Au titre V de la Constitution sénégalaise, l’article 58 stipule ceci : «La Constitution garantit aux partis qui s’opposent à la politique du gouvernement le droit de s’opposer. La Constitution garantit à l’opposition un statut qui lui permet de s’acquitter de ses missions. La loi définit ce statut et fixe les droits et devoirs y afférents ainsi que ceux du chef de l’opposition.» Voilà qui est on ne peut plus clair.
D’ores et déjà, je me veux clair comme l’eau de roche : je ne suis d’aucune formation ou de coalition de partis politiques. Je suis un citoyen qui observe la vie politique de son pays, qui émet des opinions personnelles pour un meilleur fonctionnement de celle-ci.
Ma conviction est que l’avenir de notre culture politique, sinon notre culture tout court, sera fonction en grande partie du fait qu’il y aura suffisamment de libres penseurs pour nous éclairer sur ce qui est vrai et ce qui est faux. N’est-ce pas le rôle de l’intellectuel ? Celui-ci a donc une lourde responsabilité, plus grande que ce que l’on veut bien admettre. Seule la vérité peut nous rendre libres.
Sous ce rapport, tentons d’examiner les relations qui, à notre sens, doivent prédominer entre opposition et pouvoir pour l’exercice d’une démocratie saine et apaisée.
L’opposition critique le gouvernement. Quoi de plus normal ? C’est son devoir et son métier. A mes yeux, deux tactiques lui sont ouvertes : critiquer ce qu’elle ne ferait pas si elle était au pouvoir, ou bien contester en bloc, et par principe, toutes les décisions du gouvernement.
En adoptant cette seconde tactique sans réserve, en exploitant à fond les possibilités qu’elle offre à court terme, l’opposition en vient nécessairement à condamner non seulement les erreurs du gouvernement mais ses actions utiles. Tout ne peut pas être mauvais quand même dans une action gouvernementale !
Aussi, non seulement ses actions positives sont-elles condamnées mais aussi les transformations inévitables et indépendantes de sa volonté. Elle s’insurgera contre les faiblesses, par exemple en matière d’électrification rurale ou de la gestion lacunaire d’inondations.
Au départ, la cible était le gouvernement. A l’arrivée, elle risque d’être tout simplement tout ce qui touche au changement –Ter par exemple–. L’opposition peut devenir ainsi l’expression politique de ce que Mendras appelle la «contre-société».
Il est juste que l’opposition épouse la cause des «éclopés de la croissance», de ceux qui souvent, par la faute d’une société mal organisée, n’arrivent pas à suivre le rythme. Ils ont besoin plus que jamais d’avocats habiles et de représentants efficaces. Mais ce n’est pas toujours le sort concret des victimes que l’opposition prend en charge, c’est souvent leurs protestations à l’état brut.
La source de la crédibilité de l’opposition ne serait-elle pas dans un monopole de la non-compromission ? Non-compromission avec le pouvoir notamment. Or il est coutumier d’entendre des propos du genre : «Critiquer le jour et négocier la nuit.»
Cela n’a-t-il pas abouti au «Mbourou ak Sow» ?
On attend toujours le Gloria qui ne pointe pas. Quand celui qui est arrivé deuxième à la Présidentielle précédente, avec toute la virulence du propos qu’on lui connait, en arrive à une telle compromission, que devient alors le respect de la parole donnée ?
Quant à l’opposition radicale qui tente vaille que vaille d’arriver à une coalition, et qui ne râte aucune occasion pour tacler le gouvernement ; je les invite à plus de mesure dans leur attitude car, demain, elle peut arriver aux affaires et serait confrontée aux mêmes réalités.
Des exemples à ce sujet ne manquent pas : pour nous l’augmentation des denrées de première nécessité. Tout le monde en souffre ; et c’était prévisible, compte tenu des déséquilibres budgétaires que la pandémie a occasionnés.
De ce point de vue, le gouvernement était entre le marteau et l’enclume. Comment ? N’oublions pas que le budget n’est qu’un instrument prévisionnel ; une fois établi, il reste à trouver les ressources qui l’alimentent. Celles-ci peuvent être tirées, notamment, des recettes douanières et fiscales mais aussi des taxes pour une grande part. Si l’Etat se prive de ces ressources, où va-t-il trouver la manne financière dont il a besoin pour payer les pensions de retraite ainsi que les salaires ? Imaginez des mois, sans payer les fonctionnaires et les retraités, dans ce pays ! La critique est facile mais l’art est difficile. Apprenons à assortir nos critiques de propositions convaincantes et utiles.
N’est-ce pas là le rôle d’un intellectuel ? Dommage ! On l’est de moins en moins dans ce pays en dépit des diplômes que l’on brandit à tout bout de champ. Pourtant notre credo doit être d’éclairer le Peuple et non de le fourvoyer pour des desseins inavoués. Cessons d’être des intellectuels de circonstance ! Celui qui affuble ce manteau doit éviter de penser, de critiquer, de questionner, de subvenir, uniquement en fonction de ses intérêts et de sa chapelle politique. L’intellectuel, c’est avant tout l’argumentation.
De ce point de vue, quand on aborde une question, quelle qu’elle soit, nous devons, à mon sens, nous poser quelques interrogations : le problème que je pose, qui suscite en moi, quelque critique, est-il vraiment un problème ?
L’argumentation que je vais tenir, tant dans sa teneur que sa progression, est-elle recevable ?
Est-ce que je ne suis pas en train de négliger des aspects importants de la question qui pourtant pourraient être de nature à éclairer davantage l’opinion ? Ce n’est que dans cette perspective que l’on peut être utile à son auditoire.
Donc le jeu, l’opposition, la dialectique entre le pouvoir et ses adversaires sont aussi essentiels à la croissance qu’à la démocratie mais à condition que cela se passe avec élégance et objectivité -la politique, c’est-à-dire le couple vivant pouvoir-opposition est toujours davantage, la source irremplaçable de fécondité au grand bénéfice du Peuple dont l’épanouissement en dépend pour une grande part.
Mais enfin, reconnaissons, avec un certain grand chef moderne comme M. Valery Giscard d’Estaing que le pouvoir est institué pour agir et que l’opposition est faite pour critiquer. N’est-ce pas exact ?
Yakhya DIOUF
Inspecteur de l’Enseignement
Elémentaire à la retraite