Le designer Ousmane Mbaye fête le premier anniversaire de son showroom installé à Dakar. Malgré les avancées, il est convaincu que le design sénégalais n’est pas bien mis à l’avant. Dans cet entretien, il fait son bilan et revient sur la toute nouvelle marque de bougies qu’il a lancée, Nemeli, et 100% made in Sénégal. Ces bougies sont pour lui une invite à redécouvrir les senteurs traditionnelles et un hommage à ces mamans sénégalaises, détentrices de tout un savoir-faire. Ce même savoir-faire qu’il déploie dans le fer et dans l’expo «Tresser des liens» qui se tient dans le showroom.

Cela fait un an que vous avez ouvert votre showroom à Dakar. Quel est votre bilan ?
Cela fait un an que le showroom existe, mais je suis implanté à la Médina ça fait bien plus d’un an. J’ai toujours été à la Médina. J’ai vécu à la Médina. C’était donc pour moi important d’ouvrir un espace à la Médina. D’abord pour montrer que c’est possible, pour montrer à mes jeunes camarades, à mes amis, aux voisins que c’est possible d’y arriver. Et quand je dis arriver, je ne le chiffre pas en termes d’argent, mais arriver à vivre de son rêve, arriver à produire du made in Sénégal et le produire avec des conditions haut de gamme, avec un travail hyper fin. D’avoir une boutique où l’objet et l’esthétisme sont mis en valeur, un espace digne de ce nom et qui est une grande fierté dans notre pays.
Il y a aujourd’hui pas mal d’endroits où l’on retrouve vos créations : à l’Institut français de Dakar, chez Laurence Gavron, au siège de Total Sénégal par exemple. Qu’est-ce que cela vous fait ?
Les gens sont maintenant dans une tentative, dans une démarche, de consommer local. Ils ont besoin d’avoir des produits de qualité qui, sur le plan international, répondent aux normes. Des produits où il y a certes l’âme africaine, l’âme sénégalaise, mais qui sont surtout utilisables dans n’importe quel quotidien. Un produit de tous les jours. J’ai pu m’implanter doucement, doucement à Dakar. J’ai pu m’implanter dans des endroits où les gens croient à mon travail. Mon esthétisme, ma façon de voir, ma vision et ma réflexion sur l’objet ont certainement plu à ces gens.
Contrairement à ceux-là, on ne voit pas votre travail dans les institutions publiques comme les ministères, la Présidence par exemple. Pourtant ailleurs en Afrique ou à l’étranger, on vous cite parmi les plus grands designers d’Afrique. C’est dû à quoi ?
Dans la vie, tout est question de temps. Et je vais reprendre un ami qui disait «allons doucement parce que je suis pressé». Ça va venir. Ils n’ont pas encore vu. Il y a certains qui ont vu. Il y a le ministre de l’Industrie qui a commandé du mobilier pour ses bureaux. Il y a d’autres particuliers, des restaurants qui commandent du mobilier pour eux. Pour le moment c’est encore dur, parce qu’on n’est pas encore au stade de l’industrie où on peut développer. Cela reste encore au stade manuel, où on fait manuellement pièce par pièce. Le coût des bénéfices n’est pas encore élevé, mais on se bat en ce moment. L’Etat sénégalais prendra le temps qu’il faut et le jour où l’occasion se présentera, ils verront ce qui se passe ici. Ils ne voudront pas de mes mobiliers, mes créations, juste pour une question de patriotisme, mais ils les voudront parce que ce seront des objets du quotidien qui seront esthétiques et qui répondent à leurs besoins, avant d’être un besoin sénégalais, ou un mobilier national. Avant d’arriver au mobilier national, c’était déjà très important de réfléchir sur l’objet. Et ma réflexion va toujours sur l’objet. Comment l’objet peut s’intégrer dans le quotidien des gens.
Quel est le constat qui se dégage de vos années de pratique de ce métier de designer au Sénégal ? Est-ce que le design se porte bien ?
Il y a un très grand enjeu dans ce pays. On voit que 80% de ce qu’on consomme vient de l’étranger. Il est temps que l’on propose le made in Sénégal et je dirais plus loin le made in Africa. On rencontre ces mêmes problèmes dans tous les pays africains. On parle des difficultés de la vie, de la pauvreté, de l’économie qui est en train de s’effondrer, de l’industrie qui est en train de couler, mais si le design n’est pas mis à l’avant, si on ne fait pas d’école pour former… Depuis 2 ans, je me bats pour une école de design. Il faut qu’on forme les gens sur la créativité. Une fois qu’on pourra former les gens sur la créativité, demain on pourra répondre à ses besoins. Demain peut-être, il y aura à Dakar des showrooms comme ça, comme ce que j’ai fait, dans d’autres domaines, qui pourront meubler le marché sénégalais, qui pourront répondre aux besoins sénégalais et encore l’Afrique, l’Europe aussi.
