La vision présidentielle de l’émergence affaiblie par une classe politique sénile et des élites défaillantes

Nous avons écrit cet article avec une très grande amertume pour des raisons multiples : les questions de fond de notre société sont peu ou pas traitées et demeurent en jachère, après plus de quatre décennies perdues de développement économique et social. En cette période de recomposition et de basculement de la richesse industrielle, financière et technologique du fait de la montée en puissance des nouveaux pays émergents du Sud, la fin de l’unipolarité où un directoire occidental (communauté internationale) prétendait en assurer la gérance, la perte de terrain des Institutions Financières Internationales en manque de légitimité, en panne conceptuelle pour porter l’épure néolibérale, ce contexte favorable offre de bonnes perspectives de sortie du sous-développement endémique, surtout s’il est bien pensé et exploité par un leadership jeune, patriotique moins contraint par les avatars néocoloniaux et qui prend de bonnes décisions.
Depuis 1960, la croissance économique est restée atone et n’a dépassé qu’épisodiquement la croissance démographique (2,9 à 3%). Les multiples programmes des gouvernements successifs n’ont jamais pu réduire la pauvreté de façon substantielle ni abaisser les inégalités et le chômage endémique des jeunes. Les prétentieuses politiques néolibérales voulant bâtir un capitalisme sans les capitalistes locaux et sans Etat-providence ont démonté le secteur public (l’Etat) avec un entêtement abyssal et la complicité de gouvernements aplatis et autistes. Il en est résulté une double déchéance de l’espace politique et des élites surtout, intellectuelles. La moindre des preuves est la faillite du système des partis caractérisés par leur poussiérisation : plus de 150 dont les formations de gauche frappées par le reniement de leurs idéologies généreuses. Cette situation est aggravée, en francophonie, par le mimétisme des institutions de la 5ème République française, qui consacrent la prépondérance présidentielle (chef de parti) avec une consubstantialité de droit entre l’exclusivité du Président et le nanisme de fait de tous les autres centres de pouvoir.
Dans ce cadre, les partis devraient assurer, au mieux par l’alternance, une rotation plus rapide des élites pour la captation de la rente. Démocratie (assimilée à élections), développement (réduite à la croissance) et bonne gouvernance deviennent les adjuvants d’une occidentalisation prescrite pour permettre la circulation des élites dont sont issus les nombreux candidats à notre bonheur et qui se présentent par milliers aux élections sans projets crédibles. Toutefois, il est illusoire, voire démagogique, de croire que la démocratie formelle, les élections, telles qu’elles sont pratiquées, suffisent à garantir une bonne représentation des aspirations de la population.
La croissance économique robuste de l’Asie de l’Est, dans les années 90, avait impressionné les politiques et dérouté plusieurs analystes par sa rapidité et son ampleur. En l’intervalle d’une génération, de petits pays, de culture non occidentale et de peuplement non blanc, dépourvus de matières premières, ont construit des systèmes économiques qui les ont fait accéder, en quelques années,  au rang de puissance mondiale. Nous avons été le premier à lancer au Sénégal, en 1993, après un périple en Asie (Chine, Japon et Corée), la problématique de l’Emergence lors du 50ème anniversaire du syndicat patronal, le Scimpex (Compte rendu du Soleil du 18 novembre 1993 : Décryptage de l’expérience des Dragons, du Walfadjri du 18 novembre : Comment faire du Lion un dragon et du Sud-Quotidien : Les Npi en exemple). De plus, dans notre ouvrage d’Economie du Développement (Kassé, 2009), nous avions questionné la notion d’émergence, au-delà de la logique financière qui avait présidé à sa genèse, en relation d’une part, avec l’économie normative (liens avec l’Economie du Développement et théories fondatrices) et d’autre part, l’économie positive (politiques économiques et instruments d’un processus vertueux et irréversible de croissance).

I/ Les enjeux du projet présidentiel national et démocratique
Le Président Macky SALL élu à la magistrature en 2012, était le seul  dans l’arène à disposer d’un projet national ambitieux : le Yonou yokouté ou encore «le Chemin de la croissance»  pour transformer la société par une volonté clairement exprimée de rupture. Au-delà des programmes existants, le Dsrp2, la Sndes et la Sca, ce projet se propose de mettre le Sénégal en marche vers la croissance, l’emploi et le pouvoir d’achat. Il opère, dès sa profession de foi, une analyse rétrospective  du Sénégal : «Depuis trois ans, j’ai sillonné minutieusement le pays à votre rencontre pour mieux écouter, observer et surtout apprendre. J’ai mesuré l’ampleur des souffrances des femmes prises dans les tâches quotidiennes et rencontré des familles installées dans des quartiers précaires, inquiètes à l’approche de l’hivernage et une jeunesse en désarroi, sans qualification ou des diplômés sans emploi. Notre cher Sénégal va mal, très mal. Il est traversé par d’innombrables fractures. Le modèle de développement choisi jusqu’à présent ne parvient pas à venir à bout des injustices sociales. Il faut le changer. Il nous faut le repenser. En effet, notre modèle économique n’est pas suffisamment productif pour nous permettre de créer les emplois et les richesses nécessaires à notre développement».
