Face aux obstacles et contraintes qui empêchent les personnes handicapées de jouir d’une pleine participation politique et citoyenne, la Fédération sénégalaise des associations de personnes handicapées (Fsaph), en partenariat avec Sightsavers, déroule un projet. Celui-ci ambitionne de lever ces obstacles à travers des propositions et recommandations. Le volet économique du projet propose des formations en entreprenariat pour donner à ces personnes des outils qui leur permettront, à terme, de sortir de la mendicité et de vivre décemment.

Combien sont-ils à ne pas pouvoir exercer leur droit de vote lors des élections, parce que n’ayant pas accès aux lieux de vote ou ne se sentant pas impliqués dans le processus électoral ? Les personnes handicapées se plaignent d’obstacles et con­traintes qui les empêchent d’exercer leur droit de vote et de jouir de leurs droits en tant que citoyens. Ce sentiment est renforcé par les résultats de l’étude sur l’accessibilité du vote des personnes handicapées faite par la Fédération sénégalaise des associations de personnes handicapées (Fsaph) dans le cadre d’un projet intitulé «Partici­pation politique et citoyenne des personnes handicapées». Une étude que la Fsaph a bien voulu partager avec les différents partis politiques. (Ndlr : le parti au pouvoir (Apr), le Parti démocratique sénégalais (Pds), le Mouvement de Sonko, Pape Diop). «La plupart des personnes handicapées interrogées dans cette étude s’en sont plaintes, malgré les efforts consentis par l’Etat, des obstacles persistants dans l’accessibilité physique du lieu de vote et aussi du manque d’informations durant la campagne électorale.»
L’exemple du malvoyant, du sourd-muet ou du handicapé physique à fauteuil roulant est plus que pertinent. A cause de la nature du handicap, certains ne peuvent voir les bulletins de vote, d’autres n’accèdent pas aux programmes des candidats ou autres informations en rapport avec le processus ou l’organisation d’élections ou ne peuvent pas accéder physiquement à un centre ou bureau de vote. «Pour garantir à ces personnes une pleine participation politique, il faut qu’elles accèdent à toutes les informations relatives au processus électoral, à l’organisation de l’élection pour pouvoir faire un choix libre et éclairé», conseille Yatma Fall, président de la Fédération sénégalaise des associations de personnes handicapées. Il est vrai, le Code électoral n’exclut pas la personne handicapée du processus électoral ni pour sa participation dans le jeu politique, «mais les personnes handicapées ne sont pas prises en compte de façon effective dans ce Code», souligne Moussa Thiaré, point focal national du Projet de participation politique et citoyenne des personnes handicapées.
Mieux, révèle Babacar Fall, consultant de Sightsavers, «dans les différentes réformes du Code électoral intervenues de 1992 à nos jours, aucune n’a concerné les personnes handicapées». Il s’y ajoute, indique Yatma Fall, que ce texte n’est pas non plus traduit en braille pour les malvoyants. Il note aussi que pendant les campagnes électorales, les télévisions ne proposent pas toujours des interprètes en langage des signes pour permettre aux sourds-muets d’accéder aux informations. «Ce sont là des obstacles à une participation pleine de la personne handicapée à la politique que le projet se propose d’améliorer par un changement de la réglementation.» Et la première grande victoire de ce projet demeure le statut d’observatoire accordé à la Fsaph. Maintenant, «des personnes handicapées peuvent observer et mesurer l’accessibilité des lieux ou bureaux de vote des handicapées», se réjouit Yatma Fall.
