Le numérique est une aubaine. Mais il peut aussi être une malédiction. C’est, en substance, le constat fait par les acteurs de la filière musicale, réunis à Dakar les 27 et 28 mai à l’occasion d’un séminaire organisé par la Société sénégalaise du droit d’auteur et des droits voisins (Sodav), avec l’appui de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (Ompi). Objectif : repenser les modèles économiques de la musique dans l’espace Uemoa et réaffirmer l’urgence d’un encadrement réglementaire face aux défis du numérique.Par Ousmane SOW – 

Après une première rencontre avec les magistrats, ce sont les professionnels de la gestion collective qui ont pris le relais. Réunis à Dakar les 27 et 28 juin 2025, des experts de la musique, des représentants institutionnels et des professionnels de la gestion collective ont tenté de répondre à une question brûlante : comment renforcer la filière musicale ouest-africaine à l’ère du numérique ? A l’initiative de la Société sénégalaise du droit d’auteur et des droits voisins (Sodav), avec l’appui de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (Ompi), ce séminaire de haut niveau devrait aboutir à des recommandations concrètes pour structurer durablement la filière musicale ouest-africaine. Encore faut-il que cela ne reste pas lettre morte. «J’appelle à une réflexion, à ce que cet atelier puisse aboutir vraiment à des résolutions, des recommandations, mais aussi à quelque chose de vraiment pratique, qui puisse nous servir et qu’on puisse dire qu’à la fin, voilà concrètement ce que nous avons amené», déclare Aly Bathily, Directeur gérant de la Sodav, qui mise sur la création d’un hub sous-régional pour résister au diktat des géants du streaming, comme cela s’expérimente déjà en Afrique du Sud. «Il y a Kaposo avec l’Afrique du Sud qui a essayé de créer un hub. Mais sûrement, l’Afrique est trop large pour qu’une seule société puisse gérer cela. Je pense qu’un hub communautaire serait plus facile et plus simple pour nous permettre de contourner ces difficultés techniques, ces défis, pour mieux gérer la problématique de la filière musicale dans l’espace Uemoa», fait-il savoir, rappelant que ce projet conjoint de l’Ompi était nécessaire dès lors qu’il s’agit de quelque chose de très structurant. Mais les défis sont immenses. «Il ne faut pas qu’on baigne dans un certain narcissisme. Il y a du talent, oui, mais les droits des artistes africains dorment au niveau des plateformes. Rien n’est capté par l’Afrique. Pourquoi ? Parce que les préalables techniques ne sont pas réglés. On n’a pas fini de parler des plateformes de streaming, l’Intelligence artificielle a fait son incursion», alerte-t-il. Aly Bathily évoque notamment l’identification des répertoires, la protection des œuvres, la réglementation numérique obsolète… et surtout «un partage inéquitable des revenus».

«On s’adapte ou on périt»
Aly Bathily admet certes que les plateformes, le streaming, le numérique constituent une opportunité, mais également une véritable menace pour l’Afrique. «Les chiffres mondiaux sur le streaming, c’est faramineux. Mais qu’est-ce que l’Afrique y gagne ? L’Afrique ne gagne rien. Toutefois, il ne faut pas renvoyer la responsabilité uniquement aux autres. Nous devons aussi nous regarder dans le miroir», assène le Directeur gérant de la Sodav. Pour lui, le marché, c’est le numérique. «Actuellement, le marché, ce sont les plateformes, le numérique. On s’adapte ou on périt. Il n’y a pas de secret», précise-t-il, tout en appelant également à une coopération plus forte entre les sociétés de gestion collective pour harmoniser les normes et échanger efficacement les droits. «Nous avons l’obligation de coopérer entre nous, signer entre nous des accords de représentation réciproques pour s’envoyer mutuellement des droits», a-t-il lancé, précisant que la Sodav peut aider les artistes en les sensibilisant, mais ne s’occupe pas de la monétisation. Un défi technique, mais aussi politique. Car, dit-il, «nos régulateurs ne jouent pas le jeu. Les plateformes viennent, prennent l’argent, repartent. Le régulateur n’est même pas au courant. Il faut que les régulateurs nous aident si on veut avoir une filière musicale assez développée», a-t-il laissé entendre.

De son côté, Sherine Greiss, Coordinatrice principale du développement à l’Ompi, souligne les efforts menés depuis 3 ans pour «promouvoir une meilleure compréhension des cadres juridiques et des mécanismes de gestion collective, notamment dans le domaine numérique». Elle rappelle que l’Afrique du Sud capte à elle seule plus de 74% des revenus de la musique enregistrée en Afrique subsaharienne. «Où se situe l’Afrique de l’Ouest, pourtant si riche en talents, en créativité ? La réponse réside en partie dans les difficultés persistantes liées à la monétisation des œuvres», fait-elle savoir. A ses yeux, les artistes et entrepreneurs culturels subsahariens peinent encore à transformer cette créativité en valeur économique concrète. «Des infrastructures de gestion des droits inadaptées, un environnement juridique en retard et une difficulté persistante à monétiser la créativité», a énuméré Sherine Greiss qui, tout de même, reste encore optimiste. «Nous voici aujourd’hui à la dernière étape de ce projet ambitieux, mais certainement pas à la fin du chemin.»
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