On cherchera à la loupe, dans l’ensemble des formations politiques, la moindre trace d’un programme de transformation économique et sociale du pays. Lors des campagnes présidentielles, les discours ont oscillé entre d’une part, un technocratisme de pacotille consistant à proposer pêle-mêle des catalogues de mesures constitutives d’un «bonheur national» le plein emploi, la santé et l’éducation pour tous, l’amélioration du niveau de vie. Les plus futés pensant que les vertus de la croissance pouvaient offrir une chance inespérée de gagner en crédibilité technique et de décider l’électorat se lancent dans des élucubrations de politiques de développement sans spécifier ni les facteurs, ni les mécanismes, ni même les moyens financiers. Tout ce monde se décharge sur les pouvoirs publics du moment, en fustigeant les manques et en promettant des «lendemains qui chantent». Laurent Gbagbo avait raison de railler l’attitude de beaucoup d’intellectuels qui s’improvisent politiciens, alors que «la politique est un métier comme tout autre qui a ses exigences, ses contraintes».
Tout leader politique moderne, une fois élu, consulte des spécialistes ou des experts, pour donner une base aussi cohérente et rationnelle que possible à son projet de société.  En ce sens, le président de la République Macky Sall a commandité au cabinet international McKinsey un plan de mise en œuvre de son programme baptisé «Plan Sénégal Emergent». Cette sollicitation procède d’une volonté, comme dans les agences notation, de crédibiliser, de labelliser, d’estampiller le projet initial par une institution connue et appréciée des partenaires techniques et financiers. La première mouture était une juxtaposition de slides percutantes comme inspirées du «poids des mots, choc des photos» de Paris Match. Par la suite, l’étude a été reprise, remaniée, réarticulée et réécrite par une commission composée de techniciens sénégalais expérimentés. Ainsi relooké, le Pse est porté par une trentaine de projets d’envergure, retenus pour leurs effets d’induction et de rayonnement (théorie de la polarisation de F. Perroux et, A. Hirschmann) sur l’ensemble de l’économie en vue d’atteindre un taux de croissance annuel moyen d’au moins 7%. L’opérationnalisation de la Stratégie pour l’étape intermédiaire de 2018, est déclinée en trois axes fondamentaux : (i) Transformation structurelle de l’économie et croissance ; (ii) Capital humain, protection sociale et développement durable et (iii) Gouvernance, institutions, paix et sécurité.
Notre laboratoire, le Lared-Ecole de Dakar (Laboratoire d’Analyse, de recherche et d’étude du développement) qui est un lieu de production de savoir et d’échange d’idées neuves mais aussi d’accompagnement critique des décideurs, a entrepris, en 2013, une analyse méthodique avec des pistes de propositions sur la problématique de l’Emergence et le Pse, en vue d’une publication de référence sur cette question devenue stratégique en Afrique. Dans notre note introductive au débat, nous observions que l’émergence est un référent  que quelques figures médiatiques utilisent de façon abusive, sans en connaître ni la grammaire ni la substance. En conséquence, ils la fétichisent. Il faut l’analyser en relation avec l’Economie du développement et les réussites des politiques en Asie pour en savoir le processus.
Généralement, les variables et déterminants des succès de cette stratégie en Asie sont bien connus, il s’agit (1) du mode d’organisation sociale (inspirée de  Confucius, où l’individu acquiert son identité par son appartenance à la famille et, par extension à la société entière) impose le respect de la hiérarchie dans l’activité productive de même que le développement de l’esprit de solidarité et de groupe ; (2) des relations sociales ramenées à une relation hiérarchique : liens sociaux verticaux de supérieur à inférieur, plutôt qu’horizontaux entre égaux ; (3) de l’application de 3 règles dans les processus décisionnels : s’appuyer sur ses propres forces, se concentrer là où on a un avantage concurrentiel ou construit  et choisir le domaine le plus étroit possible. Ce qui reste insuffisamment analysé dans ces expériences, ce sont les enchaînements et la mise en œuvre de politiques économiques, financières et sociales.
