Voici la Vénus hottentote, le symbole de la souffrance humaine, l’expression vivante de ce que l’homme peut infliger à son semblable. L’histoire tragique et poignante à la limite du supportable de cette jeune Africaine arrachée à sa terre et exposée en Europe comme une bête de foire à cause, disait-on, de son physique particulier, est l’un des épisodes les plus instructifs sur la mentalité du colonisateur, tous les colons, dont la «morale» est exclusivement fondée sur la négation de l’autre. Voici le genre d’histoire qui pousse à réfléchir sur «l’humanité de l’homme». Comment la science qui est tant vénérée et élevée au rang de divinité par sa prétention pompeuse et mensongère à libérer l’homme des ténèbres de l’ignorance a-t-elle pu se rendre complice d’un crime aussi odieux, puisqu’elle a servi d’alibi et même d’excuse aux pseudo-expériences infligées au corps de cette jeune femme de son vivant et même post-mortem ? Ah que l’homme peut être vache ! Les bêtes féroces qui l’ont enlevée, exposée, vendue et violée sont des hommes civilisés, des Européens raffinés et cultivés, qui pensaient qu’il ne pouvait y avoir aucune âme vivante derrière ce visage nègre, dans ce corps de femme aux formes proéminentes. Le racisme est l’une des choses les mieux partagées. Il existe partout : Le racisme «racial» chromatique, le racisme ethnique, le racisme de classes.
De son vrai nom Sawtche, rebaptisée Sarah Baartman, cette jeune femme est née vers 1789 au Cap en Afrique du Sud. Elle appartenait à la tribu khoikhoi. Ayant assisté au massacre de son Peuple par les colons hollandais, elle s’est livrée comme servante dans une famille hollandaise qui, par la suite, l’a vendue au frère de son maître, un certain Hendryck, qui l’emmena à Londres en 1810 et c’est le début de l’odyssée infernale. Exposée en Angleterre et en Hollande comme une bête de foire à cause de son physique particulier, sa callipygie démesurée, elle attirait les foules curieuses de voir «ce spécimen d’une race inférieure». En France, on faisait payer trois francs au public pour la voir. Poussée à la prostitution par son maître qui la livra à la concupiscence d’hommes sans pitié, elle sombra dans l’alcoolisme. Alors intervient la fameux scientifique naturaliste Georges Cuvier qui réussit à l’exposer nue devant des peintres et des chercheurs naturalistes, convaincus d’avoir entre les mains la preuve de l’infériorité définitive de certaines races.
Victime de «la rareté esthétique», sa beauté étrange et particulière lui a joué des tours devant la curiosité perverse d’une pseudo-science qui a pactisé avec le diable. La médecine de classes, la biologie pour riches, la pharmacie de luxe, l’anthropologie raciale… tout cela existe. Quand la science oublie son origine spirituelle. La Vénus hottentote a été victime de l’époque, une époque qui n’est pas encore révolue, une époque où le mal règne dans toute sa noirceur. Saccagée par des années d’humiliation, outragée par les hommes qui l’ont possédée comme un animal, malade et ne pouvant plus «travailler», elle rendit l’âme à Paris le 29 décembre 1815. Cuvier acheta son corps à 5 000 frs, le dépeça, le disséqua, séparant chair et os. Auparavant, il avait déjà moulé son corps, conservé ses parties génitales et son cerveau dans du formol et exposé son squelette au Musée de l’Homme à Paris. Voilà où mène l’esprit scientiste, le moment où la science tourne mal lorsqu’elle est convaincue de racisme.
Ce n’est qu’en 2002 que l’Etat français accepta de remettre les restes de Sarah à son Peuple khoikhoi, après des années de refus catégorique. Enfin, deux siècles après, elle bénéficia d’une sépulture digne de sa nature humaine tant bafouée et, selon les traditions de sa tribu, en présence de Thabo Mbeki et de plus de 10 mille personnes. L’histoire tragique de la Vénus hottentote témoigne, si besoin en est, des relations souvent incestueuses que la science et les savants entretiennent avec l’idéologie.
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