Beaucoup de choses auraient mérité de larges développements sur ces colonnes. D’abord, le «Dialogue national» du 28 mai convoqué pour réfléchir sur un «système politique» qui marche depuis le Code électoral consensuel de 1992, sous l’égide du Juge Kéba Mbaye, et qui a déjà produit trois alternances. Et qui a fait l’objet de discussions entre acteurs politiques en 2020, avec plus de vingt-cinq (25) points d’accord dont la loi sur le statut du chef de l’opposition, le financement des partis, entre autres. Ce qui fait du «dialogue politique» une grande Arme de distraction massive (Adm) ! Car depuis 1990, ce sont les mêmes problèmes politiciens qui sont sur la table ! Affaire de fichier électoral, manifestations autorisées ou interdites, suspicion à l’approche des élections, contestations après les élections, le ministre de l’Intérieur ne doit pas organiser les élections… Après, ce sont les acteurs qui contestaient quand ils étaient dans l’opposition qui, une fois au pouvoir, refusent d’appliquer ce qu’ils réclamaient hier. Ensuite, ceux qui sont dans l’opposition (et naguère au pouvoir) demandent ce qu’ils refusaient de concéder à l’opposition hier ! Seules les positions ont changé.
Ensuite, la défaite de Amadou Hott à la présidence de la Banque africaine de développement (Bad), prédite sur cette page le 1er février 2025, dans ma chronique «Amadou, une candidature pas si Hott». En effet, Dr Sidi Ould Tah est le nouveau président de la Banque africaine de développement (Bad). L’actuel directeur de la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (Badea) a été élu à l’issue du troisième tour de scrutin, ce 29 mai 2025 à Abidjan, avec 70% des voix. Parmi ses concurrents, figure Amadou Hott, une personnalité éminente de l’économie et de la finance, qui a toujours incarné les aspirations et la détermination du Sénégal sur la scène internationale. Sa candidature à la présidence de la Bad avait suscité un grand intérêt, révélant non seulement ses compétences personnelles, mais aussi les défis auxquels le Sénégal doit encore faire face dans l’arène diplomatique et politique globale.
Cependant, force est de constater que Hott avait peu de chances de remporter cette élection, tellement Ould Tah était présenté comme favori. «Les actionnaires de la Banque africaine de développement ont décidé. Je félicite Dr Sidi Ould Tah, président élu, et lui souhaite plein succès dans ce rôle de leadership vital pour notre continent. Je tiens à féliciter tous les candidats pour leurs efforts», dira le Sénégalais Hott, qui a remercié «tous les pays qui ont parrainé (sa) candidature et (lui) ont accordé leurs votes». Il a également été «reconnaissant à l’endroit de Son Excellence le Président Bassirou Diomaye Diakhar Faye dont l’engagement personnel extraordinaire et le plaidoyer indéfectible tout au long de ce parcours ont été exceptionnels». Il faut dire que le chef de l’Etat a, selon certaines sources, mis tous les moyens pour accompagner une candidature qu’il a certes présentée, mais qu’il n’a pas préparée. Les mêmes sources affirment que «le Président Diomaye a mis 8 millions d’euros (plus de 5, 2 milliards de francs Cfa) sur la table pour accompagner la candidature de son compatriote». Sans compter qu’il a déployé «25 diplomates de haut rang». La marche était trop Hott face au candidat mauritanien qui a été pendant 10 ans président de la Badea, ce qui faisait de lui un homme d’expérience, mais surtout de rupture par rapport à la gouvernance de l’ancienne équipe à la Bad. Le profil de Ould Tah collait plus que celui de Hott.
Enfin, arrêtons-nous sur la reddition des comptes avec les dernières arrestations d’anciens ministres par la Commission d’instruction de la Haute cour de Justice. Mais particulièrement les propos tenus par Aminata Assome Diatta, ancienne ministre du Commerce, sur «Seneweb». Commentant le cas Mansour Faye, l’ancienne ministre dit d’emblée : «Il ne faut pas oublier que la Cour des comptes est composée de personnes avec leurs insuffisances, leurs passions et leurs manquements. Ce n’est pas parce qu’ils ont produit un rapport que c’est du béton et que personne ne peut revenir dessus. Ce que je pense, c’est que si la Cour des comptes avait adopté une autre démarche, beaucoup de problèmes auraient pu être évités. Pour une institution dont la parole est prise pour vérité immuable, tout ce que tu fais, tu dois le faire de façon minutieuse.»
