Lancé en grande pompe en 2014, le Programme des domaines agricoles communautaires n’a finalement pas produit les résultats escomptés. De l’objectif de 300 000 emplois en 5 ans, le Prodac n’a même pas produit le 1%. Alors que le chômage devient de plus en plus rural, les autorités ont décidé de changer de cap. Le Quotidien a visité quelques Dac pour tenter d’expliquer les causes de l’échec. Ce dossier a été réalisé grâce au programme Ethique et excellence dans le journalisme de l’Ecole supérieure des métiers de l’internet et de la communication (Ejicom).

La gare routière de Sédhiou porte des habits de souk. Conducteurs de motos Jakarta, essentiellement de jeunes, guettent le moindre client. Dans ce quartier de Santassou, une ville périphérique de la capitale régionale, le lieu de destination n’est pas le Domaine agricole communautaire (Dac). Situé à Nimaya, une commune du quartier de Koussy, le Dac, de loin, semble capter l’attention du visiteur par sa large superficie enveloppée d’une bâche blanche. Dans la cour de cette superficie de 1000 ha, le visiteur est impressionné par les installations de haute technologie. Les gazouillements des oiseaux bercent le calme olympien qui enveloppe le site. Cependant, ce calme plat est perturbé par le fracas d’une machine bruyante et terrible en apparence. Il s’agit d’un groupe électrogène chargé d’électrifier le Dac. La somptueuse verdure des plantations en dit long sur l’envergure du projet : le Programme des domaines agricoles communautaires (Prodac).
Ce programme cher au gouvernement avait comme but initial de contribuer à la réduction de la précarité sociale en milieu rural par la promotion de l’entreprenariat agricole des jeunes. La barre a été placée assez haut par le président de la République, Macky Sall, qui tablait sur 300 000 emplois en 5 ans. Plus de 4 ans plus tard, le programme n’est pas loin de l’échec. A Sédhiou qui a inauguré la naissance des Dac, les jeunes souffrent du chômage. En septembre, le site ne comptait que de 1413 emplois. Encore que beaucoup de ces emplois ne sont pas pérennes. Même des élèves de l’élémentaire sont engagés durant la période des grandes vacances pour travailler dans le Dac. Dans l’exploitation piscicole mise en place grâce à la Délégation à l’entreprenariat rapide (Der) à hauteur de 30 millions de francs Cfa pour accompagner les 10 unités d’exploitation, c’est une soixantaine de jeunes qui entretiennent les bassins avec des outils de dernière génération.

Moins de 3000 emplois en 4 ans
Pourtant, la région de Sédhiou offre de grandes opportunités et potentialités d’affaires dans le secteur agricole en raison des conditions écologiques et pluviométriques. Les spéculations dominantes sont l’arachide, l’anacarde, la banane, le coton, le mil, le sorgho, le maïs, le riz, le fonio… Essentiellement rurale et jeune, la population de la région est estimée à 517 016 habitants avec une densité de 70 habitants au km2 (Ansd 2017). Près de 68,3% des ménages vivent en dessous du seuil de pauvreté affectant particulièrement les hommes contre 47% au niveau national. Le fort taux de ruralité, soit 4/5 de la population, pose de nombreux problèmes d’accès à l’eau potable, l’insuffisance d’infrastructures, d’éducation, de santé, de transports et l’aménagement des espaces jeunes. Ici, la plupart des jeunes font du transport par moto jakarta leur gagne-pain.
Député-maire de Madina Wan­difa, une commune du dépar­tement de Sédhiou, Malang Sény Faty ne s’y trompe pas : «Le Prodac est un bon projet mais les jeunes ne sentent pas le Dac de Séfa.» Kédougou par contre n’a pas les mêmes infrastructures que Séfa. Situé entre les collines de Bandafassi et les chutes de Dindifélo, le Dac d’Itato est sortie des terres, avec la première station piscicole du Sénégal. Le maraîchage complète la chaîne de production sur une superficie de plus de dix ha et dispose d’une délibération sur 1000 ha votée par le conseil communal de Bandafassi. Les activités dans le Dac de Itato ont démarré en 2014, mais dans cette région minière, les jeunes peinent à rompre les amarres avec le chômage. Pour le reste, ce ne sont uniquement que des infrastructures sur place.

