L’audit des finances publi­ques et de l’endettement du Sénégal n’a pas encore rendu son verdict utile. Il devrait être repris et fait dans un esprit constructif, avec des objectifs constructifs, pour répondre à la question de fond :
Comment avons-nous dépensé les ressources tirées de l’endettement public ?
La réponse à cette question devrait nous donner une idée plus claire sur l’utilité de cet endettement, sa destination, son efficacité, les montants dépensés et, en dernier lieu, malgré son poids relatif par rapport au Pib, comment il a contribué au développement économique du Sénégal de 2000 à 2024 ?

Il faut cependant se demander si l’Administration est capable de produire les données nécessaires. Le cas échéant, il faudrait mandater une commission et des cabinets pour faire ce travail d’évaluation.

La nouvelle Assemblée nationale, qui cherche à assumer sa mission d’évaluation, a l’occasion de se positionner sur cette question, en laissant cependant des cabinets indépendants faire l’audit objectif sous sa coordination et l’assistance de l’Ansd et la Dpee pour leur faciliter l’accès aux données de base.

Mieux, ce serait l’occasion pour les nouveaux élus de se familiariser avec les politiques publiques passées, les finances publiques, les mécanismes de mise en œuvre des programmes et projets, les indicateurs de suivi des dépenses et objectifs assignés aux plans, départements, projets/programmes.

Une Assemblée nationale majoritairement constituée de néophytes en matière de politiques publiques serait bien servie par un travail éclairé de diagnostic et de reconstitution de nos choix et trajectoire, causes de nos acquis et échecs, hors du prisme simpliste que le discours politicien en donne toujours.

Si les nouveaux élus ont l’ambition de jouer leur rôle comme alter ego institutionnel de l’Exécutif, ils doivent cultiver leur capacité de jugement et leur mémoire économique des faits et réalités du terrain.

C’est d’ailleurs l’occasion de plaider pour le renforcement continu et obligatoire des parlementaires durant leur présence au Parlement. Ils doivent tous participer à un programme continu et obligatoire de séminaires, ateliers qui touchent tous les aspects de la vie publique, afin de les outiller avec les connaissances scientifiques.

Les informations qu’ils reçoivent des passages des ministres à l’Hémicycle, les propositions de loi et les lois de finances ne suffisent pas à apprécier leur portée.

S’il est anti-démocratique de filtrer les députés sur la base de leur profil académique, il est cependant utile pour tout député de renforcer ses capacités. En matière de gestion de l’Etat, il y a toujours à apprendre dans les divers domaines sectoriels publics.

Pour revenir au débat sur l’endettement qui a connu une intonation politique, accusatoire et acide, il faut revisiter la question et essayer d’en tirer un fil conducteur vers son usage et les conditionnalités nécessaires à en faire une ressource financière maîtrisée au service de nos objectifs de souveraineté.
Nous devons nous poser un certain nombre de questions et y répondre de manière assez claire et nette

Apprécier le niveau de notre endettement et son poids relatif dans l’économie nationale ne saurait se faire sans mettre sur la balance l’apport de cet endettement sur l’essor de notre économie. Pouvions-nous nous passer de cet endettement ? Etait-il nécessaire ?

Quel a été l’impact de cet endettement sur notre croissance économique ? L’avons-nous investi ou plutôt dépensé de manière cachée dans le fonctionnement, les subventions et inefficacités internes ?

Ces emprunts nous ont-ils coûté trop cher ? Avions-nous des alternatives moins coûteuses et accessibles ? Avons-nous trop emprunté ?

Avons-nous emprunté à un rythme excessif par rapport à notre capacité de remboursement ?

Quel était le bon taux d’endettement par rapport à la croissance de notre Pib ? Etait-il possible de le limiter et contenir face aux déficits en infrastructures ?
Quel aurait été l’impact d’un programme d’endettement et d’investissement plus réduit sur le Pib ?