La Fsaph, consciente ainsi de sa force et de l’état d’esprit qui anime les personnes handicapées de plus en plus intéressées par la chose politique, a trouvé nécessaire de changer de paradigme. Elle déroule un projet de participation politique et citoyenne des personnes handicapées en partenariat avec Sightsavers. Ce projet est dans sa deuxième phase de mise en œuvre, après une première phase pilote en 2017. Il intervient dans 4 communes : Pikine-Est et Nord, à Dakar, la commune de Kaolack, Louga et Kaffrine avec un budget d’environ 385 millions de francs Cfa durant les 5 ans du projet. La Fsaph, maîtresse d’œuvre du projet, axe ses interventions autour de la participation citoyenne et politique de la personne handicapée. Elle s’appuie sur la convention internationale sur les droits des personnes handicapées, notamment en son article 29, que le Sénégal a ratifiée et qui stipule que les personnes handicapées sont des citoyens et en tant que tel, elles doivent apporter leur contribution dans la construction de leur pays.
Yatma Fall est également conforté par le nombre assez important de cette frange de la population. L’Oms l’a estimé à 15% de la population générale. Et pour le président de la Fsaph, le pays ne peut pas bâtir une émergence en mettant de côté toute cette population. Par conséquent, plaide-t-il, «il faut, conformément aux lois, règlements et conventions, que les conditions puissent être réunies pour que ces personnes puissent jouir de tous leurs droits».
Dans le cadre de ce projet, la Fsaph s’appuie donc sur l’éducation aux droits humains, l’information et la sensibilisation. Elle met l’accent sur les personnes handicapées d’abord. «On leur explique le rôle qu’elles peuvent jouer dans le développement de leur pays. Elles commencent d’ailleurs à en être conscientes. Elles sont de plus en plus présentes sur les listes d’investiture, surtout lors des dernières élections locales où elles ont enregistré beaucoup de conseillers municipaux», informe le président de la Fsaph.
Les responsables du projet sensibilisent aussi les autorités et portent le plaidoyer. Et c’est là qu’intervient l’Ong Sightsavers. Elle offre à la Fsaph un appui technique, notamment dans les orientations du projet pour l’atteinte des objectifs et le plaidoyer. «Nous sommes en train, à travers des stratégies, de faire des plaidoyers auprès des autorités étatiques, des populations à la base, des Collectivités locales. Ce sont des stratégies que nous développons et que la Fsaph met en œuvre pour amener les autorités à soutenir le projet. Et au-delà du soutien, d’arriver à ce qu’on ait une participation et une présence effective des personnes handicapées dans les instances électives au niveau des Collectivités locales, de l’Assemblée nationale, d’ici 2021, qu’on ait une masse critique de personnes handicapées au-devant des instances de décision, aussi bien des hommes que des femmes», plaide Khady Ba, chargée des programmes à Sightsavers.
Et que fait l’Etat dans tout cela ? De l’avis de Moussa Thiaré, l’Etat a montré sa bonne volonté. En témoigne, note le point focal national, la Convention sur les droits des handicapés, ratifiée par notre pays. M. Thiaré évoque aussi la loi d’orientation sociale et l’Acte 3 de la décentralisation. Des textes réglementaires qui stipulent dans leurs clauses cette participation politique effective des personnes handicapées.
Mais cette bonne volonté ne se traduit pas dans l’application des textes. M. Thiaré cite l’exemple de la Loi d’orientation sociale qui, selon lui, est méconnue des décideurs, notamment au niveau local et en l’occurrence par les maires et les administrations locales. Aussi relève-t-il «le langage et la perception chez les décideurs locaux qui ont tendance à présenter la question de l’inclusion et de la participation politique comme un problème humanitaire et un devoir de solidarité du maire avec un groupe social vulnérable. Il s’y ajoute la ‘’rigidité de la nomenclature budgétaire’’» des collectivités qui ne permet pas un ciblage clair les dépenses en faveur des Ph.
Khady Ba parle d’une méconnaissance des textes, notamment chez certaines personnes handicapées qui ne connaissent pas leurs droits. «Nous identifions les obstacles à la réalisation de ces droits pour ensuite organiser des sessions de formation pour renforcer la capacité des personnes handicapées à bien connaître la loi et à défendre leurs propres intérêts et nous faisons en sorte qu’elles les portent elles-mêmes.»

