En un peu plus de trente ans (30) de carrière, Pape Diouf continue, avec talent et maestria, de hanter les scènes, les hits, les grandes manifestations musicales d’ici et d’ailleurs. Aujourd’hui qu’il s’assoit à la table des plus grands de la musique, qu’il fait partie des personnalités les plus influentes et les plus marquantes au Sénégal et en Afrique, il nous semble judicieux de jeter un coup d’œil dans le rétroviseur pour comprendre comment l’interprète de «Superman Love» et de «Sama Seytané», les deux tubes qui tonnent et qui cartonnent actuellement, tellement ils sont prisés des férus de musique mbalax, a su transformer les embûches qui ont parsemé son chemin, en marchepieds de sa notoriété actuelle. Autrement dit, l’enfant de Guinaw-Rails, qui n’est pas né avec une cuillère en argent dans la bouche, à force d’efforts répétés, s’est résolument forgé une carrière à la force du poignet et est brillamment devenu aujourd’hui un cador, une icône de la musique sénégalaise. D’où le surnom de «Pape de la musique sénégalaise» qui lui est attribué par les mélomanes. Statut qu’il a accentué un peu plus ces dernières années en empilant les consécrations et les trophées de prestige.

Une carrière forgée à la force du poignet 
La fabuleuse histoire de Pape Diouf avec la musique commence dans les années 95 avec le mythique Lemzo Diamono qu’il intègre à l’insu de son bienveillant pater Cheikh Diouf qui, craignant les déviances et déviations, ne souhaitait pas qu’il fasse de la musique. Finalement, le jeune crooner décroche l’onction paternelle avec la promesse d’être un parangon de vertu. Cette bénédiction de (du) «Cheikh» lui sert de déclic. A partir de cet instant, ses ambitions changent : d’un simple loisir, la musique devient un objectif concret, porté par l’exemple de son idole Youssou Ndour. Rapidement, Pape se distingue par une voix d’une pureté saisissante et une présence scénique phénoménale. Ses performances captivantes annoncent clairement l’avènement d’un diamant à polir, d’une étincelle prête à jaillir, d’une étoile en devenir pour illuminer la noirceur des nuits festives sénégalaises, en laissant rêveurs les couche-tard face aux figures imaginaires qu’elle dessine sur la voûte céleste. La chanson «Cocorico» ne tarde pas à confirmer cette prédiction. Fermons la parenthèse !

Et c’est pour dire que, nonobstant une transition du Lemzo Diamono vers une carrière solo marquée par une longue et pénible traversée du désert (les sacrifices qui ont rythmé son quotidien durant cette phase, au-delà de son entourage proche, personne n’en a une idée !), Pape ne s’est jamais départi de son rêve de faire carrière dans la musique. De faire partie des meilleurs chanteurs de sa génération. D’être un artiste adulé et respecté de par le monde. Du coup, s’appuyant sur cette sorte d’évidence qui lui tombe dessus, le fils des banlieues de Dakar met tout en œuvre pour réussir. A commencer par un professionnalisme à toute épreuve. Se sentant dopé par les prières de son père, il lance en 2000 son propre orchestre et lui donne le nom prospectif de «Génération Consciente».

Cette nouvelle responsabilité de leader de formation musicale l’amène à faire montre d’un état d’esprit conquérant, car conscient que pour se faire une place au soleil, il lui faut savoir durer et endurer. Alors, il fait tout comme il faut. Tout. Car, pour atteindre ses objectifs, il sait qu’il ne faut pas déroger à la règle. Il ne fait donc pas semblant. Son talent et sa mentalité exemplaires enchantent le label Prince Arts, qui l’enrôle dans son catalogue d’artistes. Après une collaboration fructueuse d’une vingtaine d’années et beaucoup de paliers franchis, Pape, qui voit plus grand, prend une décision risquée mais cruciale : celle de quitter à l’amiable la maison de production Prince Arts pour donner une nouvelle dimension à sa carrière.

