Par Ibou FALL –

Le pain n’est pas à la fête, contrairement à ce qui se passe aux alentours du 16 mai, à l’occasion de la Saint-Honoré, patron des meuniers… Pendant une semaine, dans toute la France, l’Hexagone se vante de la richesse de sa tradition boulangère, célèbre ses artisans-boulangers et vend son savoir-faire dans l’allégresse imaginative.
Ici, au Sénégal, même si c’est pain béni pour l’opposition trop bonne pâte qui n’ose pas en faire son levain, cette semaine, la miche, malgré elle, tient le haut du pavé : les meuniers font des têtes d’enterrement, les boulangers risquent l’apoplexie, le gouvernement s’énerve et les consommateurs se demandent toujours, malgré la baisse des prix décidée d’autorité, si on ne les roulerait pas par hasard dans la farine.

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Bref, le secteur est dans le pétrin, mais il n’y a pas grand monde pour en faire son grain à moudre.
Le sujet touchant à l’estomac, cette zone hypersensible chez mes cousins à plaisanterie, c’est donc le branle-bas de combat… En première ligne, bien sûr, le président de la Fédération des boulangers, Amadou Gaye, le bien nommé. Le brave monsieur tape mollement sur la table pour expliquer que la subvention du gouvernement est une crotte de mouche, en précisant quand même qu’il obéira sans hésitation aux injonctions gouvernementales, tout en murmurant dans les médias sa désapprobation.

Presque en même temps, un dénommé Alassane Niang, qui se dit gérant de boulangerie dans la Médina, nous explique en malaxant les mots, que la fameuse baisse serait, comme perlimpinpin, de la poudre aux yeux. D’abord, les formes de la miche ne sont plus pareilles : ça passe des allures de drianké dodue à celles de mannequin efflanqué. Le vaillant compagnon du p’tit déjeuner de mes cousins à plaisanterie est en pleine cure d’amaigrissement selon les doctes précisions et donc, en résumé, là où il en fallait deux, il en faudra trois…

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Bien entendu, les Ndoye et les Mbengue, qui sont tous propriétaires de boulangerie, ont des fournées différentes : les grosses miches pour la famille et les baguettes maigrelettes pour les autres. A défaut de remplacer la viennoiserie par du pain de singe, que les nutritionnistes considèrent comme bien plus nourrissant, on devrait leur payer ce saupoudrage en monnaie de singe ?
Les Diagne, les Dieng et les Mbodj, quant à eux, s’en moquent, mais alors, complètement : on a beau leur servir du redressement fiscal et saisir tous leurs comptes, leur pain, le matin comme le soir, sera forcément sur la table.
Ça ne blague pas avec les échos de l’estomac, ces gens-là…

Nous autres, les Fall, qui ne vivons que d’amour et d’eau fraîche même en période faste, nous regardons tout ça de loin et avec détachement. L’actualité brûlante est ailleurs.
Ben oui : enfin, on la tient la vraie photo officielle du Président Diomaye Faye. Il pose sur le perron de l’Elysée, serrant la paluche à l’homologue français, comme tout bon Président sénégalais digne de ce nom. Une fausse alerte avec l’arrivée par une entrée presque dérobée. On allait en prendre la mouche. Renseignements pris, les organisateurs de la Fête de la Musique, comme tous les ans, obstruent ce jour-là l’entrée principale.

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La France et le Sénégal, deux démocraties, main dans la main, c’est vieux comme la République.
On s’en doute un peu, déjà… Une semaine auparavant, en visite au Mali et au Burkina, c’est la douche froide pour les putschistes qui salivent de voir rejoindre leur association dissidente un Président démocratiquement élu, sénégalais de surcroît, comprenez le géant diplomatique des environs, chouchou de la France… Il n’est pas question de s’embarquer dans cette aventure cahoteuse : le Sénégal reste ce qu’il est depuis toujours, une démocratie.
Donc, pas de familiarité.

