Hypothèse une : «Chers compatriotes, nous vous avions promis le paradis (baisse des denrées, plein-emploi, fin de l’émigration irrégulière…), mais, après six (6) mois de gestion du pays, nous sommes persuadés de ne pas y arriver car nous vous avons vendu du vent.»

Hypothèse deux : «Chers Sénégalais, nous savons que nous vous avons déçus et l’on s’achemine vers des élections cruciales pour lesquelles nous avons besoin d’une majorité qualifiée. Or, étant certains de ne pas l’avoir, il nous faut alors impérativement créer de fausses accusations sur nos adversaires pour espérer gagner les élections.»

Voilà deux grilles de lecture pour tenter de comprendre le grand théâtre que le gouvernement a présenté le jeudi 26 septembre 2024, sous la houlette du Premier ministre Ousmane Sonko. Un chef de gouvernement qui, pour l’occasion, était en train de faire de la politique tout en s’adonnant à son jeu favori : dénigrer son propre pays en qualifiant les anciens dirigeants de voleurs et les fonctionnaires d’incompétents et de complices de voleurs.
De cette conférence de presse purement politicienne, nous nous attendions à une photographie de la situation du Sénégal en termes d’agrégats et d’indicateurs économiques (emploi, santé, éducation, émigration irrégulière, activité économique, chômage, industrie, agriculture…) avec un actif et des passifs. Et nous avons eu droit à une présentation partielle et parcellaire de la situation du pays, qui peut se résumer ainsi : six cent cinq (605) milliards de francs Cfa utilisés par anticipation, trois cents (300) milliards de francs Cfa dépensés mais introuvables, mille huit cents (1800) milliards de francs Cfa empruntés sans jamais les déclarer, la dette publique est de l’ordre de seize mille deux cents (16200) milliards de francs Cfa, soit 87% du Pib. Tout ceci est adossé à une vaste opération de misreporting (transmission de fausses informations aux partenaires techniques et financiers, le Fonds monétaire international principalement). En somme, «le régime du Président Macky Sall a menti au Peuple, a menti aux partenaires, a tripatouillé les chiffres pour donner une image économique, financière et budgétaire qui n’avait rien à voir avec la réalité».

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En clair, ce monologue gouvernemental, qui avait plus l’air d’une fanfaronnade qu’autre chose, aurait dû se faire à l’Assemblée nationale lors de la Déclaration de politique générale (Dpg), ou à défaut lors d’un Débat d’orientation budgétaire (Dob). Il est maintenant évident que Ousmane Sonko a une peur bleue des débats contradictoires. Mais la conférence de presse n’avait qu’un objectif : jeter le discrédit sur le Sénégal. En effet, si Sonko pensait ternir l’image de ses prédécesseurs et adversaires politiques, en présentant les chiffres truqués, il ne s’en prenait pas uniquement aux anciens ministres des Finances (Amadou Ba, Abdoulaye Daouda Diallo, Mamadou Moustapha Ba qui ont d’ailleurs l’obligation de répondre à ces graves accusations), mais également au Fmi, qui supervise l’exécution budgétaire trimestriellement, ainsi qu’à la Cour des comptes, qui élabore la loi de règlement censée constater les résultats financiers de chaque année civile et approuver les différences entre les résultats et les prévisions de la loi de finances de l’année, complétée, le cas échéant, par des lois rectificatives de finances.

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Que dire alors de tous ces fonctionnaires qui élaborent ces rapports, y compris le ministre actuel des Finances, Cheikh Diba, ancien directeur de la Programmation budgétaire ? N’oublions pas non plus Mohamed Al Amine Lô, actuel Secrétaire général du gouvernement et ci-devant Directeur national de la Bceao, l’organisme qui valide les chiffres sur la croissance, la dette, le déficit budgétaire que fournissait l’Ansd, que dirigeait un certain Allé Nar Diop, aujourd’hui ministre, Conseiller économique, coordonnateur du Bipe (Bureau d’intelligence et de prospective économique) et de la Bseppp (Bureau de suivi et d’évaluation des politiques et programmes publics). Et faut-il le rappeler, Allé Nar Diop est remplacé comme Secrétaire général du ministère de l’Economie par Mouhamadou Bamba Diop, anciennement Directeur général de la planification et des politiques économiques. De même que Oulimata Sarr, sœur de l’actuel ministre de l’Economie. Amadou Hott ? Doudou Ka ? La question à se poser est celle-ci : tous ces ministres, directeurs et fonctionnaires étaient-ils incompétents, ont-ils menti ? Et quand ?

En clair, tous ces fonctionnaires doivent être très heureux que le chef du gouvernement, dans sa démarche de négation du Sénégal, les traite de flibustiers des temps modernes. Et il faudra virer et poursuivre toute l’administration financière, la mafia des Finances, parce qu’ils ont participé à accompagner les différents ministres à transmettre des chiffres erronés aux Ptf, qui ont été complices par leur passivité ou inaction. Si le budget manque de sincérité, si les chiffres sont falsifiés, ces fonctionnaires sont tout aussi responsables que les dirigeants de l’ancien régime.

Toutefois, une autre question s’impose : ce gouvernement s’adressait à qui ? Pas aux citoyens doués de raison. En effet, personne ne peut falsifier des chiffres ou faire disparaître des fonds sans qu’une longue chaîne de complicités ne soit établie. Ce qu’il faut retenir de ces chiffres, c’est qu’ils en sont au stade de brouillon et qu’ils n’ont pas encore été soumis à la Cour des comptes, seule habilitée par la loi à les certifier. Alors pourquoi se précipiter à communiquer sur un brouillon non certifié, et de surcroît sans la présence du ministre de tutelle ?

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Enfin, quelle est la crédibilité des institutions internationales (Fmi, Banque mondiale…), des agences de notation, ainsi que des partenaires financiers et techniques du Sénégal ? Sont-ils tous si incompétents qu’ils ne se rendent pas compte du niveau de dégradation et du manque de sincérité des données sur les finances publiques ?

Ce gouvernement, à commencer par son chef, se doit d’être plus sérieux. Il ne faut pas mettre la politique politicienne trop en avant, au risque de nuire à la crédibilité du Sénégal, avec des répercussions immédiates sur la notation du pays et sur les taux d’intérêt. En effet, l’une des premières conséquences de la déclaration du Premier ministre concernant la dette est la réaction négative des marchés financiers, qui entraînera une dégradation de la notation de crédit du Sénégal. Cette baisse de la cote de crédit reflète une perte de confiance des investisseurs dans la capacité du pays à honorer ses engagements financiers. En conséquence, le Sénégal devra emprunter à des taux d’intérêt plus élevés sur les marchés internationaux, car les investisseurs exigeront une prime de risque plus importante pour compenser l’augmentation perçue du risque de défaut. Et quant aux remèdes proposés (réduire le déficit budgétaire et l’encours de la dette, accroître les impôts), ça va plomber la croissance, l’investissement et la création d’emploi. Ce n’est ni fameux ni ambitieux ! Ousmane Sonko n’aime décidément pas le Sénégal.

Par Bachir FOFANA