Aux yeux du Professeur Andrée Marie Diagne Banané, Ousmane Sembene était un écrivain féministe avant l’heure. Le Pr Diagne qui est membre de l’Association Ousmane Sembene et enseignante à la Faculté des sciences de l’éducation et de la formation (Fastef) a présenté il y a quelques jours, à l’occasion du 1er Colloque sur Ousmane Sembene, une communication sur la place des femmes dans l’œuvre de l’écrivain et cinéaste disparu.
Ousmane Sembene était un écrivain féministe avant l’heure. C’est la conviction du Pr Andrée Marie Diagne Bonané. Le Pr Diagne qui est membre de l’Association Ousmane Sembene et enseignante à la Faculté des sciences de l’éducation et de la formation (Fastef) a présenté, à l’occasion du 1er Colloque sur Ousmane Sembene, une communication sur la place des femmes dans l’œuvre de l’écrivain et cinéaste disparu il y a quelques années. «Sembene est un écrivain féministe avant la lettre parce que dans chacune de ses œuvres, il y a des figures féminines, des visages de femmes qui sont porteuses de son message», souligne le Pr Diagne qui explique que partout dans l’œuvre de Sembene, on voit des femmes qui subissent la contrainte sociale, la polygamie mal vécue, les brimades et même une violence physique et/ou morale. «Mais au moment où elles sentent que le vase est plein, elles se révoltent, brisent ce carcan et cet emprisonnement. Et ce sont ces femmes porteuses d’espoir qui sont celles qui vont bâtir la société nouvelle à la Sembene», souligne le Pr Diagne. Dans l’œuvre littéraire comme cinématographique qu’il a laissée à la postérité, Sembene a toujours mis en avant des figures féminines très fortes, de toutes les générations également. «Nous avons des grands-mères comme Niakoro, Fatou Wade dans Les bouts de bois de Dieu. Nous avons aussi dans Guelwaar, texte et films, des personnes du troisième âge qu’on considère souvent comme des gardiennes des traditions et parfois de traditions qui aliènent les femmes. Mais ce dont nous nous rendons compte, c’est qu’à côté de ces femmes, il y a des femmes d’âge mûr, des mères de famille et la troisième génération, des jeunes femmes et des jeunes filles», précise le Pr Diagne. Sur ces figures, il y a aussi celles qui sont en marge de la société. «Dans Les bouts de bois de Dieu, il y a le personnage de Penda qu’on désigne comme étant une prostituée, mais qui va être réhabilité par Sembene parce qu’elle va être la meneuse des marcheuses de Dakar à Thiès. Et elle va être réhabilitée aussi par l’amour que Bakayoko lui porte et qui va dire à Ndèye Touti qui est la petite aliénée : ‘’Tu ne l’atteins même pas aux chevilles’’. Cela montre que chez Sembene, il n’y a aucune femme qui est condamnée parce que d’une façon ou d’une autre son destin et la société l’ont obligée à dévier par rapport à une certaine norme sociale. Dans Guelwaar, Sophie nourrit sa famille en faisant le plus vieux métier du monde. Prenez par exemple Jouana dans La Noire de… Aujourd’hui, on parle d’émigration qui touche beaucoup les femmes. Mais déjà, Jouana est une victime de la migration pour trouver du travail, se valoriser. Elle est partie en se faisant une image de cette Europe et qu’est-ce qu’on lui a fait ? On l’a enfermée dans un appartement et on l’a exploitée. Devant cette situation, cet emprisonnement, Jouana choisit de se suicider. C’est la même attitude que l’on trouve dans Vehi Cossan, chez la vieille Ngoné War Thiandoum, descendante d’une famille princière, mais qui subit l’humiliation que son mari a mis enceinte sa propre fille. Il y a donc un inceste dans la famille. Son mari est l’imam et le chef, et personne ne dit rien. Tout le monde le sait et elle ne supporte pas cette ignominie. Et on la voit se suicider. C’est donc la femme qui défend l’honneur au moment où les hommes sont défaillants. C’est très fort comme message.»
«La Noire de…»
Féministe avant l’heure, Sembene accorde toujours une place de choix aux personnages féminins qui peuplent ses œuvres. La Noir de…, une de ses œuvres les plus célèbres, est couronnée par le Prix Jean Vigo. «C’était tout un symbole. Déjà le titre était accrocheur, le personnage aussi était formidable et il a voulu montrer que l’égalité entre les races, les employés et la classe ouvrière sont des droits qu’on ne négocie pas. Il vaut mieux mourir si on ne nous respecte pas», souligne le Pr Diagne qui se rappelle encore le bouleversement que ce film a occasioné chez les jeunes filles noires du continent.
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