Nouvelle directrice du Smithsonian National Museum of African Art : Qui est Ngaire Blankenberg ?

Qui est Ngaire Blankenberg, à la tête depuis le 6 juillet du prestigieux Smithsonian National Museum of African Art (Nmafa), à Washington ? Cette consultante indépendante, de nationalité sud-africaine, née au Canada de parents sud-africain et néo-zélandais, affiche un parcours impressionnant. Elle a collaboré, ces deux dernières décennies, avec 55 musées dans plus de 40 villes à travers le monde. Parmi ses plus récentes collaborations, elle cite le Musée canadien pour les droits de la personne à Winnipeg, sa ville natale, le Musée d’ethnographie de Genève (Meg), le projet Al-Ula en Arabie saoudite et le nouveau Museum and Archive of the Constitution at the Hill (March) à Johannesburg.
Enseignante à l’Université internationale de Catalogne, basée ces dernières années à Barcelone, Ngaire Blankenberg a co-écrit Of Cities, Museums and Soft Power (AMM Press, 2015). Ce livre sur le rôle des musées au XXIe siècle part du constat que «Paris n’a, par exemple, pas la même influence que la France, de même que Barcelone ne rayonne pas comme toute l’Espagne. Le musée, teinté de colonialisme en Europe et doté d’une diplomatie particulière, s’est transformé. Les musées modernes ne portent plus un imaginaire forcément national, mais sont plutôt liés aux grandes villes qui les abritent, les lieux où les crises actuelles se font le plus ressentir, qu’il s’agisse du logement, des inégalités, de la migration et de la xénophobie».
Transformation en vue au Smithsonian
Esprit ouvert et forte personnalité, Ngaire Blankenberg se dit «très honorée de travailler à la nouvelle direction que veut prendre la grande institution publique que représente le Smithsonian ». Et pour cause : cette énorme institution fait office de ministère de la Culture au niveau fédéral, avec 19 musées et 21 bibliothèques à travers les Etats-Unis, sans oublier le Zoo national à Washington. Son nouveau directeur depuis 2019, l’historien afro-américain Lonnie Bunch, a fondé en 2005, le National Museum of African American History and Culture. Parti de rien, il a monté une collection de 40 000 pièces et fait du musée un point central d’attraction, avec 6 millions de visiteurs entre 2016 et 2019. «Son regard sur la transformation nécessaire des musées rend la mission excitante», affirme Ngaire Blankenberg, qui lui voue un immense respect. Elle est prête à partir de ces questions : «Que signifie être un musée d’art africain aux Etats-Unis ? Quelle est la relation, à la fois locale et transnationale, entre ce musée national et sa ville, Washington, où 55% de la population sont formés par des Afro-Américains et des migrants de la diaspora africaine ? Quelle est la responsabilité du musée à l’égard du continent et de la diaspora, que celle-ci soit aux Caraïbes, en Amérique centrale ou en Europe ?»
De la télévision à la pratique muséale à Johannesburg
Ngaire Blankenberg est arrivée à ce sommet en autodidacte, poussée par sa curiosité et son sens de la liberté. Modeste, elle dit avoir «plus de largeur que de profondeur», parce qu’elle n’a pas le parcours classique des directeurs de musée – longues études en histoire de l’art et conservation. Lorsqu’elle décide de quitter Ottawa pour s’installer en Afrique du Sud en 1997, c’est pour y poursuivre ses études de journalisme, avec un master en Arts, médias et études culturelles de l’Université du Natal. Elle réalise des documentaires et des émissions à Johannesburg pour une maison de production qui lui propose une bifurcation, lorsqu’elle veut changer de rythme de travail, après la naissance de ses deux enfants. «La société avait remporté le contrat sur la transformation en musée de la prison de Constitution Hill, à Johannesburg. Le projet relevait à la fois de l’héritage historique, du tourisme et de l’éducation. Mon équipe s’est auto-éduquée, en passant d’une façon de raconter des histoires à la télévision à une manière d’en raconter en trois dimensions. L’objectif était que le musée, instrument de conservation et d’inclusion, ait un impact dans l’Afrique du Sud post-apartheid», dit-elle.
Une collection historique et contemporaine
Le Nmafa, à Washington, dont l’ancien directeur Augustus Casely-Hayford, Britannique originaire du Ghana, est parti début 2020, attend donc sa nouvelle directrice. Elle s’installera dès que les restrictions liées au Covid le permettront, pour retrouver une collection unique, à la fois historique et contemporaine. Les dernières acquisitions vont de paniers de mariage traditionnels à des œuvres récentes de la plasticienne Billie Zangewa, originaire du Malawi. Intéressée depuis longtemps par la décolonisation, Ngaire Blankenberg estime que les enjeux se posent différemment en fonction des régions du monde : «En Afrique, les musées de la post-colonie se trouvent dans un état lamentable, tandis qu’en Europe, on trouve des institutions coloniales assez racistes, dominées par des responsables blancs ayant une culture et un type de dynamique particuliers, qu’il faut démonter.» Lectrice assidue de Frantz Fanon et de Achille Mbembe, elle cite parmi ses lectures actuelles, Undrowned : Black Feminist Lessons from Marine Mammals (AK Press, 2020) de la poétesse et activiste afro-américaine Alexis Pauline Gumbs. Une réflexion sur la façon dont les mammifères marins protègent leur progéniture face au changement climatique, qui lui rappelle un autre essai tout aussi important à ses yeux, Le champignon de la fin du monde : sur la possibilité de vie dans les ruines du capitalisme (La Découverte, 2017) de Anna Tsing. Autant dire que le changement au Nmafa s’annonce radical.
Rfi