Panel – Réflexions autour de la religion musulmane : Dire l’islam à travers le patrimoine

Consommer un discours sur l’islam, généré à partir d’autres régions du monde ? S’enrichir de tout, oui, mais, pas que ! «Universaliser l’islam depuis l’Afrique ?» Pourquoi pas !
Par Moussa SECK –
Il y a la madrassa qui enseigne d’une part, et d’autre part, des gens dotés du talent de composition et qui reprennent les enseignements de la religion dans leurs créations. Ou pour faire l’éloge de leur guide. Ils feront alors du Wolofal. Wolofal, une forme d’art constituant le premier monument de notre littérature. Selon ce qu’en dit Cheikh Anta Diop cité par Ibrahima Faye du Laboratoire de littérature orale et africaine de l’Ifan. Ainsi, des figures comme «Serigne Mbaye Diakhaté, Serigne Moussa Ka, Serigne Samba Diarra Mbaye, se sont positionnées sur l’espace public pour mettre leur talent au profit du projet de leur maître». Ce sont ainsi des «artistes» qui rappellent «les préceptes rudimentaires de l’islam, et ils ne sont pas les seuls». En plus de ce premier lot d’«artistes» en effet, il y a ceux sous la tente du Gamou. «Donc, conclut partiellement M. Faye, la cour du marabout ou bien la tente du récitant-chanteur sont des espaces dédiés qui donnent de nouveaux canaux de transmission des valeurs de l’islam.» Et c’est une caractéristique de l’islam au Sénégal. Et sans doute, l’idée de penser l’islam à partir de regards d’Afrique et sous le prisme du patrimoine permettra de dégager beaucoup d’autres caractéristiques. Au nom de ce projet, s’est tenu un panel auquel Ibrahima Faye a participé. Autour du projet, il y a l’Ifan, l’Institut français et le Centre Jacques Berque de Rabat. Ibrahima Faye, parlant de patrimoine et de ces «artistes» de la cour du maître et des tentes de Gamou, introduit en leur sein un nom qu’on pourrait volontiers placer dans la case profane. Serigne Moussa Ka et Thione Ballago Seck, quel lien ? Les textes de ce dernier regorgent de lignes allant dans le sens de la transmission des valeurs qui alimentent les compositions de la première catégorie d’«artistes» cités plus haut. Dans tel ou tel texte, apparaît l’idée de «vulgarisation des enseignements de l’islam» et ces «trois objectifs : démontrer l’Unicité de Dieu, chanter la précellence du Prophète, mais aussi dire la probité du guide».
«Ici, c’est La Poste»
Au Musée Théodore Monod de Dakar ce 22 octobre, des profils variés pour la discussion. La présence de Aïssatou Sy, arrière-petite-fille de El Hadj Malick Sy, dégage déjà la caractéristique confrérique et soufie de l’islam pratiqué en terre de Teranga. Petite fille de «marabout» donc… ou non, la dame Sy n’emploie et n’aime pas le terme, parce que péjoratif ! Son intervention revient sur, d’ailleurs, la nécessité d’abandonner des clichés du guide reclus ou hors société ou vivant dans le luxe. «Le toit doré des minarets» n’indique pas une vie de pacha. «C’est une vie assez compliquée, très difficile, avec un poids social que beaucoup de gens ignorent, que vivent les familles religieuses.» D’ailleurs, poursuit-elle, «ça me fend le cœur quand j’entends certaines critiques envers nos guides religieux, parce qu’ils ne savent pas les sacrifices qu’ils ont faits pour ce pays, pour l’indépendance de ce pays». Le guide religieux que connaît Aïssatou Sy est un agent actif, pour ne pas dire l’agent central, de la société sénégalaise. Penser l’islam à partir de l’Afrique et du Sénégal particulièrement revient à souligner ce fait. «Vous allez à Tivaouane, dans les daaras, vous trouvez le Mandingue de Tamba, le Diola de la Casamance, le Sérère du Sine, le Wolof du Baol, du Kadior ou du Ndiambour. Et ce sont tous des enfants qu’on amène et qui ont un guide commun. Ils grandissent ensemble, ils font tout ensemble», ces enfants de partout, qui «vont voir leurs parents une ou deux fois par année». Ainsi, le brassage ethnique dont découle la stabilité sénégalaise, «nous le devons aux foyers religieux». Eduquer, participer à la stabilisation du corps social et, apaiser, en cas de trouble. Le «marabout» sénégalais, de l’avis d’une certaine critique, c’est un Crésus. L’arrière-petite-fille de Maodo a réponse à cela. Avec la formule «ici, c’est La Poste» de son père. La Poste, car on y vient certes déposer des sommes, mais «tout ce qu’on donne, c’est pour les autres. Ce n’est pas pour moi, ce n’est pas pour toi». Dans une de ses conférences, Pr Barkham Diop avait avait évoqué cette idée que les mains des guides religieux sénégalais assuraient le transit d’argent de la société vers la société.
Le patrimoine, moyen de renouvellement du discours religieux
«A travers l’exploitation des manuscrits, pas seulement en arabe, mais aussi en adjami, en wolof, on peut replacer les savants sénégalais, mais également africains de manière générale, dans l’histoire intellectuelle mondiale.» Autre conclusion. Celle de Seydi Djamil Niane du Laboratoire d’islamologie de l’Ifan. Sa conclusion résulte de la question qu’il a traitée durant le panel. La préoccu-pation de Djamil : «Universali-ser l’islam depuis l’Afrique : quelle place pour les manuscrits islamiques ?» Penser l’islam à partir de l’Afrique pour lui, alors, suppose déjà sortir cette partie du monde d’une invisibilisation fruit d’un découpage universitaire. Découpage, surtout français. Apollo 1, quoi de plus universel ? Et sur Apollo 11, se sont prononcés des savants religieux du pays… Dans ses interventions, Ibrahima Faye fera savoir que «le bloc islamique est traversé par des tensions», que la critique doit se faire par les musulmans. Ainsi parle-t-il d’une critique qui doit partir de l’intérieur du bloc en crise. Et pour lui, «le patrimoine peut être un espace où on peut bien penser l’islam et renouveler un discours religieux».