Le volet économique du projet
Le projet n’est pas que participation politique de la personne handicapée. Il a un volet économique, l’objectif étant de changer de paradigme, de changer en fait la mentalité de la personne handicapée. «Des études ont montré que les personnes handicapées sont les plus exposées à la pauvreté, peu instruites et peu formées», renseigne la chargée des programmes de Sightsavers. Ce qui fait qu’elles n’ont qu’une seule alternative : la mendicité. Or, souligne-t-elle, cette situation peut être changée. Le projet ne met pas à la disposition des personnes handicapées des revenus directs pour financer des activités génératrices de revenus mais, explique Mme Ba, il travaille à leur faire comprendre qu’en tant qu’êtres humains doués de capacités, elles peuvent exister en dehors de la mendicité. «Ce que nous appelons la théorie de changement», note-t-elle.
Cette théorie développe trois approches. L’approche Droits humains, basée sur le respect des droits de la personne handicapée. Il y a aussi le changement de comportement à travers la formation en leadership transformationnel et le renforcement de capacités. «Nous avons une série d’activités qui abordent ce volet économique. Un premier pour renforcer la capacité des personnes handicapées, qu’elles puissent prendre en charge leurs besoins, leurs revendications en recevant une formation en leadership, en négociation, en communication et en plaidoyer», indique M. Thiaré. Des activités ont été menées en ce sens dans les zones d’intervention du projet, des sessions de formation sur plusieurs thématiques pour permettre à ces personnes de connaître leurs droits, d’être capables de mettre en place des stratégies de développement. A Kaffrine, renseigne Gora Mbaye, point focal de la commune, des personnes handicapées ont été formées sur le texte législatif et réglementaire sur le droit des handicapés, mais également des valides et des leaders d’opinion.
Mieux, raconte toujours le point focal de Kaffrine, depuis le début du projet, la mairie de Kaffrine implique les leaders des associations de personnes handicapées lors des débats d’orientation budgétaire. «Nous avons proposé 5 personnes handicapées dans les différentes commissions pour être au fait des décisions prises au niveau du Conseil municipal. Louga n’est pas en reste. A terme, nous voudrions former 300 hommes et femmes handicapés sur les questions de droits humains, de participation politique et nous en avons formé la moitié dans les zones concernées par ce projet», soutient M. Fall. Ces mêmes activités ont également eu lieu à Louga, Kaolack et Pikine.
Pour Moussa Thiaré, il s’agira également d’éliminer la stigmatisation et la discrimination. Cela passe par des réformes. «Nous avons le Code du travail qui n’est pas très inclusif parce qu’il y a des aspects qui ne permettent pas à la personne handicapée de jouir pleinement de ses droits.»
Commentant l’actualité récente avec cette dame handicapée qui avait été violentée par un Asp, M. Thiaré soutient que cela leur laisse un goût d’inachevé. Aussi, fait-il savoir que cet incident leur met la pression dans la mesure où cela «témoigne de la nécessité de mieux articuler les activités de promotion en faveur des droits des personnes handicapées en mettant l’accent sur la sensibilisation». Pour lui, ce projet est un livre ouvert et il n’est pas encore terminé. «Cette vidéo du 8 juin est une preuve tangible de la méconnaissance du handicap par certaines personnes», clame-t-il. Il exhorte l’Etat à mettre en place des projets comme celui-ci et renforcer l’éducation inclusive. «Elle seule pourra permettre aux handicapés de se former, d’espérer avoir un emploi, d’en bénéficier ou d’avoir la possibilité d’accéder à des projets. Nous avons espoir qu’avec la mise en œuvre de ce projet, à terme, nous allons changer pas mal de choses», croit-il. Certes le changement d’attitude est difficile, mais le contexte est favorable, relève Khady Ba. «Ce projet va se dérouler jusqu’en 2021 avec la volonté de toutes les parties prenantes. Nous essayons de contourner les difficultés.»