Dans un papier du 25 janvier 2025, je traitais de la question du reniement par Pastef de ses engagements à matérialiser les conclusions des Assises nationales et à donner vie au Pacte national de bonne gouvernance démocratique élaboré par le mouvement «Sursaut Citoyen», initié par Mamadou Lamine Loum, ancien Premier ministre, et Mamadou Ndoye, ancien ministre de l’Alphabé-tisation sous Abdou Diouf, et signé par Diomaye Faye, la veille de la Présidentielle de mars 2024.
En dissolvant les institutions comme le Conseil économique, social et environnemental (Cese) et le Haut-conseil des collectivités territoriales (Hcct), Pastef a consciemment mis un coup d’arrêt à l’approfondissement de la démocratie représentative et participative, l’effaçant tout bonnement de la Constitution. Ce faisant, Pastef a résolument tourné le dos aux conclusions des Assises nationales et de la Commission nationale de réforme des institutions (Cnri), violé le pacte susnommé et acté son choix de recul démocratique. Le pouvoir qualifié de «rupture» par certains esprits peu éclairés a définitivement choisi son option pour un régime réactionnaire césariste, malgré les professions de foi incessantes dans ce domaine.
C’est du reste dans cet esprit d’une rhétorique décalée de la réalité que le projet de Loi de finances (LFI) 2026 indique, concernant la Justice : «Pour la Justice, la qualité de service et l’Etat de Droit, l’objectif est de reconstituer une société fondée sur l’équité, la justice sociale et la bonne gouvernance, dans un Etat de Droit. Ainsi, en 2026, le secteur de la Justice va mettre le curseur sur l’amélioration de l’accès, de la qualité et de l’efficacité des services juridictionnels. Il passera notamment par la réduction de la durée des détentions provisoires, la mise en place du juge des libertés et le renforcement de l’accessibilité de la justice de proximité…» (p.12)
L’examen rapide de cette assertion corrélée au vécu des justiciables sénégalais depuis l’accession de Pastef au pouvoir est un révélateur puissant de la qualité de l’engagement de ce parti, de son rapport à la vérité, de la probité intellectuelle de ses membres. Des reniements, toujours des reniements, sans aucune honte !
L’on se rappelle que, dès sa prise de fonction, le président de la République a convoqué les «Assises de la Justice» dont les conclusions demeurent encore dans les tiroirs poussiéreux de son cabinet. Non seulement sa présence au sein du Conseil supérieur de la Magistrature a été maintenue contre toute attente et en rupture avec les engagements de son parti, mais tout le dispositif relatif au renforcement et à la protection des droits et libertés fondamentaux des citoyens est quotidiennement écrasé par des pratiques d’un autre âge.
Sous le mot d’ordre de son Premier ministre, Ousmane Sonko, l’opération d’effacement des chroniqueurs, journalistes et autres citoyens critiques a été déclenchée, et de manière cynique et systématique, contre les Ameth Ndoye, Ardo Gningue, Bah Diakhaté, Moustapha Diakha-té, Abdou Nguer, Badara Gadiaga, Bachir Fofana, etc., arrêtés et mis au cachot pendant de longs mois, sans les entendre sur le fond.
De même, la traque annoncée et programmée d’anciens dignitaires du régime précédent, et autres alliés, Farba Ngom, Tahirou Sarr, Lat Diop, Aliou Sall, Moustapha Diop, Ndèye Saly Diop, Sophie Gladima Siby, Mansour Faye, Ismaïla Madior Fall, etc., a été exécutée de manière systémique, avec l’arrestation et la mise en détention arbitraire malgré la vacuité de leurs dossiers respectifs.
Parmi les cas les plus révoltants, tous le sont, celui de Farba Ngom revêt un caractère particulièrement dramatique. Accusé de blanchiment d’argent provenant du Trésor public (comme pour T. Sarr), il est gardé en prison depuis 9 mois sans être interrogé sur le fond (cf. Conférence de presse de ses avocats, le 12 octobre 2025). Son état de santé a fait l’objet d’une expertise et d’une contre-expertise décidée par le juge. Le rendu de tous ces examens établit de manière irréfutable l’incompatibilité de sa santé avec son maintien en milieu carcéral. Mais le Procureur refuse de le libérer. Il y a quelque chose d’inhumain dans le traitement de cette affaire ! La traque de Madiambal Diagne ayant abouti à la prise d’otage de toute sa famille est de la même veine. Elle rappelle étrangement les sombres moments vécus par les populations africaines sous domination coloniale et celles du Chili sous Pinochet.
