En Afrique, son nom se confond à cet art millénaire de la marionnette. Yaya Coulibaly, le maître malien, était cette année, un des invités d’honneur des Journées théâtrales de Carthage où il a donné une master class et une discussion autour de son art.

«L’art de la marionnette est au centre de toutes les disciplines artistiques», c’est la conviction de Yaya Coulibaly, le maître malien des marionnettes. Invité d’honneur des 24e Journées théâtrales de Carthage (Jtc), l’artiste malien a tenu une discussion autour de son art vendredi dernier au Théâtre national tunisien. Cela, après plusieurs jours de formation au centre tunisien de la marionnette. Il souligne que dans cet art ancestral, on retrouve aussi bien la peinture que la danse, le chant, la musique, le tissage, la sculpture ou le stylisme. Autant de choses qui font de cet art, une composante essentielle de la vie sociale en Afrique. C’est autour de toutes ces composantes qu’un musée-centre de formation, en gestation au Mali, a été structuré, indique l’artiste. Le chantier, bien avancé, devrait servir de base à une meilleure transmission de cet art. Et c’est aussi pour donner à la marionnette sa place que le maître malien annonce la tenue, du 20 au 26 mai 2024, de la première édition du Festival international de la marionnette. Cette grande manifestation sera l’occasion, indique Yaya Coulibaly, de documenter les processus de fabrication des marionnettes par les derniers grands maîtres de cet art. «J’ai consacré 50 ans de ma vie pour que les marionnettes soient reconnues», indique M. Coulibaly en se réjouissant de les voir admises comme discipline aux Jeux de la Francophonie. L’art de la marionnette est certes millénaire en Afrique, mais aujourd’hui, il s’inscrit dans la contemporanéité. Et les apprenants qui viennent chez Yaya Coulibaly, apprennent tout simplement à fabriquer des marionnettes, «qui ne sont pas habitées».

En effet, l’art de la marionnette comporte plusieurs facettes. Selon M. Coulibaly, les premières marionnettes remontent à très loin, 4000 à 10 000 ans avant notre ère. Elles seraient apparues en Chine, en Grèce, en Afrique subsaharienne et au Mali, à Djenne notamment. Ibn Batouta, qui a visité le Mali au 13e siècle, en parle dans son Tariq al sudan. De la même façon, la marionnette est ancrée dans une très ancienne tradition. «La marionnette jouait le rôle de modérateur entre les différentes franges de la société», rappelle l’artiste malien en identifiant quatre formes de théâtre. Le théâtre sacré est joué, selon lui, une fois tous les 7 ans et en pleine brousse. Il s’agit là d’un rite à connotation spirituelle puisque seuls les initiés de plus de 60 ans sont autorités à y participer : guérisseurs, guerriers, historiens, géomanciens, etc. «C’est une cérémonie au cours de laquelle un bœuf noir tacheté de blanc est sacrifié et sa viande partagé.» Dans une deuxième forme de théâtre, il explique qu’il s’agit d’une cérémonie semi-sacrée qui se déroule au village, mais seulement sous la lumière naturelle. Une autre facette de cet art est la cérémonie traditionnelle qui permet d’invoquer la pluie, les bonnes semailles. Et enfin, les marionnettes populaires, celles qui sortent à l’occasion de toutes les fêtes. Celles-là, sont un gage de cohésion sociale car permettant de résoudre des conflits et de baisser les tensions. Elles sont spécifiquement les marionnettes de la jeunesse, et peuvent être satiriques.

«Je n’étais pas destiné à l’école française»
Avec une carrière de plusieurs décennies, le maître de la marionnette a le regard tourné vers la transmission. Les 25 000 marionnettes qu’il possède, sont ainsi en train d’être répertoriées dans le cadre d’un projet avec l’Union européenne. Au jour d’aujourd’hui, ce sont près de 3000 qui ont été répertoriées, décrites et dont le processus de fabrication a été documenté. Le fruit de ce travail, qui sera bientôt mis à la disposition de tous, permettra de pérenniser ce savoir traditionnel. «Je n’étais pas destiné à l’école française», dit-il. Mais il ira quand même à l’Institut national des arts (Ina) de Bamako puis à l’Institut de la marionnette en France, à l’Ecole nationale supérieure des arts et de la marionnette (Esnam) à Charleville-Mézières en France. Depuis de nombreuses années, Yaya Coulibaly sillonne le monde pour partager et échanger autour de cet art qu’il a hérité d’une longue lignée d’ancêtres remontant aux premiers rois de Ségou.