Les Sénégalais sont appelés aux urnes le 24 mars prochain pour élire le chef de l’Etat qui succédera au Président Macky Sall. L’ascenseur émotionnel aura été terrible pour nous faire passer par tous les états, depuis le report de la date initiale du scrutin. C’est le 3 février dernier, suite à l’abrogation du décret n°2023-2283 portant convocation du corps électoral pour l’élection présidentielle du 25 février 2024, que nous sommes entrés dans un tourbillon institutionnel qui aura séduit un œil faussement attentif d’une opinion internationale. Le feuilleton politico-judiciaire aura été digne d’épisodes de la série House of Cards, avec des rebondissements à n’en plus finir entre le chef de l’Exécutif, le Parlement sénégalais, le Conseil constitutionnel, sans oublier le jeu vicieux d’une Société civile qui ferait mieux, pour sa majorité, de prendre des cartes de membres de partis politiques.

La folle journée du 6 mars, avec la session plénière de la loi portant amnistie sur les faits graves qui se sont produits entre 2021 et 2024 dans notre pays, avec leurs lots de morts et de dégâts, qui se soldera par l’adoption de cette loi scélérate et la dissolution du gouvernement, aura donné le tournis à plus d’un. Le pays décidera d’effacer de la mémoire collective un pan d’histoire récente violente qui aura fracturé l’équilibre social, clivé les familles et mis à genoux l’économie. Dans un appel au pardon et à la réconciliation, rien de tous les actes insurrectionnels, les actions terroristes, les bavures policières et les opérations de sape de l’intégrité territoriale ne sera dévoilé au commun des Sénégalais. Des criminels, des bourreaux et des voyous de divers acabits se pavaneront sans souci, avec la possibilité de récidiver quand l’opportunité se prêtera de nouveau. Un «tueur de juge», devenu client de nos médias, clamait tout récemment avec un brin de fierté cynique sur un plateau télévisé, sa «dangerosité» aux yeux de nos services de sécurité, car il savait confectionner des bombes. Le saut vertigineux de ce grand pays vers les abîmes est sans limite ! Certains pourront me dire qu’après tout, rien n’est impossible dans un pays qui aura vu 11 lois d’amnistie en moins de soixante-dix ans d’indépendance.

L’embellie dans toute cette grisaille reste la décision de tenir l’élection présidentielle à la date du 24 mars 2024. Cette décision du président de la République dont le Conseil constitutionnel a pris acte, nous permettra de sortir d’un engrenage qui a eu à fragiliser notre pays et qui aurait pu lui être fatal. Le Peuple est appelé aux urnes, il n’y a pas d’excuse à accepter. Il faut aller voter et que chaque citoyen, en pleine conscience, détermine par son bulletin la voie qu’il voudra que le pays emprunte. Un léger coup d’œil sur la liste des candidats, confirmée encore par le Conseil constitutionnel, donne une idée sordide de l’embarras du choix pour ce qui est des expériences de chaos et du désordre. On ne peut qu’invoquer le ciel pour que les autres cas de binationalité soient dévoilés avant le jour du vote. L’idée de plonger dans un nouveau cauchemar, avec un Président ayant fait allégeance à un autre drapeau, suffit pour que les efforts et investigations nécessaires soient faits et les ambiguïtés levées.
La campagne électorale en mode fast track démarre ce dimanche à minuit. Elle se déroulera en temps de Carême et pendant le Ramadan, avec l’espoir que la religiosité ambiante de cette période inspire de la civilité, de l’élégance et du respect réciproque entre candidats. Notre scène politique a été trop marquée par des querelles de borne-fontaine et des empoignades de chiffonniers lors des deux joutes électorales de 2022, pour que la Présidentielle soit aussi un rendez-vous de l’insolence, du désordre, de l’outrance et des mots gras.

Dans un pays où les nouveaux chantres de la démocratie sont très nombreux, il serait bien, pour une fois, qu’un débat entre candidats puisse se tenir. J’aurais aimé voir sur un même plateau l’héritière Anta Babacar Ngom en face de Bassirou Diomaye Faye pour parler entrepreneuriat, gestion foncière, émigration clandestine et industrialisation, après l’épisode de Ndingler dont ils ont été protagonistes directs. Il serait également intéressant de voir un formateur et haut commis d’Etat comme Amadou Ba, échanger avec ses anciens agents et/ou étudiants dont Mame Boye Diao et Bassirou Diomaye Faye. Les débats pourraient être riches en enseignements entre anciens collègues ministres dans les gouvernements nommés par Macky Sall. Mahammed Boun Dionne, Aly Ngouille Ndiaye et Thierno Alassane Sall feraient de parfaits clients pour un tel débat. Le charme avec 19 candidatures, c’est que les formules et combinaisons pour des débats qui feront date sont infinies. Une opposition entre candidats du giron de l’ex-parti Pastef et de la coalition Jotna, au nombre de quatre, contre des néo-opposants peut aussi donner un débat explosif. A l’heure où les efforts de nos guerriers des nobles causes ne se comptent plus pour «sauver la démocratie sénégalaise», l’occasion est là de débattre et d’échanger.
Par Serigne Saliou DIAGNE / saliou.diagne@lequotidien.sn