Les objectifs fixés par le Pse exigent un Etat stratège fort et actif (en somme, une sorte d’Etat-Pro, c’est-à-dire un Etat producteur, promoteur, programmeur et prospecteur) qui s’assigne comme objectif de construire une économie nationale autocentrée en s’appuyant sur les ressources naturelles, humaines, financières et technologiques pour répondre aux besoins fondamentaux des populations. Cet Etat doit être capable, pour accroitre l’offre de production, d’impulser et d’organiser l’économie à partir de la création d’externalités positives (infrastructures de base : hydraulique, routes, énergie, école, santé, assainissement), de guider et coordonner les politiques sectorielles (agricoles, industrielles, technologiques, innovations et écosystèmes financiers), d’appuyer et d’impliquer le secteur privé, d’évaluer l’efficacité des institutions d’encadrement (administration honnête et efficace) enfin, de mettre en œuvre une politique de protection sociale fondée sur la justice sociale et l’égalité des chances. Quel sera l’apport des élites à la fois des politiques (y compris celles des oppositions légitimes qui dépassent les postures exclusivement protestataires), mais surtout intellectuelles face aux chantiers présidentiels phénoménaux pour faire reculer les souffrances, la pauvreté, la précarité et créer des emplois qui résorbent les produits du système éducatif et de formation.
Nos débats au Lared avec les doctorants, avaient posé trois balises : la première est relative à l’option du président de la République, de faire du Pse, le référent de toutes nos politiques économiques et sociales. Il souligne à plusieurs reprises, d’abord que son «ambition est de bâtir, dans le consensus et la mobilisation de tous, un Sénégal émergent  et le Pse est l’un des piliers les plus déterminants», ensuite que «les questions économiques et les enjeux sociaux doivent supplanter les considérations politiciennes du débat public au Sénégal» et enfin que «le processus d’élaboration du Pse arrive aujourd’hui à un tournant majeur voire crucial. Alors, il demande au gouvernement de s’approprier davantage l’exercice et d’engager les mutations stratégiques que requiert le succès du projet avec la participation notable de l’administration et de tous les citoyens et patriotes.
La seconde s’adresse à tous les chercheurs, quelles que soient leurs chapelles de pensée. Il ne saurait s’agir de brider les options du Responsable légitime démocratiquement élu, mais d’éclairer, de contribuer par nos recherches, à la réalisation de sa stratégie de long terme qui engage plus d’une génération et au moins 3 à 4 présidents de la République d’ici 2035. Entreprendre une œuvre gigantesque de transformations sociétales, au service de la collectivité, c’est dépasser le présent pour s’inscrire dans la durée. James Freeman, observait  que «la différence entre un homme politique et un homme d’Etat est que le premier pense à la prochaine élection et le second pense aux futures générations»  avec des projets sur 15 voire 40 ans, visant à modifier les tendances négatives du moment en transformant les structures économiques, sociales et culturelles dans le sens du progrès. C’est dire que l’on ne peut étudier profondément et complètement les questions du développement sans prendre en considération le contexte de l’activité économique, les relations entre les structures économiques et les structures d’encadrement (structures sociales, structures politiques, structures mentales). La troisième concerne la politique cohérente de communication qui doit briser toutes les asymétries d’information et permettre une plus grande participation des citoyens à la vie politique et à la prise de décision.
Le Président et son Parti seront alors confrontés, au moins, à deux contraintes majeures qui retardent la marche vers les ruptures transformatrices de la société : il s’agit  premièrement de la classe politique qui, à terme,  enfermera le Président dans une sorte de dilemme du prisonnier (outil d’analyse de la coopération, de la confiance, de la loyauté, donc du lien social) et deuxièmement la défaillance (démission ou hibernation) des élites politiques et intellectuelles.

II/ Grandeur et servitude d’une classe politique sénile  et en déshérence
Le moment est propice de faire le point pour tous ceux qui se posent ces questions auxquelles il faut apporter des réponses précises : les partis politiques sont-ils vraiment nécessaires  et même ne sont-ils pas nuisibles ? Quels liens entretiennent-ils avec le régime politique ou celui-ci peut-il les modeler à sa convenance ? Dans des périodes de crise (1983 et 1989), nous avions apporté quelques éléments d’analyse qui avaient suscité d’énormes controverses au sein du Club nation et développement (Cahiers du Cnd, 1992) et du Groupe de recherches du parti socialiste.