Pourtant, la Cnri avait bien indiqué la nécessité de protéger et renforcer les libertés fondamentales par «l’institution d’un juge des libertés, chargé de statuer dans les meilleurs délais sur les actes suspectés d’illégalité ou d’atteinte aux libertés fondamentales…» (cf. Rapport Cnri, p.26), tout en demandant la suppression de «l’alinéa 1 de l’article 80 du Code pénal et, par ailleurs, de rendre au juge d’instruction son pouvoir d’appréciation de l’opportunité de décerner ou non un mandat de dépôt, quelle que soit l’infraction» (cf. Rapport Cnri, op.cit.p.26). Cet alinéa punit «les autres manœuvres et actes de nature à compromettre la sécurité publique ou à occasionner des troubles politiques graves, à enfreindre les lois (…) seront punis d’un emprisonnement de trois ans au moins et de cinq ans au plus, et d’une amende de 100 000 à 1 500 000 francs…» (cf. Cp édition 2022, p.52).
Mais le plus cocasse dans tout ça, c’est que, lors du Dialogue national appelé en juin 2025 par le Président Diomaye, son camp, Pastef, a radicalement rejeté ces préconisations qu’ils ont toujours brandies quand ils étaient dans l’opposition. Nul besoin de rappeler ici les propos tonitruants de son Premier ministre, qui, une décennie durant, a fustigé l’article 80 du Code pénal. Lui «moom», il a l’art de se dédire tout le temps, malgré les «Var» qui lui rappellent au quotidien ses déclarations d’hier.
En vérité, cette cabale contre les anciens du régime de Macky Sall est de la même veine que la scandaleuse politique déployée contre la presse dont les organes indépendants ont été attaqués de manière cynique, selon un plan bien conçu d’étouffement économique et financier assorti de mesures administratives des plus abjectes. Et cela, en violation de tous les droits acquis de haute lutte par cette corporation et inscrits noir sur blanc dans le Code de la presse. Les dernières attaques contre la 7Tv de Maïmouna Ndour Faye et la Rfm de Babacar Fall suffisent à disqualifier le régime Pastef comme un régime démocratique.
Nous sommes, en vérité, confrontés à un régime autoritaire qui travaille à devenir dictatorial, avec la complicité d’intellectuels théoriciens de l’absurde «révolution» dont serait porteur ce parti attrape-tout qui a du mal à se forger un projet cohérent de développement humain, rien que ça ! Mais l’histoire de Hitler, Mussolini et autres fascistes nous apprend que des intellectuels douteux ont toujours été à la solde de la barbarie.
Quand des hommes et des femmes échouent à mettre l’humain au centre de leurs préoccupations, quand ils peinent à promouvoir les valeurs positives de la société, il faut désespérer de les voir poser des actes qui construisent l’humain, la générosité et la paix. Les licenciements-remplacements de plus de 30 000 agents de l’Etat et la suspension de bourses familiales pour plus de 350 000 ménages, entre autres, suffisent à convaincre de la cruauté d’un tel régime !
Rappelons qu’au chapitre de la protection et de la promotion des valeurs positives de notre société, la Cnri estime que «démocratie ne doit rimer ni avec anarchie ni avec défiance de l’autorité, incivisme et indiscipline caractérisés, chantages, menaces ou offenses aux institutions qui incarnent le pouvoir» (cf. Rapport Cnri, p.28). Or, dans notre pays, on assiste à un phénomène d’une singularité toute sénégalaise.
En effet, ici, c’est plutôt le Premier ministre qui défie publiquement l’autorité du président de la République, qui fait preuve d’incivisme caractérisé, en proférant des menaces et accusations publiques à l’encontre de ministres et autres collaborateurs du chef de l’Etat. C’est encore lui qui a traité la Société civile de vermine, l’opposition de détritus, les magistrats de corrompus, etc. Ni la police, ni la gendarmerie, encore moins l’Armée, n’ont été épargnées. Et son indécence outrageuse ne date pas d’aujourd’hui !
Au surplus, n’est-ce pas lui-même qui a fustigé le manque d’autorité de son Président, Bassirou Diomaye Faye, avant de dénoncer publiquement son manque de courage politique, y associant son hôte, le Président de la Guinée Bissau, en présence de ce dernier et d’autres chefs de gouvernement étrangers ? Peut-il y avoir d’offense plus excessive que celle-là ?
Ces gens-là sont à mille et une lieues de l’esprit de la Cnri, qui rappelle que «l’éthique, valeur cardinale de notre société, doit constituer la norme structurante du fonctionnement de toutes les institutions et de l’Administration, de la gestion du patrimoine public et du rapport à la nature. Les dirigeants doivent faire montre de courtoisie dans leurs rapports avec les administrés, d’humilité et de transparence dans leurs actions de tous les jours» (cf. Rapport Cnri, p.29). Ces gens-là devraient effacer le mot «éthique» du nom de leur parti !
A quels autres reniements nous rendra le nouveau pouvoir de Pastef ? «Yàlla rekk a xam !» (Dieu seul sait !).
Réew dañ koy péncoo, kenn du ko pàccoo !
El Hadji Momar SAMBE
Ancien ministre
SG du Rta-S/Péncoo Réew