Souleymane Niang est né réellement en 1931 à Matam. Son père, Thierno Amar Baila, est un érudit originaire de Doumga Ouro Alpha et sa mère Couro Baidy Ly, de Doumaga Ouro Thierno dans la commune actuelle de Bokidiawé. Alors qu’il n’avait que cinq ans, déjà à l’école coranique, le petit Souleymane se mettait souvent à la fenêtre d’une des classes de l’école française de Matam (créée en 1918) pour écouter, avec intérêt, le chant des élèves. Un jour, le maître le fit entrer en classe dans l’intention de l’y maintenir. Son inscription posa deux problèmes. Le premier, la réticence de son père qui finit par accepter, suite à l’intervention de son frère Abdoul Niang, alors cheminot au Congo Brazzaville. Le second, lié à son âge, car il fallait au moins sept ans pour être inscrit au cours d’initiation (CI). On lui rajouta alors deux ans, pour le faire naître officiellement en 1929 !
Il franchit facilement le concours d’entrée au collège Sénégal. Il passe à l’Ecole Normale William Ponty de Sébikotane, école normale fédérale de l’Afrique occidentale française, établissement très sélectif chargé de former des instituteurs et médecins africains.
Brillant élève dans toutes les disciplines et principalement les sciences, il est finalement transféré pour faire la terminale dans l’enseignement général, au lycée Van Vollenhoven de Dakar où il obtint en juillet 1949, sous la présidence du Haut-Commissaire de la République Paul Béchard, Gouverneur général de l’Aof, et Jean Capelle, Directeur général de l’Instruction publique et des Sports de l’Aof, le prix d’Excellence, le 1er prix de mathématiques, le 1er prix de chimie et le 1er prix de philosophie. Il obtient, la même année, le baccalauréat «mathématiques élémentaires» ainsi qu’une bourse pour la métropole. Il s’inscrit parallèlement en classes préparatoires et en licence d’enseignement de mathématiques, mais opte pour l’université. Il obtient les Dea de mathématiques et d’astronomie en 1954, à l’université Paul Sabatier de Toulouse. Il renonce à la Direction d’un Observatoire pour privilégier et obtenir le Capes, un diplôme d’enseignement en 1954-1955, avec, en tête, l’idée d’aller servir en Afrique.
Sa carrière débute au lycée Pierre de Fermat à Toulouse, en qualité de professeur certifié dans une classe d’examen, en 1955-1956.
Il demande un poste au Sénégal en 1956 mais il n’y avait pas de poste vacant selon les autorités. On l’affecte alors en Côte d’Ivoire et, c’est dans le bateau en escale à Dakar, pour Abidjan, qu’il reçut un message d’une nouvelle affectation en qualité d’enseignant à l’école William Ponty.
Voici un extrait du rapport d’inspection de Monsieur Souleymane Niang, professeur de mathématiques à l’Ecole normale fédérale par l’inspecteur général Campan, le 31 mars 1958 : «…Les techniques sont aussi bonnes que la méthode. La tenue du tableau est aussi rigoureuse que la conduite générale du travail mathématique. M. Niang qui a été admis aux épreuves pratiques du Capes avec la mention Très bien, me parait être un remarquable professeur. En lui disant mes compliments pour son effort intelligent et les résultats obtenus, je lui transmets tous mes vœux pour son prochain succès à l’agrégation.»
Les échos de la compétence de ce brillant jeune professeur de mathématiques arrivent à Raymond Ruffin, maître de la chaire de mathématiques à l’université de Dakar, qui n’hésite pas à faire de lui, son assistant ; ce qui lui fait cumuler ce poste avec ses enseignements à Ponty. Le professeur Niang a été le dernier directeur par intérim de l’école fédérale jusqu’ à sa suppression avec la fin de la colonisation.
En 1960, il opte pour le Sénégal indépendant alors qu’il pouvait choisir aussi de servir la France. Assistant, puis maitre-assistant de mathématiques de 1960 à 1963, il soutient le Doctorat d’Etat ès sciences mathématiques en 1964. Maître de Conférences de 1964 à 1965, puis Professeur sans chaire de 1965 à 1968, il est nommé Professeur Titulaire à la chaire de mécanique rationnelle que lui lègue son maître R. Raffin en 1969. Créateur essentiel de la «Théorie des systèmes variables de particules», chef de Département puis Doyen de la Faculté des Sciences de 1970 à 1986, Recteur de 1986 à 1999, Directeur des Enseignements supérieurs, il est nommé ministre Conseiller spécial du président de la République en 1999 et Recteur honoraire en 2006. Il est membre fondateur de l’Académie nationale des sciences et techniques du Sénégal, dont il fut le premier président jusqu’au 30 août 2010, date de sa disparition.