On ne réinventera pas la roue durant ce mandat : le Fmi va prêter des sous, 240 milliards nous dit-on, non sans avoir gentiment tapé sur les doigts de ces débutants qui vont chercher 450 milliards de francs Cfa en eurobonds alors qu’ils n’en ont pas vraiment besoin. On ne sait pas si c’est du lard ou du cochon quand le représentant-résident suggère que cette nouvelle dette peut tout juste en éponger d’autres.
Prière d’éviter tout ricanement…

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Ceci dit, le pays retient son souffle dans l’attente du discours de politique générale du Premier ministre Ousmane Sonko. Dans la tradition républicaine, c’est dans les quatre-vingt-dix jours suivant sa nomination qu’un Pm nous édifie sur sa conduite des affaires publiques, sa vision et les moyens qu’il entend y consacrer.
Apparemment, Ousmane Sonko y va à reculons… Comme on le comprend : au regard de la composition de l’Assemblée nationale, ça ne va pas manquer de… boulettes.
Je vous fais un tableau ?

Il aura en face de lui de redoutables débatteurs… Coura Macky en petite tête et Mame Diarra Fam toute en bleu, depuis le foulard en bataille jusqu’aux escarpins en soie, seront là pour lui administrer des cours de Droit public, ceux auxquels les deux juges constitutionnels échappent de justesse juste avant les élections. Il y aura aussi Abdou Mbow qui l’attend avec impatience sur les eurobonds que le gouvernement vient d’emprunter ; Ahmed Aïdara, après la colle sur la suppression des fonds politiques, n’ira pas par quatre chemins pour lui reprocher de traîner quant au règlement de la dette intérieure. Il lui expliquera comment éviter de payer à Eiffage les factures de Talix Group.
Le Premier ministre a intérêt à écouter religieusement le gotha du Parlement.
Dieu merci, Ousmane Sonko aura un allié de taille dans l’Hémicycle, l’honorable Guy Marius Sagna, prêt au sacrifice suprême pour le tirer de ce guet-apens. Je l’imagine monter sur un pupitre et baisser le froc pour exhiber un caleçon neuf en Vichy rouge, histoire de faire diversion et empêcher la motion de censure. Si ça ne suffit pas, le pape du Frapp s’emparera de l’urne pour la fracasser sur le parvis. Enfin, à la sortie du Pm après son brillant speech, l’intrépide député fera barrage de son corps pour empêcher que les députés du Pur ne l’agressent.
Quand je vous prédis que ça promet, vous pouvez me croire !

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Bien sûr, pour Ousmane Sonko, le laïus sur la souveraineté nationale ne peut manquer dans son discours, pourvu qu’il ne change ni le drapeau avec l’étoile verte ni l’hymne national ; le sourcilleux Pm trouvera certainement quelques lignes à consacrer au durcissement des lois contre les pédés, les transgenres, les travestis et les petits coquets coquins ; la chasse aux prédateurs de nos deniers également, pourrait faire chic à la télé ; tout comme les appels à pourvoir aux postes vacants.

Ne nous attardons pas sur les futilités et attaquons le plat de résistance : le pétrole et le gaz, à n’en pas douter, seront au centre de ce discours que le monde entier attend, à partir duquel le Sénégal trônera au rang des pays riches en quittant sans se retourner le clan des pays à budgets chiches.
Après un bref silence de cathédrale, ce sera la ruée pour s’inscrire sur la liste des intervenants : personne ne voudra rater ça, toute la planète nous regarde !
C’est évident, la liste des sujets qui fâchent est interminable… Il ne manquera certainement pas dans les travées un député qui enjambera le politiquement correct pour aborder les sujets sensibles. Par exemple, le complot d’Etat ourdi entre 2021 et 2023, qui occasionne des dizaines de morts, sans doute bien plus de blessés, des dégâts évalués en milliards de francs Cfa, juste pour sauver le «Projet».

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Par quelle question commencer ?
Doit-on ouvrir le bal en lui demandant où en est la rédaction du fameux «Projet», qui a toute l’apparence de la tragi-comique comédie «L’Os de Mor Lam», ou alors l’interroger sur les preuves du complot d’Etat qui téléguide le Gps d’un honorable député en goguette, au point de le conduire par inadvertance dans un salon de massage à la devanture couleur de veilleuse de lupanar ?

Après la semaine du pain, comme dit la chanson, les boulettes à l’Assemblée ne manqueront pas de piment et convoquent les questions existentielles que pose tout vendeur de coin de rue digne de ce nom, venu de son lointain Fouta Djallon, sur un ton chantonnant : «Ma dèfal la sauce, wala ? Ma dèfal la soblè, ou bien ? Ma défal la pobar, aussi ? Cube Maggi, bouga nga ? Moutarde nong ?»