En présentant son ouvrage « Critique de la notion d’art africain » dans le cadre du Vox Artis initié par le critique d’art Massamba Mbaye au Raw Material, Babacar Mbaye Diop a beaucoup insisté sur la perception de l’art africain. L’expression même est une invention occidentale, selon lui, dans la mesure où le mot « art » n’existe pas dans les langues africaines
Art africain, art primitif ou art ethnique, les expressions utilisées pour designer l’art africain sont souvent péjoratives. Selon le philosophe et critique d’art, Babacar Mbaye Diop, il est temps que les Africains donnent eux-mêmes leur propre définition de l’art. Une tâche à laquelle le critique s’est attelé dans son ouvrage «Critique de la notion d’art africain». L’ouvrage, qui a été au cœur du Vox Artis animé par le critique, Massamba Mbaye, au Raw Material, a permis d’installer un débat sur la question. Selon l’auteur, pendant longtemps, les définitions de l’art africain venaient de l’Occident. «A mon sens, il était temps que les Africains définissent eux-mêmes leur propre art.» Babacar Mbaye Diop indique que l’expression art africain est purement occidentale. «Les Africains ne l’ont pas inventée. D’ailleurs, dans nos langues, le mot art n’existe pas. Mais cela ne veut pas dire que les africains ne connaissent pas le beau comme l’ont dit beaucoup de penseurs occidentaux.» M. Diop prend l’exemple des masques décorés de formes géométriques et de couleurs qui ne participent pas à l’usage de l’objet mais dénotent plutôt un souci de l’esthétique qui vient contredire le penseur suisse, Karl-Gustave Jung, qui disait que les Africains ne connaissaient pas l’esthétique. Les premiers contacts entre les missionnaires occidentaux et les œuvres d’art africaines, pousseront d’ailleurs ces derniers à conclure que ces objets venaient d’ailleurs. Selon Massamba Mbaye, il faudra attendre que Pablo Picasso s’inspire des masques africains pour les propulser au-devant de la scène.
Expressions péjoratives
Le critique d’art estime encore qu’il n’y a pas d’art jaune, blanc ou noir. «Que l’on soit en Europe ou en Afrique, c’est une expression artistique. Maintenant, dans l’expression contemporaine, c’est beaucoup plus vaste parce que l’artiste africain s’est constitué beaucoup d’identités. L’artiste africain, avec les voyages, les rencontres, les échanges avec les autres, se construit une identité plurielle et dans une modernité qui est complètement différente de ce qui a été fait jusque-là.» Pour l’animateur des débats, Massamba Mbaye, la notion d’art africain est une notion problématique. Et à ce niveau, il estime que l’auteur pose une question très provocatrice. «Lorsqu’on se pose une question sur une notion, l’idée c’est d’aller jusqu’au fond de cette notion en l’épousant et en donnant les éléments contextuels d’émergence de cette notion et les idées qui traversent cette idée. Il y avait une question préalable, c’est la notion d’Afrique. D’où elle vient ? Comment cette notion peut être prise sous l’angle historique et de la pensée ?», s’interroge-t-il.
L’artiste africain à une identité plurielle, soutient Babacar Mbaye Diop. Et cela se reflète dans la place qu’il occupe dans le monde de l’art contemporain. «Si vous regardez dans le top 500 des artistes du monde, il y a une dizaine d’artistes africains. Parmi les plus vendus dans le monde, il y a Wangeshi Mutu et Julie Mehretu. Et si on regarde le top 100 des artistes africains les plus vendus, les 10 premiers sont plus des anglophones parce que les artistes anglophones voyagent beaucoup et ils savent ce qui marque en matière d’art et s’y adaptent. Les artistes francophones sont un peu enfermés et ils sont plus dans le local. Du coup, leurs travaux ne sont pas assez connus», souligne M. Diop.
Des positions radicales ?
Selon le critique d’art, Massamba Mbaye, l’auteur reste très radical dans ses positions. «C’est un ouvrage qui rassemble des vues très éparses. Il met aussi sur la balance les logiques qui traversent ce qui se fait actuellement comme la biennale. Je reproche à cet ouvrage d’être parfois radical, des positions pas nécessairement dynamiques, des positions très tranchées», dit-il. Réponse de M. Diop : «Massamba pense que je suis radical mais moi, je ne pense pas. J’ai juste dit la manière dont j’ai compris l’art africain. Et je prends position. Maintenant si prendre position, c’est être radical, alors je le suis.» En tout état de cause, Babacar Mbaye Diop ne cache pas son désir de défendre le chantre de la négritude dont les idées sont souvent remises en question, notamment par le philosophe camerounais Jean-Godefroy Bidima. «Je prends position sur beaucoup de choses. Par exemple, quand Léopold Sedar Senghor dit que l’émotion est nègre et la raison hellène, il a été très mal compris. Il n’a jamais voulu dire que l’Africain ne pense pas ou n’a pas de raison. Il a juste voulu dire qu’en face d’un objet d’art africain, l’occidental et l’Africain n’ont pas le même mode de jugement sur l’objet. Cette affirmation, Senghor ne l’a dite qu’à propos de l’art africain. L’émotion est nègre, la raison est hellène, signifie exactement ce que dit Bachir Diagne, que l’émotion est à l’œuvre d’art africain ce que la raison est à la statuaire hellène. C’est consacré uniquement à l’art et les gens ont mal compris Senghor et l’on dénigré. Je prends position et je dis que tous ceux qui ont critiqué Senghor, l’ont mal compris.»
Cet ouvrage, paru aux éditions Hermann, est composé de trois parties. «Dans la première, je développe une histoire de l’art africain dans ce qu’il a de classique. Dans la deuxième partie, je parle des pensées et théories negro-africaines, je parle de négritude, de la plasticité et de la méta esthétique et dans la 3e partie, je parle de l’art africain contemporain», explique M. Diop. Pour Massamba Mbaye, un des mérites de l’ouvrage, c’est de rassembler des vues très éparses.
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