L’œuvre scientifique de Souleymane Niang
Professeur titulaire de classe exceptionnelle de la Chaire de Mécanique rationnelle du Département de Mathématiques de la Faculté des Sciences et Techniques à l’université de Dakar, Souleymane Niang est avant tout un génie de la Science.
Il est le véritable créateur de la «théorie des systèmes variables de particules», laquelle, par les certitudes théoriques sur les modèles trajectoires qui en découlent, ramène l’aventure spéciale à des difficultés d’ordre technique. Ses champs d’intérêt ont trait aux équations de dynamiques analytiques et à leur génération.
Le Professeur Hamidou Dathe montre que la contribution mathématique de Souleymane Niang se situe essentiellement dans le domaine de la mécanique, à côté des sommités comme R. Goyon, R. Raffin, Leitmann et A. Lichnerovicz.
Il a bien souligné les insuffisances, les erreurs et le manque de rigueur des théories jusque-là consacrées à ce système. Les résultats russes ont ainsi été rectifiés et développés. Cette théorie a été une œuvre monumentale d’une grande originalité, d’une actualité évidente dans le contexte de l’époque (Programme de la Nasa, Apollo 11 sur la lune le 21 juillet 1969).
Cette thèse est d’un niveau exceptionnel et dépasse largement son but universitaire immédiat et fit de Souleymane Niang le créateur essentiel de la théorie des systèmes variables. Il développa une seconde thèse sur les «propriétés de fermeture des transformations de Fourier». Ses publications et travaux dans les années 1960 concernent essentiellement cette problématique de la mécanique.
Contribution pédagogique et didactique à l’enseignement des mathématiques au Sénégal et en Afrique
Souleymane Niang a créé en 1968 l’Institut de recherches sur l’enseignement des mathématiques (Irem). C’est cette structure qui va devenir l’Institut de recherches sur l’enseignement des mathématiques, de la physique et de la technologie (Irempt), qu’il dirigea de 1970 à 1986.
En tant que directeur de cet institut, il introduit les mathématiques modernes dans les lycées et collèges du Sénégal. Il assure, en rapport avec le ministère de l’Education nationale, la formation et l’encadrement des professeurs concernés avec la production de manuels, d’ouvrages et de brochures didactiques sur l’enseignement des mathématiques et la formation des maîtres en Afrique francophone et notamment au Sénégal (décembre 1964) ; de la mathématique et de son enseignement , séminaire sur la didactique des mathématiques (avril 1992); Cours d’Algèbre Dues 1 – PC 1, Cours d’Analyse Dues 2 – PC, Cours de Mécanique générale Dues MP, Cours d’Algèbre Théorie des groupes fini, Licence, Cours de Mécanique Analytique, Maîtrise de mathématiques, Cours de mécanique des milieux continus, Maîtrise, Cours de Mécanique des Systèmes variables – mécanique spatiale – 3e cycle.
Un Recteur militant d’une Université de développement et au cœur des questions nationales, africaines et internationales
Recteur de 1986 à 1999, il a défendu les libertés académiques, les franchises universitaires et l’autonomie de l’université dans un contexte d’ajustement structurel et de crise politique des années 1988. Il fut un homme très entreprenant, j’allais dire très fin, dans le dialogue social avec les syndicats des enseignants, le personnel administratif et technique et le mouvement étudiant des générations 88, 94 et 97.
La technique utilisée pour revaloriser le personnel de l’enseignement supérieur sans toucher aux statuts était très subtile. Il dota aussi les partenaires sociaux de l’Ucad de moyens de fonctionnement structurel ; sièges équipés, avec mise à disposition d’un personnel de secrétariat et de lignes téléphoniques sans contrepartie de leur allégeance ; il a pratiqué la bonne participation responsable dans le respect strict de l’autonomie et de l’indépendance des syndicats concernés Saes, Sude-Sup et Satuc notamment. Il a, en outre, contribué à la sauvegarde du domaine privé de l’université, à l’extension physique des domaines pédagogique et social au Camp Gérémy, au Brgm, à l’Ucad II et à la résidence des professeurs de Mermoz. La dénomination Ifan Cheikh Anta Diop et Université Cheikh Anta Diop porte bien sa marque (Cf. son Hommage à Cheikh Anta Diop à l’occasion du 10ème anniversaire de sa disparition). Il n’a pas bénéficié du même traitement, hélas, à sa disparition. C’est tout à l’honneur du Président Macky Sall de réparer une telle injustice avec cette distinction de ce monument de la science qui fait la fierté du Sénégal dans le monde.