Notre modèle économique permet-il de se passer de l’endettement comme principal levier de financement des investissements publics ? Le secteur privé peut-il croître sans cet endettement ? Quelles stratégies alternatives auraient permis de réduire le poids de la dette dans notre économie ?

Avons-nous été exagérément sanctionnés par les marchés financiers et organismes de notation ?

Sommes-nous victimes d’une perception de risque négative des organismes mondiaux de cotation ?

Quels rôles les partenaires ont joués dans la constitution de cet endettement ?
Quel rôle voudrions-nous leur faire jouer en matière de financement de notre économie ? A quelles conditions ?

Pouvons-nous exiger ces conditions ? Sont-ils prêts à nous accompagner vers une stratégie de souveraineté ?

Quelle stratégie de souveraineté et d’endettement devrions-nous avoir pour les 20 prochaines années ?

Devons-nous fixer un calendrier de souveraineté monétaire et le faire savoir à tous les partenaires ? Nous dispensera-t-elle d’un endettement extérieur tel que vécu durant ces 20 dernières années ?

Quels avantages en tirerons-nous sur l’autonomie budgétaire de l’Etat ? Sur le financement des investissements publics ? Sur le financement du secteur privé national ?  Sur le financement des ménages ? Quels inconvénients devrons-nous supporter avec une monnaie flexible face aux autres ?

Quels aménagements aurons-nous avec les pays frères de la Bceao ? Avec les autres pays du monde ?

Quel impact ce changement monétaire aura-t-il sur le commerce intérieur ? Sur les importations ? Les exportations ? La balance commerciale ? Sur les capacités de création de richesses ? Et sur l’emploi ?

Comment faire de la souveraineté monétaire un levier de transformation de l’économie nationale ?

Comment faire que la souveraineté monétaire élargisse et approfondisse notre système financier et bancaire ? Quel sera l’impact de ce changement sur l’inflation ? Le déficit public ? Le crédit intérieur ?  Notre Pib ?

Y répondre, c4est penser et éclairer les choix à faire à court, moyen, long termes.
Il faut transformer le débat sur les finances publiques et l’endettement du Sénégal en un débat de crise de transformation pour passer d’un système à un autre, après avoir fait le bilan des acquis, avantages et inconvénients du système actuel de financement de notre économie.

Les finances publiques ne sont d’ailleurs qu’une partie de l’équation, puisque le financement du secteur privé présente aussi une autre équation encore plus complexe. Il faut ajouter à ces deux poumons de la production, celui des ménages dont la capacité de consommation est le réel déterminant de l’offre.
Comment augmenter le pouvoir d’achat des Sénégalais ? Comment favoriser la distribution économique des richesses nationales pour impacter le maximum de Sénégalais, sinon tous les Sénégalais, sans exception ?
Il faut être en mesure de répondre à toutes ces questions avec assurance et certitude pour pouvoir orienter notre économie.

Il faut réinitialiser, recharger et redéfinir les termes du débat économique en une perspective de transformation, en partant d’un audit de la crise supposée sur l’endettement et l’économie nationale afin de donner du sens et une direction à la production d’idées et stratégies futures à mettre en œuvre.
Une crise ne survient jamais par hasard. C’est le bon moment pour articuler des stratégies de sortie.

Les dirigeants de notre pays ont l’habitude de convenir de dialogues politiques à tout-va pour discuter en dehors de l’Assemblée nationale, avec les différents acteurs politiques afin d’articuler un consensus.

Il est étonnant que sur le volet économique, domaine qui est le plus important pour les citoyens et le pouvoir, ce domaine soit toujours et exclusivement celui des chefs de l’Exécutif qui ne daignent jamais soumettre leurs orientations à l’appréciation des autres acteurs économiques, universitaires, cabinets indépendants, camps politiques, la Société civile, les syndicats.

