conflit et la centralité de la sainte cité al-Quds n’en font pas une guerre des religions. Si les gens tombent dans le piège des politiciens et des idéologues du racisme qui veulent appliquer la règle de divide et impera, ils détournent le problème et sortent du cadre politique et juridique de la question. Ce sera l’occasion pour stigmatiser les religions, l’islam en particulier, de le présenter comme une religion de haine et d’exclusion, de violence et d’intolérance, etc. Mais ce sera surtout pour les tenants du chaos au Proche Orient, de saisir l’occasion pour s’en prendre aux peuples musulmans de la région et à leurs dirigeants qui soutiennent la cause palestinienne. Rappelons-nous que tous les chefs d’Etat musulmans qui avaient manifesté sans nuance leur hostilité face aux crimes d’Israël, ont payé de leur vie. C’est le cas de Saddam Hussein, c’est le cas de Kadhafi. La Syrie, la République islamique d’Iran, et même la Turquie, sont dans le viseur de l’Occident qui ne veut pas d’un Etat fort et réellement souverain dans les pays entièrement ou à majorité musulmans. Le principe de chaos maîtrisé, émis par les think-tanks américains au milieu du 20e siècle, est toujours de mise. La cause palestinienne est une question qui transcende les religions, elle interpelle l’humanité dans son essence. Le sursaut d’humanité qui a animé l’Occident face à l’innommable Shoah, était-il le dernier qui lui restait ? S’il y a encore des résidus d’humanité chez l’Occident, il doit alors dire Stop à Israël, en mettant un terme au parti-pris honteux dont il fait montre à son égard, et s’engager enfin, avec ce qui lui reste d’honneur, dans la voie de la restitution de son droit au Peuple palestinien ; droit inscrit dans la Charte des Nations unies. C’est ce changement qui est le seul juste au Proche-Orient. Tout autre ne serait que filouterie et acte de voyou. La cause palestinienne est la nôtre, elle est celle de toute personne ayant une once d’humanité.
JE SUIS PALESTINE

Pr Abdoul Aziz KEBE
1 Denis Charbit : « Israël est un État-voyou. », Dans Israël et ses paradoxes (2023), Collection : Idées reçues
Éditeur : Le Cavalier Bleu, 2023, pp 341 à 356.