Le Professeur Souleymane Niang s’est aussi toujours préoccupé de la question du développement, en tant qu’universitaire. Cela est illustré par différents articles et contributions, comme l’indiquent ces exemples entre autres : «Mathématiques et développement» Ethiopiques revue socialiste de culture négro-africaine, numéro 20, octobre 1979, «Politique scientifique générale pour une véritable université de développement», note à Monsieur le président de la République, (décembre 1988) ; L’Université de développement et son rôle», PUD, Dakar (novembre 1989), Trajectoire d’une université de développement vers les cyberespaces du 21ème siècle», La revue du Conseil Economique et Social, n° 2, février-avril 1997, pp. 33-35, «Science and technology education for development in the islamic world», conférence de l’Académie Islamique des Sciences, (Téhéran, juillet 1999), etc.
Il est membre ou président de plusieurs institutions, commissions de réflexion, de concertation ou de surveillance. Il fut ainsi membre du Conseil économique et social, du Haut Conseil de l’Audiovisuel (Hca), du Club Nation et Développement, Président de la Commission nationale de réforme de l’éducation et de la formation (Cnref) issue des Etats généraux de l’Education et de la formation de 1981, Président de la Concertation nationale sur 1’Enseignement supérieur (Cnes) en 1992.
Président de l’Académie nationale des sciences et techniques du Sénégal (Anst), il est aussi représentant ou membre de plusieurs organismes scientifiques internationaux :
Représentant national de la Commission internationale de l’Enseignement des Mathématiques (Icmi), membre fondateur de l’Académie Islamique des Sciences (Ias), Président de la section scientifique de la Commission nationale de l’Unesco (début 1970), Membre de l’Association des Professeurs de Mathématiques (France) (1953), Président de la section nationale de la Commission internationale pour l’Enseignement des Mathématiques (Icmt) (1970), Président de la section Mathématiques-Physique du Comite Consultatif du Conseil africain et mauricien de l’Enseignement supérieur (Cames), Membre du Bureau de la Commission africaine pour l’Enseignement des Mathématiques (Caem), Membre du Conseil scientifique de l’Organisation de l’Unité africaine, Membre du Bureau de l’Association des Universités partiellement ou entièrement de langue française (Aupelf/Uref) (1978-1984), Membre du Comité exécutif de l’Association des Universités africaines (Aua) (1981-1984), Ancien résident de l’Association scientifique de l’Ouest-africain (Wasa).
Souleymane Niang avait des relations plus intellectuelles que politiques avec le Président Senghor, qui se méfiait quelque peu de cet homme ouvert, même avec des opposants et pas facile à maîtriser. Un certain nombre de contributions se comprennent dans ce sens : «Négritude et mathématiques», Présence africaine, Nouvelle série, n° 78 (2e trimestre 1971), pp. 27-47, «Esquisse d’une politique de développement scientifique en Afrique de l’Ouest», Congrès de l’Association scientifique ouest-africaine (Asoa) West African Science Association (Wasa), Faculté des Sciences de l’Université de Dakar (27 mars au 1er avril I974), «De la politique scientifique senghorienne : principes et stratégies», Ethiopiques revue socialiste de culture négro-africaine numéro spécial, 70ème anniversaire du Président L. S. Senghor novembre 1976, «Politique scientifique de Senghor principes et stratégies», Ethiopiques revue négro-africaine de littérature et de philosophie, 59, 2e semestre 1997, Senghor 90, Salve Magister, Hommage au Président Léopold Sédar Senghor, 90ème anniversaire (octobre 1996).
C’est à la fois son génie, son patriotisme et son œuvre tout au long de son parcours qui lui ont valu tous ces titres honorifiques : Grand officier de l’Ordre national du Lion, Officier de la légion d’honneur, Officier de l’Ordre du Mérite (Sénégal), Officier de l’Ordre du Mérite (France), Chevalier des Palmes académiques (Sénégal), Commandeur des Palmes académiques (France), Officier des palmes académique (Cames).
Le choix de ce parrain, pour le Concours général 2021, par le Président de la République Macky Sall, est pertinent, opportun et inspirant pour les brillants lauréats de cette prestigieuse fête de l’excellence.
Kalidou DIALLO
Ancien ministre de l’Education nationale,
Professeur d’histoire moderne et contemporaine à la retraite,
Président du Conseil académique de l’Ipd, université
professionnelle africaine.