Dans Touaregs. L’Exil pour la patrie, Intagrist El Ansari lance un cri d’alerte à la veille de la Présidentielle au Mali. Les armes ont occupé tout l’espace de 2012 à 2016. Il est temps faire entendre la voix des civils touaregs maliens, «principales victimes d’une guerre» que la plupart jugent «insensée» et «incompréhensible». Depuis les camps de l’exil, en Mauritanie, ils confient au fil des pages leurs lectures des événements.
Intagrist El Ansari réside depuis 2012 à Nouakchott, en Mauritanie, d’où il est parti arpenter les camps installés à la hâte à l’Est du pays. Une actualité qu’il a couverte pour la presse internationale. Dans cette approche chronologique de la crise malienne, qui a progressivement gagné toute la zone saharo-saharienne entre 2012 et 2016, l’auteur démêle ses tenants et aboutissants, vus du point de vue touareg. Il s’attache aussi à nuancer les discours manichéens officiels des belligérants armés, – quel que soit leur bord.
Journaliste et écrivain, ce natif de la ville aux 333 saints dédicace cet essai dense et parfois touffu à son oncle, l’Amenokal Mohamed el Ansari, chef traditionnel touareg de Tombouctou. Un «homme de paix et de progrès» dont la mort fin 2014, «alors que les siens étaient en exil, a accentué les incertitudes sur l’avenir des Touaregs».
«L’effet de la guerre libyenne»
A Mbera, principal camp mauritanien, l’auteur rapporte dans une de ses chroniques «que les organisations humanitaires comparent de par son immensité au complexe de réfugiés de Dadaab au Kenya», puis à Fassala où convergent les Touaregs maliens fuyant les persécutions, le Hcr estime mi-2012 que le nombre de réfugiés est passé de 16 000 en février à près de 100 000 fin juillet, parmi lesquels 63,2 % sont des enfants. Au total, l’Ocha décompte 320 000 déplacés et réfugiés dans les pays voisins.
Souvent avancé, «l’effet de la guerre libyenne» n’explique pas tout dans ce conflit aux enjeux multiples et complexes qui a mené l’Etat malien au bord de l’implosion avec une rapidité impressionnante, note Intagrist. Intérêts géostratégiques autour des ressources inexploitées du Sahara, configuration géographique et socioculturelle aiguisant des conflits locaux plus anciens dus pour partie à une implantation «pas très bien pensée par l’administration coloniale» ou encore incapacité des autorités à mettre en œuvre depuis l’indépendance des politiques de développement qui furent vainement réclamées par la rébellion en 1990… Sans oublier la montée des trafics en tous genres très lucratifs.
«Gain de l’Histoire»
Après l’offensive de l’Otan qui a anéanti le régime Kadhafi, des rebelles d’un type nouveau sont apparus au Nord du Mali fin 2011. Quelque 400 Touaregs maliens enrôlés en Libye dans les années 1980 pour combattre au Liban, en Palestine et au Tchad sont rentrés chez eux «très lourdement armés. Une force de frappe inédite dans l’histoire des rébellions touarègues», insiste l’auteur.
Dans les massifs montagneux de Kidal, au nord-est du pays, ils s’allient au Mouvement touareg du Nord-Mali de feu Ibrahim ag Bahanga pour former le Mouvement national de libération de l’Azawad (Mnla) qui met «en déroute l’Armée malienne» les 17 et 18 janvier 2012 à Menaka et Aguelhoc. A Bamako, le régime de Amadou Toumani Touré est balayé le 22 mars par un coup d’Etat militaire et le Mali est mis sous tutelle internationale. C’est à ce moment-là, le 6 avril, que le Mnla proclame unilatéralement «l’Etat de l’Azawad libre et indépendant» avec Gao pour capitale.