2 Dac fonctionnels sur 5
A Keur Samba Kane, commune nichée dans le département de Bambey, les instruments de travail sont sur place. Faute de financement, les activités n’ont toujours pas démarré. Dans cette localité de 20 000 âmes, 10 containers contenant du matériel agricole et piscicole décorent le vaste espace de 1000 ha. «Je demande au Prodac et au gouvernement d’accélérer la pédale pour la matérialisation du Dac de Keur Samba Kane. C’est le seul moyen pour lutter contre le chômage, mais aussi pour que l’autosuffisance alimentaire ait lieu au Sénégal. C’est vrai que le monde ne s’est pas fait en un seul jour, mais je demande au gouvernement d’accélérer le pas en ce qui concerne Keur Momar Sarr, Keur Samba Kane, Séfa et Itato», sollicite Khalil Ibrahima Fall, député-maire de Keur Samba Kane, qui a effectué le déplacement jusqu’à Sédhiou pour apprécier le Dac de Séfa. A Keur Momar Sarr, le démarrage des activités n’est aussi pas prévu pour demain. Fruit d’une union de communes Syer, Nguer Malal, Gangué et Keur Momar Sarr, ce Dac s’étale sur 6000 ha. L’idée était de mutualiser leurs forces pour sortir la zone Sylvo-pastorale de son sous-développement et insécurité alimentaire. 4 ans plus tard, le site est toujours en chantier. Enfin, le Dac de Sangalkam a été lancé samedi dernier par le président de la République.
Pour expliquer les causes de cet objectif non atteint, il faut remonter aux contrats signés entre d’abord l’Etat du Sénégal et la société Green 2000 chargée de la réalisation du projet, et entre l’Etat du Sénégal et la société Locafrique, bailleur du projet. Ministre de la Jeunesse, c’est Mame Mbaye Niang en septembre 2015 qui a signé avec Daniel Pinhassi, patron de Green 2000. Ensuite, le contrat de financement a été signé entre le ministre de l’Economie, des finances et du plan, Amadou Ba, et le boss de Locafrique, Khadim Ba. Cependant entre l’ordre de service survenu en mars 2016 et le début des virements marquant le début des travaux de réalisation des Dac, 3 mois se sont écoulés. Ce qui est matière à suspicion. Mame Mbaye Niang demande et obtient le départ du coordonnateur Jean-Pierre Senghor en janvier 2017 même s’il «ne lui reproche pas grand-chose sur ce projet». Il est remplacé par l’ancien directeur technique du Prodac, Mamina Daffé. Le projet balbutie. En définitive, les 4 Dac qui devaient être réalisés en 8 mois pour 29 milliards 536 millions traînent en longueur.
En juin 2018, dans un rapport, l’Inspection générale des finances dénonce des «surfacturations» de la part de Green 2000 qui rejette les accusations. Il faut relever que les paiements à Green 2000 se font sur demande formelle du Prodac qui est le maître d’ouvrage délégué représentant les intérêts du Sénégal. Cependant, pour bien encadrer l’opération, la convention de financement est liée aux conditions de validité du contrat de marché entre Green 2000 et le ministère de tutelle. Ayant constaté, comme il ressort dans le rapport de l’Igf, des «manquements graves dans la mise en œuvre du projet», Locafrique demande des «corrections pour une conformité aux dispositions du Code des marchés publics et à la convention de financement». Ainsi, plusieurs courriers d’alerte à l’ensemble des parties prenantes, y compris le ministre de tutelle, ont été documentés par l’Igf, un organe logé au ministère de l’Econo­mie, des finances et du plan. Après une année d’approche pédagogique faite de lettres d’alerte, de sensibilisation sur les manquements graves, Locafri­que, à titre de partenaire financier de l’Etat, prend ses responsabilités pour suspendre tous les paiements.

Le Dg du Prodac : «On est dans une approche expérimentale»
Aujourd’hui, le Directeur général du Prodac préfère ne pas s’attarder sur cette polémique. Mamina Daffé se pointe vers l’avenir : «On est dans une approche expérimentale. Séfa est le premier Dac où les structures sont terminées, les autres sont en période de mise en œuvre, que ce soit à Itato, Keur Momar Sarr ou Keur Samba Kane.» Président de la Commission des lois de l’Assemblée nationale, Seydou Diouf trouve qu’au Sénégal, «on doit accepter dans le cadre du lancement des programmes de cette dimension que forcément au début, il peut y avoir des difficultés. Mais c’est dans la correction des difficultés que l’on atteint le stade de maturité d’un programme pour permettre de donner les résultats escomptés». Il ajoute : «Tous les problèmes d’emplois ne peuvent pas être réglés. Dans aucun pays du monde, les problèmes d’emplois ne sont réglés y compris dans les pays les plus développés. Le chômage demeure une problématique sérieuse que tout gouvernement sérieux doit embrasser à bras-le -corps. Ici (à Séfa), c’est l’expérimentation d’une réponse possible. Mais toute la réponse par rapport à la politique d’emploi du gouvernement ne peut pas résider dans les Dac. On a une perspective de réponse, il faut la consolider, maîtriser la chaîne des valeurs, communiquer davantage sur la réalité de ce que cela peut apporter comme plus-value dans la vie des gens, sur leur territoire pour développer d’autres perspectives.» En attendant, le chômage persiste toujours…