Cette précaution faite, Assome Diatta avance : «Je prends un exemple sur lequel je ne vais pas trop développer parce que c’est une procédure pendante en Justice. Je prends le cas du riz sur lequel la Cour des comptes a conclu à une surfacturation en se basant sur un arrêté (ministériel) qui date de 2013. Cela aurait été plus simple pour la Cour des comptes de saisir le ministère du Commerce, auteur de l’arrêté. Si la Cour (des comptes) avait posé la question au ministère du Commerce, elle ne serait pas arrivée à cette conclusion. (…).» Pour la ministre, l’accusation de surfacturation ne tient pas dès lors que nous sommes dans un système de libre administration des prix. «Déjà, le principe, c’est la liberté des prix, et c’est un principe sacro-saint. Ceux qui m’ont suivie quand j’étais ministre, savent que le prix est en troisième position. Ce qui est primordial chez moi, c’est l’approvisionnement du marché, ensuite la qualité du produit. C’est seulement après qu’il faut parler du prix. Donc de 2013 à 2020, on ne peut pas avoir le prix du kilogramme de riz à 250 francs. Donc, venir en 2020 dire que c’est l’arrêté de 2013 qui doit s’appliquer, si tu avais posé la question au ministère du Commerce, je pense que beaucoup de choses allaient changer. Il n’était absolument pas possible de vendre à 250 francs.» Elle se défend de prendre parti pour le beau-frère de l’ex-président de la République. «Je n’ai absolument aucun intérêt à défendre Mansour Faye, les prix les plus bas du marché à cette époque étaient de 275 francs le kilo ! Ce n’était pas possible de vendre à 250. Je ne vais pas dénigrer la Cour des comptes. Comme c’est une affaire de prix, le plus facile était de demander au ministère du Commerce son avis, mais ils ne l’ont pas fait. S’il y a quelque chose que je regrette, c’est ça.»
Alors pourquoi est-ce seulement maintenant qu’elle dit que cette accusation de surfacturation est des plus ridicules dans un processus d’appel d’offres où trente (30) entreprises ont soumissionné. La réponse de Assome est des plus déconcertantes : «Le problème est qu’en 2021, l’opposition avait tellement de force, à tel point que l’espace politique était pollué. Quand le rapport est sorti, même si tu disais autre chose de contraire à ce que la Cour des comptes avait dit, tu risquais d’être la personne à abattre.
On te diabolise.» En un mot, comme en mille, l’ex-ministre du Commerce a craint l’opinion supposée dominante pour ne pas étaler au grand jour la vérité.
L’ancienne ministre n’en est pas à son coup d’essai, malheureusement. Le 21 mars 2021, dans une chronique intitulée «Le prix de l’honneur d’un «fils de Casamance», Madiambal Diagne s’insurgeait contre le silence de la ministre du Commerce de l’époque sur le cas Ousmane Sonko. «L’exemple le plus parlant est celui de Aminata Assome Diatta, ministre du Commerce, qui n’a eu le moindre scrupule pour opposer aux femmes membres de la majorité politique au pouvoir qu’elle ne saurait s’associer aux actions de riposte médiatique aux accusations répétées de Ousmane Sonko contre le Président Macky Sall, que le leader de Pastef continue de considérer comme étant le commanditaire, par le truchement de l’affaire Adji Sarr, d’un complot politique qui chercherait à l’anéantir. Aminata Assome Diatta estime que ses liens de parenté ethniques et familiaux avec Ousmane Sonko l’en empêcheraient. Elle a tenu à préciser : «vous comprendrez ma gêne à participer à vos initiatives, car Sonko est un parent»», disait l’auteur, qui ajoute : «Il est à noter que devant le tollé suscité et le courroux exprimé par des proches du Président Sall sur cette attitude, Aminata Assome Diatta s’est sentie obligée de publier une déclaration pour se rattraper, tout en veillant à mettre dos à dos les parties. A l’endroit de Ousmane Sonko, elle dira : «A mon frère du Blouf, je suis sensible à vos difficultés du moment, mais je vous dis que le Sénégal et la Casamance dépassent nos ambitions personnelles.».»
Cette peur de l’opinion dominante s’appelle la spirale du silence. C’est un concept développé par la politologue Elisabeth Noelle-Neumann, une chercheuse allemande, dans les années 1970. L’idée centrale est que les individus, par peur de l’exclusion sociale, hésitent à exprimer leurs opinions lorsque celles-ci sont en contradiction avec ce qu’ils perçoivent comme étant la majorité ou la norme dominante. Elle cherche à expliquer le processus par lequel certaines opinions, bien qu’elles existent au sein d’une société, sont réprimées ou marginalisées au profit d’un consensus ou d’un conformisme dominant. Ce phénomène est souvent associé au rôle des médias, à la peur de l’isolement social et à la dynamique de l’opinion publique. La spirale du silence trouve des résonances puissantes dans le contexte de la scène politique sénégalaise, notamment autour du parti Pastef. C’est avec ce parti aux méthodes fascistes que nous avons vu un guide religieux dire qu’il accepte d’être insulté si cela peut développer le Sénégal. Ainsi, beaucoup d’individus s’abstiennent de partager des opinions divergentes. La polarisation politique au Sénégal, exacerbée par le rôle médiatique et les réseaux sociaux, illustre bien les mécanismes de la spirale du silence. Les partisans de Pastef, souvent enragés et fanatiques à l’extrême, créent un environnement où les critiques ou les opinions discordantes sont considérées comme une attaque personnelle ou idéologique. Cette atmosphère, parfois empreinte de tension, a dissuadé bon nombre d’intellectuels ou même de citoyens de s’exprimer ouvertement, de peur d’être marginalisés ou de subir des représailles sociales. Au tout début de l’affaire Adji Sarr, la sociologue et féministe Fatou Sow Sarr, sur 2sTv, disait ne pas se prononcer parce que «khalé yii danioo meun saaga» (les jeunes ont l’insulte facile).
Par Bachir FOFANA