Un «gain de l’Histoire» à double tranchant, commente un cadre touareg depuis Mbera. Car les trois régions du Nord, Gao, Kidal et Tombouctou, ne sont tombées sous la coupe des indépendantistes qu’au prix d’une alliance avec al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). «On parle d’une forte imbrication Aqmi et Ançar Dine [soutien logistique]», ajoute l’auteur. Or ce dernier mouvement, créé en mars par Iyad Ag Ghali, veut «instaurer la charia dans tout le Mali» plutôt que l’indépendance. De plus, sur «le terrain militaire, le Mnla et Ançar Dine mènent ensemble certaines batailles contre l’Armée malienne, notamment à Aguelhoc et à Tessalit». Une affirmation que le Mnla a démentie.
«Rompre sans délai»
Il s’ensuit une longue période de troubles jusqu’à l’intervention française de janvier 2013 alors que les jihadistes, on s’en souvient, foncent sur la capitale. Finalement, la proclamation de l’indépendance n’est qu’un feu de paille. Le protocole d’entente entre le Mnla et Ançar Dine en date du 26 mai les engage «à s’investir pour établir et construire un Etat islamique dans l’Azawad». Il provoque un «séisme» au sein de la Société civile touarègue qui pratique un islam de rite malékite «dans la sobriété et le mysticisme désertique», précise Intagrist El Ansari.
Intagrist n’est pas tendre avec «les chefs rebelles qui clamaient, depuis 2012, que la libération et l’indépendance de l’Azawad seraient non négociables» et qui «ont été les premiers à regagner Bamako, avant le retour des civils [vivant] dans des hôtels de la capitale malienne au frais de l’Etat et de la Société civile qui l’assiste».
Intagrist n’est pas tendre en particulier avec le Mnla qui «manque crucialement de fond idéologique, politique et surtout intellectuel», dit-il, lui reprochant, sa référence à une «berbérité» qui, selon lui, coupe les Touaregs de leur histoire ancienne, «issue des plus vielles civilisations du monde».
Enfin et surtout, El Ansari estime que cette rébellion de 2012 s’est soldée par un retour à la case départ au regard des processus de décentralisation et à terme de régionalisation acquis par la rébellion de 1990.
Double traque
Ces événements d’une gravité sans précédent ont engagé la responsabilité des Touaregs dans leur ensemble. C’est ce que souligne ce livre-plaidoyer qui tente de réhabiliter un peuple qu’il juge injustement meurtri. Les populations civiles touarègues maliennes ont été assimilées -à tort- aux groupes armés, en particulier jihadistes, dès le début du conflit. Majoritairement loyaux envers le pouvoir central du Mali, estime-t-il en substance, ils ont été traqués partout, de Bamako aux villes du Nord, et forcés, pour la seconde fois en vingt ans, de s’exiler dans les pays limitrophes.
Des civils témoignent, parmi lesquels certains joueront, jouent ou ont joué un rôle important dans le pays. Une famille, des parents et leurs neuf enfants, raconte sa fuite de Tombouctou en raison de «l’enfer» qu’y font régner les «barbus qui imposent durement leur diktat». Un autre témoin rapporte avoir vu, le dimanche 29 juillet à Aguelhoc, la lapidation d’un couple, mort «sous les jets de pierres des islamistes» en présence de 200 personnes forcées d’assister à la scène. Pour l’exemple. Ajoutez à cela la crainte, «dans l’esprit de beaucoup», que le Mnla et les jihadistes prennent les civils comme boucliers humains.
A Diabaly, près de Ségou, un directeur d’école qui avait choisi le retour suite aux accords de paix de 1995 a dû reprendre la route de l’exil aux cris de «Kokadjiè» (« Mort aux Blancs »). D’autres Touaregs ont préféré fuir Aguelhoc, par crainte des représailles de l’Armée malienne, qui aurait opéré des «bombardements aériens sur les populations et sur leurs biens», affirme Intagrist. D’où le message insistant des sociétés civiles : «Nous n’avons rien à voir avec aucun des groupes armés.»
L’histoire des Touaregs du Nord du Mali, Tombouctou, Kidal et Gao, est largement détaillée dans cet ouvrage, rappelant les alliances entre les trois régions coiffées d’un «ettebel» (chapeau). Cette partie livre sans doute une clé intéressante pour les analystes. Quand les enjeux locaux montrent un espace touareg en pleine recomposition, sociale, sociétale.
rfi