OUVRAGE Bouna Ndiaye, «co-auteur» d’un livre sur la musique : «On m’a enterré vivant»

Amadou Guèye Ngom a laissé à la postérité un important ouvrage sur l’histoire de la musique sénégalaise, des années 1950 à nos jours. Publié aux éditions Feu de Brousse du poète Amadou Lamine Sall, l’ouvrage suscite une polémique puisqu’un des «co-auteurs» n’a pas retrouvé son nom sur l’ouvrage. Sémou Bouna Ndiaye, qui affirme mordicus avoir travaillé aux côtés du défunt Amadou Guèye Ngom, voie ses arguments rejetés par l’éditeur qui les juge «pas convaincants».
«On m’a enterré vivant et je veux rétablir la vérité» : c’est le cri du cœur de Sémou Bouna Ndiaye. L’histoire commence il y a quelques années lors d’une conférence organisée par la Indiana University sur Léopold Sédar Senghor et David Diop. Bouna Ndiaye y fait une intervention remarquée sur l’histoire de la musique sénégalaise. A la pause, il est approché par un inconnu. L’homme se présente comme étant Amadou Guèye Ngom. «Il m’a dit qu’il voulait écrire un livre et qu’il avait besoin de moi. On a échangé nos contacts avec l’idée qu’à son retour en Floride, il m’appelle et qu’on continue nos échanges.» Ainsi démarre une collaboration de plusieurs années autour de l’idée de ce livre. «On a commencé à écrire. Il m’envoyait les textes et je faisais la critique. On restait parfois 4 à 5h de temps au téléphone et moi aussi, je lui envoyais ce que j’écrivais. On a continué comme ça, dans une atmosphère intéressante, pleine d’enthousiasme.» Au bout du compte, la collaboration connaît un aboutissement avec le manuscrit de l’ouvrage intitulé Evolution de la musique sénégalaise de 1950 à nos jours. Le livre sera édité bien plus tard aux Edition Feu de Brousse du poète et écrivain Amadou Lamine Sall. Mais sans mentionner le nom de Sémou Bouna Ndiaye qui était pourtant sur la page de couverture envoyé par Amadou Lamine Ngom. «Il m’a envoyé la page de couverture du livre, montrant que je suis co-auteur», raconte M. Ndiaye. Malheureusement, le destin s’en mêle puisque Amadou Guèye Ngom, qui venait de séjourner au Sénégal, décède dans l’avion qui le ramenait aux Usa. «Mais il avait laissé le manuscrit à Amadou Lamine Sall qui a une maison d’édition, mais je ne savais rien de tout ça.» C’est seulement en 2016, quand il revient au Sénégal pour ses propres projets qu’il s’en rend compte. C’est à l’occasion d’une cérémonie sur le Festival mondial des arts nègres que le hasard le met en présence de Amadou Lamine Sall. «Après la cérémonie, je suis allé le voir pour lui présenter mes condoléances parce que le grand me parlait souvent de lui. C’est lui qui m’a dit qu’il lui a laissé son manuscrit pour qu’il le publie. C’était le livre sur lequel on a travaillé ensemble. Une semaine plus tard, on s’est rencontré et je lui ai expliqué. Il m’a dit qu’il n’avait jamais entendu parler de moi et qu’à moins de présenter des preuves tangibles, il ne pourrait pas mettre mon nom sur la couverture.» Aussitôt dit aussitôt fait. Sémou Bouna Ndiaye envoie le premier e-mail échangé avec Amadou Guèye Ngom «dans lequel il s’adresse à moi comme son collaborateur». «Je lui envoie encore un autre e-mail avec la note des auteurs comportant la page de couverture du livre, le titre et les co-auteurs. C’était vers les années 2016», raconte M. Ndiaye installé dans le studio à partir duquel il continue d’animer une émission musicale sur une radio américaine. «En septembre, je vois que le livre est publié et il n’y a pas mon nom dessus. Et quand je lis la note de lecture, on dit que l’auteur a travaillé seul», s’étonne encore M. Ndiaye. Dans une contribution parue dans le Soleil, le poète et éditeur présente l’ouvrage comme étant l’œuvre de Amadou Guèye Ngom. «Je lui ai donné toutes les preuves, mais il a fait ce qu’il voulait. Je suis bouleversé de voir un homme de cette stature faire des choses aussi basses», regrette M. Ndiaye. L’auteur qui est décédé en 2010 laisse derrière lui un imbroglio que sans doute les autorités judiciaires seront appelées à trancher puisque Sémou Bouna Ndiaye entend bien se faire rétablir dans ses droits.
«Pas convaincant», répond Amadou Lamine Sall
Face à ces accusations, le poète Amadou Lamine Sall reste serein. Joint par mail, il nous renvoie la même réponse qu’il a déjà eu à servir à d’autres médias, en réaffirmant sa volonté de ne plus évoquer ce sujet. «Cet homme (Sémou Bouna Ndiaye) est honnête dans la restitution des faits qu’il rapporte, du moins pour ce qui se rapporte à Amadou Lamine Sall. Mais nous n’avons pas pu et nous n’avons pas voulu prendre part à ce différend. Amadou Guèye Ngom est décédé. Jamais il n’a évoqué un quelconque co-auteur. Il a signé son ouvrage tout seul et nous l’a remis tout seul. Nous l’avons publié tel quel, sans devoir tenir compte des informations fournies par Monsieur Ndiaye et qui ne nous apparaissaient pas, à tort ou à raison, convaincantes. Amadou Guèye Ngom n’était plus de ce monde pour témoigner, décider et se défendre. Nous ne déciderons pas à sa place», écrit-il. «Vivant, Amadou Guèye Ngom n’a nulle part cité Sémou Bouna Ndiaye, en nous rencontrant durant des années et en nous confiant la publication de son ouvrage. Dès lors, comment pourrions-nous être obligé de placer ce nom aux côtés de son nom ?», conclut d’éditeur.
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