Normal me diriez-vous, car il n’a pas une voix d’or mais de l’or dans la voix. Nuance. Aussi, de par son parcours exceptionnel, il est devenu une référence nationale. Sa voix s’est installée dans nos vies, quelle que soit notre condition, quel que soit notre âge. A preuve, depuis 1996, il arrose la musique sénégalaise de tubes intemporels devenus de vrais «remèdes» : «Cocorico», «Partir», «Casse-Casse», «Sama Yaye», «Du degn», «Paris Dakar», «Superman Love», «Sama Seytané», et j’en laisse. De plus, ses spectacles sont des occasions rêvées pour le nombreux public qui fait toujours le déplacement, de réapprécier plein de chansons à succès de son riche répertoire bâti à coups d’inspiration et d’ouverture à de nombreux styles grâce à ses rencontres avec de grands chanteurs et musiciens tels que Lamine Faye, Youssou Ndour, Fally Ipupa, Joezi, Coco et bien d’autres personnalités. L’autre vérité, et pas des moindres, est que le leader de la Génération consciente connaît l’influence qu’il exerce sur les jeunes qui rêvent tous de lui ressembler. Il déclenche toujours la même hystérie mais pour autant, il n’est pas dupe de sa célébrité. Il s’inscrit au juste milieu entre l’humilité, la difficulté devant la tâche et la détermination d’aller plus haut et plus loin, pour faire plaisir à ses exigeants fans. Pas de petites phrases qui choquent. Pas de vagues. Il ne parle jamais à tort et à travers. Il évite les pièges que son statut de star confère. Il ne parle pas comme un livre, plutôt, il dit les choses comme il chante, avec simplicité. Mieux, il est sincère dans ses choix qui sont plus des choix de vie que des choix de «dit». Bref, Pape Diouf est celui qu’on a envie d’avoir comme fils, comme père, comme frère, comme copain, comme collaborateur. Et ce n’est pas tout. Il est aussi un exemple unique, un modèle inimitable, en matière de contribution sociale.

L’infatigable ambassadeur du social et du sociétal
Pour rappel utile et sans prétendre à l’exhaustivité, de 2009 à 2019, Pape Diouf a mis du contenu à ses titres d’ambassadeur de Bonne Volonté de la Décennie africaine des personnes handicapées, de l’organisation Africare, dans sa croisade contre la progression de l’épidémie de la maladie à virus Ebola, cette pandémie qui a tant hanté le sommeil des Africains avec son expansion supersonique, qui a occasionné des milliers de morts et créé une psychose chez les populations «noires» désorientées, de l’Association internationale les «Petites gouttes», qui œuvre pour le bien-être des handicapés, des albinos et pour la réinsertion des talibés. On le sait peu. On le dit peu. Mais le leader de la Génération Consciente a apporté une énergie pleine et entière pour que les personnes vivant avec un handicap soient considérées comme des citoyens et non comme des «handicapés en incapacité». Aussi, il a beaucoup contribué pour qu’une logique de droits puisse se substituer à la logique caritative qui a toujours caractérisé l’élan solidaire envers cette catégorie de population vulnérable et surtout discriminée le plus souvent. En outre, ayant fait le constat que les gens manquaient criardement de connaissances sur le monde du handicap, Pape a passionnément porté le plaidoyer pour que les uns et les autres soient formés sur ces questions. C’est dire qu’il s’est beaucoup investi pour que nous arrivions à soulever la montagne d’indifférence, de négligence, d’ignorance qui s’oppose encore à ce que les personnes handicapées puissent voir tous leurs droits fondamentaux reconnus.

Le rouage essentiel de la moisson de ses trophées et de ses prix
Grâce à sa posture de héraut des luttes contre le virus Ebola, le paludisme, pour plus de bienveillance à l’endroit des couches vulnérables, Pape Diouf se voit décerner, à juste titre, en août 2016 par le City de Philadelphie, l’«Award de l’Artist of the year» et l’«Award of contribution Africa’s musical heritage». En 2015, il figure sur la liste très selecte des 50 personnalités les plus marquantes en Afrique.

Ce n’est pas rien. C’est même beaucoup pour qui mesure d’où il est parti. En 2023, il remet ça, en se classant parmi les 50 personnalités les plus influentes du Sénégal. Ces beaux coups, en attendant les autres, qui installent l’enfant de Guinaw-Rails à jamais à la plus haute table des musiciens parmi les plus hauts de notre continent, sont pour beaucoup, de hauts faits qui justifient qu’on le surnomme le «Pape de la musique sénégalaise».

In fine, si nous devons résumer Pape Diouf, nous dirons qu’il n’est plus seulement un chanteur, mais tout un reflet de la société sénégalaise de ces dernières années. Sa réussite de self made, il ne l’a pas volée, ni héritée. Il l’a conquise à la sueur de son travail. Aujourd’hui au top de sa notoriété, il a quelque chose de tellement pur. Il y a quelque chose d’infiniment réussi. Il a quelque chose d’un alchimiste qui a toutes les cartes en main. Tout dépend de lui et de lui seul, pour parachever la belle œuvre entamée déjà depuis plus de trois décennies. C’est bref. C’est net.
Alioune Badara NIANG
badaraniangjunior@gmail.com