Par Serigne Saliou DIAGNE –

La disparition de Abdoulaye Baba Diao est une immense perte. C’est celle d’un homme pour qui les mots Patrie, honneur, travail, loyauté et détermination ont toujours eu un sens. Il aura chéri de son vivant toutes ces valeurs et surtout prêché par l’exemple dans ses actions de tous les jours. Pour avoir travaillé avec l’homme, je ne peux exprimer à quel point ma coquille s’est fendue. L’hésitation m’a gagné avant de pouvoir partager ce texte et surtout, écrire chacune de ces lignes aura été ô combien difficile. Mon esprit a été tiraillé entre la loyauté et la mémoire d’un homme qui aura placé la discrétion au-dessus de tout. Il aura été un homme de peu de paroles, surtout dans la sphère publique, tout en veillant de façon frénétique à œuvrer dans le sens du bon geste, des bonnes actions et de l’accomplissement de bonnes œuvres. Faire du bien, en tout lieu et en tout temps, lorsque l’opportunité se prête et de façon désintéressée, aura été un mode de vie qu’il inculquera à toute personne qui a pu être dans son cercle. Ses leçons sur la façon de se tenir et d’évoluer en société et en affaires restent encore gravées sur du marbre dans mon esprit.

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Tantôt vous serez adulé, tantôt vous serez vertement critiqué, tâchez d’être toujours debout. C’est la substance de ses mots. Abdoulaye Baba Diao est le nom qui rimera à jamais avec rigueur, excellence, abnégation, générosité et humilité dans ce pays. Il aura été un élève pétri de qualités : un Baccalauréat avec mention «Très bien», une bourse pour les Classes préparatoires de Louis-le-Grand, l’Institut français du pétrole (Ifp), après un passage à l’Ecole centrale de Lille. Il aura fait toutes ses classes avant de revenir au bercail en ingénieur surdoué, prêt à mettre le pied à l’étrier et contribuer à sa manière à l’essor de son pays. Il n’aura jamais hésité à tendre la perche à des jeunes et encourager leur dévotion au culte du travail.

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Son métier d’ingénieur et sa passion pour le savoir faisaient de lui le parfait maître et le meilleur des élèves, avec une capacité d’écoute à toute épreuve et une façon de prodiguer des conseils qui avaient toujours les allures d’une résolution d’équation. Il ne tarissait de références et de recommandations sur tout. Dans le monde des hydrocarbures, c’est à Baba Diao qu’on doit la Petrosen sous sa forme actuelle de bras technique de l’Etat. Il n’aura pas non plus été avare d’efforts avec les différents régimes qui se sont succédé à la tête de ce pays pour la préservation de la Société africaine de raffinage (Sar).

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L’auteur Pierre de Gasquet disait à propos de l’homme d’affaires et icône italienne Gianni Agnelli (ancien patron de Fiat), que le pouvoir d’un clan ou d’un homme se mesure très peu à l’étendue de son patrimoine. Il insistait sur le fait qu’il suffit qu’un individu puisse «émerger du lot» et «devenir une sorte de mythe vivant» pour se hisser en symbole, en référence de générations et surtout, en «point de repère d’une Nation». Abdoulaye Baba Diao a pu par son talent, son intelligence, son courage dans les affaires et son abnégation dans le travail, se faire une idole intemporelle dans notre pays et servir d’exemple le plus abouti de réussite pour tout enfant du Peuple qui souhaiterait toiser les sommets. La seule tragédie de Baba Diao aura été de naître et d’avoir vécu dans un pays comme le Sénégal, une terre où l’on sait détester nos héros, haïr les honnêtes gens qui réussissent par le travail et combattre tout ce qui est plus grand que soi. Le silence des autorités sur la disparition du dernier des titans de notre économie en dit long sur l’état d’esprit d’un pays où l’on souhaiterait brûler toute grandeur et diaboliser tous les compatriotes d’exception. Au rythme où on souhaite voir nos héros consumés par le feu de l’échec cuisant, ce n’est pas pour demain qu’un Panthéon sera érigé pour les dignes fils de la Nation.

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C’est après toute une vie bien remplie qu’un de nos plus grands capitaines d’industrie et un vaillant promoteur du capital sénégalais dans toutes ses dimensions tire sa révérence. Il aura su partout, et avec la patience d’un timonier, semer des graines dans plusieurs esprits et accompagner les meilleures idées et initiatives au profit du Sénégal. Une des devises de Marc Aurèle, «ne regarde point autour de toi ; cours droit sur la ligne ; ne te disperse pas», peut résumer l’attitude que Baba Diao aura prodiguée à toutes les personnes qui ont pu avoir la chance de l’accompagner. Je m’étrangle pour ne pas avoir pu compiler tous les éléments nécessaires dans un projet de narration d’une histoire d’un capitalisme sénégalais et de la longue quête des hydrocarbures dont il était l’interlocuteur et contributeur principal. Le rappel tragique que le temps qu’on pense nous être donné est toujours une illusion quand on ne l’use pas à bon escient, reste frappant.

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Aujourd’hui, c’est un grand homme qui nous quitte. Une belle âme qui aura aimé le Sénégal et tenté de donner le plus d’opportunités à ses filles et fils. La peine de sa famille est énorme, le chagrin de ses amis et proches incommensurable. Je ne peux ne pas penser, en concluant ces lignes, à tous les loyaux lieutenants, collaborateurs et conseils qui auront épaulé ce titan de nos temps. A Alioune Wade, Ousmane Diouf, El Hadj Ousseyne « Elou », Charles Sohai, Me Alassane Cissé, Ousmane Lô, Doyen Cissokho, Sakhir Diouf et Jean-Michel Seck, toutes mes condoléances à vous. Il n’y aura plus de titan comme le père, maître, parrain et patron que nous venons de perdre. Je ne peux que chérir toutes les leçons de vie qu’il nous aura laissées.

De lui, je garde également bien encadrée dans mon bureau, une démonstration sur deux pages qu’il m’aura faite sur le potentiel en hydrocarbures du Sénégal et sa nécessité à l’avenir de devenir un hub de ces ressources en Afrique. C’était en 2012, on ne saurait rêver d’un plus grand génie !
saliou.diagne@lequotidien.sn