Le phénomène «Oubi Deuk», qui s’est produit entre dimanche 14 et lundi 15 juillet sur un site abritant un programme d’habitats sociaux dans la zone du Lac Rose, aura révélé tout le mal que produisent une désinformation coupable et une démagogie reine dans tous les secteurs de la vie publique. Pour des questions aussi sensibles que le logement, ce pays aura enfanté des gens qui pensent qu’ils sont libres de piller, squatter et occuper des domiciles parce qu’ils ont besoin de refuges et ne trouvent pas d’options. Si pour tout ce qui ne va pas dans la vie d’un individu, on recourait à des pratiques condamnables, il n’y a plus de raison d’évoluer en société.

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Une rumeur d’après laquelle des logements seraient offerts aux premiers venus, devenue virale sur WhatsApp, aura eu pour conséquence de créer l’envahissement de près de 150 maisons par des squatteurs qui croiront dur comme fer que l’Etat leur offrait des maisons. Les promoteurs auront aussi la malchance de voir leur projet caricaturé comme une initiative de l’ancienne Première dame, Marième Sall, pour que la mayonnaise du désordre prenne et que tous les coups soient permis contre eux. Le site étant concerné par le programme des 100 000 logements, visant à résorber la question de l’habitat, l’amalgame aura été vite fait pour faire de l’Etat du Sénégal un bon samaritain qui distribue des villas gratuitement avec la seule exigence d’occuper pour devenir propriétaire. Avec l’intervention de la Gen­darmerie nationale pour mettre fin à ce désordre, on constatera un décor chaotique avec des maisons aux fenêtres brisées, des murs remplis de numéros de téléphone des nouveaux «maîtres des lieux», le vol de différents matériaux, des portes démontées et divers objets volés. Les maisons seront vidées de leurs occupants d’un soir, laissant les promoteurs avec d’énormes dégâts qu’il faudra réparer avant de livrer les maisons à leurs propriétaires initiaux.

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Cette situation, aussi farfelue qu’elle pourrait paraître, renseigne à bien des niveaux sur le basculement progressif dans une ère de non-droit, où les individus seraient capables de faire ce que bon leur semble. Cela, avec les motivations les plus légères possible. Tout se met facilement sur le dos de l’Etat dont les actuels tenants, par démagogie et populisme, auront fait croire à une partie du Peuple que toutes les irrévérences, toutes les insolences et toutes les formes de non-sens se valent. Il faut juste brandir l’argument qu’on chercherait à résoudre une quelconque injustice ou qu’on serait lésé d’une façon ou d’une autre pour se permettre des attitudes que rien ne justifie. Quelle image envoie-t-on à des investisseurs et promoteurs, si dans ce pays, on n’arrive pas à protéger la propriété ? Comment peut-on, par des actes irresponsables, saper autant l’attractivité de notre pays ?

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La logique de laisser prospérer des outrages sur des arguments fallacieux finira par nuire sur le temps long à ceux qui l’ont théorisée. Envahir des maisons dont on sait en âme et conscience qu’elles ne sont pas siennes, sur le léger argument que l’Etat en offre, est aussi expéditif que de voir des demandeurs d’emplois envahir des lieux de travail et se dire qu’ils occuperaient de force des postes. Le délire peut être poussé encore plus loin si on poursuit la logique du phénomène «Oubi Deuk», toute personne qui souhaiterait être véhiculée pour arracher un volant de voiture ou le guidon d’un scooter dans la rue et verrait son problème réglé. A s’entendre raisonner face à de telles situations, on ne peut nier le basculement de notre pays dans une dystopie où nul n’est au bout de ses surprises. Des conduites répréhensibles, des pratiques douteuses ou des attitudes d’un autre âge, nous n’avons pas encore fini d’en voir. Elles auront toutes en commun de s’adosser sur une mauvaise foi à toute épreuve et un esprit que tout nous est dû. On n’est pas loin d’être dans un espace virtuel ouvert comme ceux des jeux-vidéos Grand Theft Auto (Gta) où les utilisateurs sont libres de squatter des lieux, voler des voitures, s’attaquer dans la rue à tout passant et créer du désordre comme on veut.

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Il est totalement compréhensible que des populations veulent se loger et demandent à leur Etat un soutien afin d’avoir un toit et mettre à l’abri leurs proches. Il est aussi du devoir de l’Etat de trouver les meilleures options possible pour offrir des facilités à tout concitoyen de réaliser un tel rêve. Cependant, il serait regrettable de laisser prospérer une anarchie qui ferait fi du respect de la propriété et ferait de la violence le mode d’expression de tout grief. On n’est pas à l’abri de connaître du chaos si la situation au Lac Rose, avec le site de «Oubi Deuk», venait à se répéter dans d’autres recoins du pays. Cette première situation est une alerte sérieuse, il faudra en prendre une sérieuse mesure.
Toute dynamique populiste et démagogique ne mènera qu’au naufrage collectif dans un pays où le foncier est le premier facteur de tensions. Aujourd’hui, ce sont des maisons qui sont envahies. Peut-être que demain ce seront des étrangers qui seront chassés de leurs domiciles pour loger des autochtones ou leurs biens et propriétés seront spoliés pour donner du travail ou à manger à des compatriotes. Un discours xénophobe a pu se faire un lit et une démagogie entretenue en haut lieu ne pourra être combattu en un temps éclair, malgré toutes les formes de repentance de ses promoteurs d’antan.
Par Serigne Saliou DIAGNE – saliou.diagne@lequotidien.sn