Ces questions revêtent une grande importance lorsqu’on constate que la classe politique et ses formations ont abandonné toutes réflexions et recherches de fond sur les choix de politiques économiques au moment où la vie devient dure pour toutes les idéologies socialistes et libérales. Les acteurs politiques sont tous convertis au modèle électoral américain fortement médiatique et mercantiliste, avec beaucoup de bruit, de fresques, mais peu d’idées. Ce que l’on semble ignorer est  que les deux partis en compétition confient l’élaboration de leur programme d’action à des «thinks-tanks» puissants financièrement et en compétences pointues, à but non lucratif, qui s’investissent dans les sciences politiques et administratives, l’économie et la sociologie. Les politiciens sénégalais n’ont perçu et appliqué que la partie visible de l’iceberg, lors des campagnes électorales faites de méga meetings coûteux et folkloriques, avec  des discours flamboyants frisant la démagogie et le populisme primaire, consistant à  promettre tout à tout le monde. Alors, lorsque les clameurs électorales se taisent et que les sunlights s’éteignent, la vie du pays se charge d’effacer ces trop-pleins de promesses.
Pourtant, les partis politiques sont redevables de réponses aux nombreuses questions que se posent de plus en plus les citoyens votants et qui devraient figurer en bonne place dans leurs projets de société traitant des options économiques, des moyens financiers pour les réaliser. Avant tout, la démocratie est la compétition des réponses essentielles pour clarifier et assainir le marché politique (public choice) qui souffre de trois maux au Sénégal : le nombre ahurissant des partis, le vieillissement du personnel dirigeant et l’absence de vie et de démocratie interne.
Sommairement, l’analyse du système des partis laisse apparaitre ces 3 constats. Le premier est que les partis de masse accusent un vieillissement sans renouvellement de leur classe dirigeante, de leur mode d’organisation et de fonctionnement. Il en résulte une coupure entre cette oligarchie et le Peuple et entraine un mode d’instrumentalisation d’une clientèle, au service du chef omnipotent, qui détient les cordons d’une bourse assimilée à sa fortune personnelle. Le second constat est l’absence de démocratie interne, avec de redoutables dérives : le parti parle au nom du peuple des militants, puis l’appareil au nom du parti, le chef suprême au nom de l’appareil et, finalement un seul décidera au nom de tous. Les formations marxistes qui sont sur la place avant l’indépendance nationale (Manifeste du Pai en 1953) ne font pas exception : elles connaissent deux paradoxes, le premier est d’ordre historique, avec l’option de vouloir faire une révolution «prolétarienne» sans prolétariat ou du moins avec un prolétariat embryonnaire et l’autre une absence d’investigation sur les mutations idéologiques et politiques intervenues avant et après l’effondrement de l’Union soviétique (Kassé, la problématique de la transition, 1988). Dans ce cadre, une terrible logique de résignation s’est abattue sur les formations marxistes qui, orphelines idéologiquement, ont estimé que la place n’est plus défendable et qu’il vaut mieux la livrer sans combattre dans d’obscurs consensus. Le troisième constat est l’immobilisme organisationnel à l’heure de la révolution technologique, médiatique et du management institutionnel. Les anciennes formes d’organisation sont devenues totalement obsolètes et incapables de mobiliser les masses laborieuses, surtout la jeunesse, force vive et motrice des révolutions.
Coupés des idées, sans vision, sans démocratie interne, ni organisation pertinente que reste-t-il aux partis politiques traditionnels ? Une seule issue, le jeu d’une ploutocratie qui ne manifeste plus aucune volonté effective d’exercer directement le pouvoir. Les plus sclérosés peuvent freiner le projet présidentiel maintenant ou à terme, sous prétexte d’un consensus entre des formations qui n’ont aucun lien ni idéologique ni programmatique et que tout avait opposé dans leur trajectoire passée. Pour sûr, les populations leur manifestent une grande méfiance, car elles savent que cette classe politique s’est historiquement montrée incapable de traduire leurs aspirations au changement et à la rupture.

III/ Peut-on compter sur les élites pour baliser les trajectoires du  développement (versus Pse) ?