Vous fêtez l’an 1 de votre showroom et vous lancez en même temps une nouvelle marque de bougies intitulée Nemeli. Pourquoi les bougies ? Pourquoi ce nom ?
Un designer, c’est un chercheur, quelqu’un qui réfléchit sur les besoins. Ce n’est pas quelqu’un qui réfléchit sur un objet, un produit. C’est quelqu’un qui passe tout son temps à rechercher des objets qui peuvent répondre aux besoins au quotidien et qui est toujours à la recherche, à la quête de quelque chose. Depuis quelque temps, les bougies, les bougeoirs, c’est quelque chose qui m’anime beaucoup. Je trouve qu’il y a un côté utilitaire. A l’époque, il n’y avait pas de bougies, les gens mettaient les bougies en cas de coupure.
Ça nous ramène à un autre siècle…
Non, pas du tout. Là bien merci, on n’a plus de problèmes de coupure, mais on en a connu à une certaine époque. J’ai voulu avoir des «bougeoirs esthétiques» qui ne servent pas seulement à éclairer nos maisons, mais des bougeoirs jolis qui ont une certaine élégance et qui, en cas de coupure, nous éclaire, nous guide.
Qu’en est-il du nom Nemeli ?
Je suis très attaché et sensible aux parfums. Mon sens olfactif est bien développé, ce qui fait que les parfums m’intéressent beaucoup. Nous avons nos parfums qui nous appartiennent. Les parfums de nos mamans qu’on repère, qui font partie de notre enfance et qui nous guident. Le thiouraye est une marque… Je ne dirai pas sénégalaise, peut-être que d’autres pays le font, mais nous on a une marque de thiouraye qui nous appartient et qui fait voyager notre pays. N’importe où tu vas, quand tu amènes le thiouraye sénégalais, ça te replonge dans une certaine enfance. Ça te replonge dans un certain univers que tu as connu. J’ai voulu faire voyager mon univers, mon Sénégal, dans des bougeoirs, des bougies où j’ai recomposé nos essences, nos arômes, nos gowé et tout pour recomposer nos bougies et qu’elles puissent rentrer partout avec cette senteur. Cette senteur sénégalaise qu’on met dans nos maisons. Le mot Nemeli est pour moi toute la sensualité de la sénégalaise. C’est une philosophie de vie. Une philosophie de bien vivre : s’aimer, faire du bien, sentir bon et faire du bon.
Dans ce showroom, vous présentez également l’expo «Tresser des liens». Vous restez toujours dans l’esthétisme africain. Quelle est votre approche ?
Cette expo Tresser des liens est le résultat d’un projet auquel je m’intéresse depuis 2 ans : L’esthétisme africain, l’esthétisme de la femme africaine qui est très important dans notre quotidien et que l’on vit tous les jours. Je ne fais pas de critique, ni d’approche ni de comparaison. Chacun a sa façon de s’habiller, de porter ses cheveux, chacun a son identité. Et moi, ce n’est pas l’iconographie de la tresse qui m’intéresse, mais c’était le savoir-faire et le design qu’il y avait sur ça et qui n’a pas été encore développé. En Afrique, le design existe depuis des milliers d’années, mais on n’a jamais appris le mot design. On lui a toujours donné des connotations, mais il n’y a jamais eu autant de recherches sur l’objet et sur le savoir-faire. Je me suis donc intéressé au tresse, le travail de la tresse, le raffinement de la tresse, l’esthétisme de la tresse. Et comment on porte, on coiffe les tresses, selon les évènements, selon les endroits, selon nos envies, notre tristesse, notre gaieté et joie. Et je ne suis pas seul dans cette exposition. C’est une collaboration avec une designer de Hair couture qui est à Paris, Murielle Kabyle. La femme africaine avait tout un esthétisme sur les cheveux, tout un rythme, tout un savoir-faire qui n’étaient que du design. Il est temps qu’on se ressource de nos origines et de nos identités, aujourd’hui que nous avons des identités mélangées, que notre identité est influencée de partout, qu’on ne peut plus se dire Africain ou Européen, qu’on ne sait plus qui est qui.