Ce serait d’ailleurs tout à leur avantage. Sitôt leur document de vision économique présenté aux différents partenaires et à la population, ils se renferment dans leurs stratégies de mobilisation financière, comme des chevaux de course débridés.

A défaut de tout maîtriser, il faut quand même apprendre des échecs des autres et éviter le bis repetita.

L’économie nationale et les politiques publiques ne sont pas des chasses gardées opaques, encore moins les stratégies de souveraineté qui doivent forger le consensus de tous les acteurs publics.

La priorité n’est pas de voir comment réformer ou déléguer des pouvoirs à la Primature pour tailler un costume institutionnel sur mesure à un Premier ministre dont on voudrait nous faire croire qu’il manque de pouvoirs pour agir. Personne ne croit qu’il soit entravé dans ses actions par un manque de pouvoirs. Il a l’avantage d’avoir un président de la République entièrement acquis à sa cause pour avoir des freins. Il est même trop bien servi par un président de la République qui s’efface volontairement pour lui.

S’il a besoin de pouvoirs présidentiels, il faudrait tout simplement qu’il migre comme ministre chargé des affaires présidentielles, à l’image de l’ancien ministre à ce poste, Ousmane Tanor Dieng, sous Diouf. Dans cette position, l’actuel Pm et le président de la République formeront un duo «Diomaye moy Sonko». Ils prendront ensemble les décisions au somment de l’Etat, comme des frères siamois indifférenciés.

Ce sera d’ailleurs une excellente occasion de confier la Primature à un nouveau Premier ministre moins politique, moins polarisant, plus expérimenté dans la coordination de l’action gouvernementale, capable de mettre en œuvre une nouvelle approche plus apaisée.

L’actuel Pm, pour différentes raisons qui tiennent autant à son caractère qu’à son parcours, est devenu un facteur grippant de la machine économique, peut-être malgré lui, signe de son inexpérience à ce poste. Il doit quitter ce poste de Pm.

Cette migration du poste de Pm vers la Présidence n’a pas besoin de dialogue politique, ni de réformes.

Par contre, ce qui n’est pas encore clair et menace notre économie, c’est l’absence de visibilité et de clarté sur les choix économiques que nous devons faire pour avancer sur l’option de souveraineté, soulager les ménages sénégalais qui souffrent d’une économie en berne malgré le taux de croissance de 6, 5% annoncé et relancer l’économie. Il faut sauvegarder les acquis, redonner confiance aux acteurs et susciter un cadre de convergence entre les acteurs économiques, sociaux et politiques pour avancer.

La polarisation radicale, qui est la stratégie d’opposition du régime actuel, doit être laissée à l’opposition.

L’intimidation, les menaces, accusations continues et stratégies de vengeance, ainsi que les passages au forceps de la loi dite d’interprétation sur l’amnistie, sont malheureusement autant d’impairs qui forgent un sentiment de pessimisme quant à la capacité et la volonté de ce régime d’être positif.

Les aspirations au changement demandées par les populations mais comprises par le régime comme une pilule amère à leur faire avaler est une erreur de communication sémantique et très dangereuse.

Ce n’est pas parce que le malade vient à l’hôpital qu’il demande une piqûre ou extraction de ses dents. Certains choix démontrent l’insensibilité et l’irresponsabilité à faire face à cette souffrance du Peuple.

La souffrance n’est pas forcément une composante du changement, et demander le changement n’est pas demander à souffrir.

Elle ne doit surtout pas être exaltée par ceux qui, toute leur vie, ont toujours été dans les privilèges supportés par les populations, à tel point qu’ils ne savent pas ce qu’est la souffrance au quotidien des populations, et devraient faire preuve de plus de modestie et moins de condescendance pour justifier leur incapacité à répondre à leurs fausses promesses de les soulager.

L’humilité du président de la République est un trait positif. Il ne faut rien y changer pour copier l’autre.
Amadou GUEYE
Président Unis