Michel Rocard, qui fut un temps le chantre d’une politique inspirée, a théorisé son échec en reconnaissant que «la politique, ce sont les idées». En la matière, le bilan des élites politiques et des producteurs d’idées et de connaissances est peu reluisant. Qui sont-elles et que font-elles ? Théoriquement, les réponses à cette question sont plurielles et conflictuelles. Dans le domaine, les réflexions de Gramsci restent encore actuelles lorsqu’il écrit «qu’une masse humaine ne se distingue et ne devient indépendante sans s’organiser et il n’y a pas d’organisation sans intellectuels qui s’approprient le groupe théorie-pratique pour des fins d’interprétation et d’actions transformatrices de la société». Ce couple participe à la formalisation d’un discours utile pour atteindre un ordre social meilleur, plus humain et plus rationnel. Les élites travaillant avec leur intelligence et gagnant leur vie avec leur cerveau, leur responsabilité primordiale est de démontrer, de dénoncer, mais également de proposer à l’opinion publique les trajectoires à suivre. Il est aussi de leurs missions d’aider les décideurs, par un discours critique, à prendre conscience des enjeux. Ensuite, étant la mémoire et le miroir des forces mutantes, elles doivent exercer une veille quotidienne sur l’ordre social et ses valeurs spirituelles et morales. Bénies soient les élites, si les sociétés bougent et se transforment, mais maudites soient-elles si les sociétés et les idées se figent et l’obscurantisme s’installe. Voilà pourquoi, observe Régis Debray, «l’intelligentsia doit être forte».
Les universitaires enseignants-chercheurs sont la principale composante de l’élite. Ils forment une forte concentration de compétences. Respectés pour leur science, ils sont, aujourd’hui, suspectés par l’opinion publique de travailler peu et de ne plus parvenir à se faire entendre des différents auditoires. G. Du Shane rappelle que «la route du paradis universitaire est pavée de publications», car elles seules déterminent les carrières, mais surtout fondent la réputation et la notoriété du scientifique producteur de savoir.
A l’observation, ces élites sont traversées par d’énormes défaillances, une neurasthénie ; il s’agit de l’élite politique sanctionnée par le suffrage universel, qui se refuse à l’engagement de rendre compte, de l’élite administrative paralysée par l’obligation de réserve, la bousculade du placement, la recherche de la consanguinité (logique carriériste) et le désir d’influer sur les décisions politiques sans en prendre la responsabilité, de l’élite intellectuelle qui s’abstient de prendre sa part de charge et démissionne purement et simplement. Quant à la Société civile, elle est réputée être un regroupement de citoyens et d’organisations réunis pour influencer toutes les politiques publiques et promouvoir, la démocratie, les droits de l’Homme et l’égalité des sexes. Elle est agrémentée de toutes les capacités par les bailleurs de fonds internationaux qui assurent dans l’opacité la plus totale leur financement  (le Président Senghor les dénommait «les nègres de service»).
Finalement, à l’inverse, leurs homologues asiatiques ont construit, en l’intervalle d’une génération, de redoutables machines économiques et financières en relation avec leur pouvoir politique. Notre élite doit prendre sa part d’obligation. La politique non portée par des analyses scientifiques rigoureuses, vire inéluctablement vers la démagogie des propositions radicales et des compromis. Quand et comment les dirigeants pourront-ils compter, un seul jour, sur nos «lumières» ?

En conclusion
L’économie sénégalaise dispose de sérieux atouts et de potentialités appréciables (bien au-delà des minables et insensées invectives sur le pétrole). En levant les défis majeurs par d’excellentes politiques économiques solidement chevillées sur les vertus prussiennes de travail, de rigueur, de discipline, d’épargne et en s’appuyant sur un secteur privé soutenu par un patriotisme économique réfléchi et courageux et en prenant de bonnes décisions, il est possible d’atteindre des taux de croissance supérieurs à 10%. Toutes les réussites étonnantes de ces dernières décennies sont le fait de pays qui ont pris des décisions politiques appropriées. Les miracles économiques de l’Asie ne sont pas le fruit d’une nouvelle grande invention, de la découverte de ressources naturelles précieuses ou de conquêtes, ils ont été rendus possibles par des dirigeants qui ont pris de bonnes décisions politiques (Deng Xiaoping comme Lee Kuan Yew ont fait des choix judicieux grâce auxquels leurs pays sont parmi les plus riches au monde).
La réussite du Pse appelle une vaste mobilisation de toutes les composantes de la société. Dans cette optique, le gouvernement doit briser les asymétries d’information et instaurer une pédagogie communicationnelle pour faire accepter durablement à l’opinion publique la vision, les stratégies et l’agenda. Le Sénégal manque d’organisations savantes et de pépinière d’idées qui alimentent les débats sur les grands choix de politiques économiques et sociaux du projet présidentiel de long terme.

Professeur Moustapha KASSE –
Doyen Honoraire Membre des Académies
Officier de l’ordre national et Officier des palmes académiques