Les nouvelles autorités ont de sérieux problèmes -ou des comptes à régler- avec la presse. Elles ont jeté le signal dès leur arrivée : pression fiscale suffocante, blocage des comptes bancaires de certaines maisons de presse, menaces, campagnes de dénigrement contre certains journalistes et patrons de presse, etc.
Cette presse, qui les a pourtant portées au pouvoir, est aujourd’hui contre la République, contre la Nation, contre le Peuple. Une menace. Il faut donc trouver des stratagèmes pour l’abattre, pour qu’elle ne profane pas la nouvelle orthodoxie.
Le ministre de la Communication qui communique mal, véritable calamité, dans une déclaration honteuse pour une démocratie, a fait sa sélection (si on peut l’appeler ainsi), et a déclamé les médias reconnus -j’allais dire acceptés- par l’Etat du Sénégal. Celui-ci, dans sa manifeste mission de torpiller une bonne partie de la presse, ne se fixe plus de limite, n’a plus honte dans ses agissements. Il bascule dans l’arbitraire, dans le ridicule.
Après l’asphyxie fiscale -encore loin de là l’idée d’insinuer que la presse doit être dispensée de s’acquitter de ses devoirs envers l’impôt-, maintenant, c’est le statut de «média reconnu» qui est brandi pour stigmatiser et affaiblir ceux qui ont le malheur ne pas être reconnus, car inflexibles et incorruptibles comme des indomptables. Est donc un média valable celui qui a eu l’approbation des nouveaux princes.
A la stupéfaction générale, car tous ceux qui sont de bonne foi n’ont pas compris, les renégats de la nouvelle religion qu’est Pastef, iconoclastes et bohèmes -Sen Tv, 7Tv et Le Quotidien- sont purement et simplement recalés, congédiés. Il faut trouver un moyen pour les museler, les faire taire.
Le Quotidien, en particulier, hante le régime. Le faire disparaître, c’est le rêve ultime de Pastef. Depuis longtemps, et sans raison, l’on a véhiculé la fausse idée selon laquelle ce média est stipendié, affilié à des groupuscules politiques. C’est cette rhétorique mensongère qui a été inoculée dans l’imaginaire collectif de Pastef. Au pouvoir, maintenant, l’objectif est évident : éradiquer ce périodique.
Même son de cloche pour 7Tv. C’est la même démarche de diabolisation sans motif. Maïmouna Ndour Faye, elle aussi, est une figure médiatique à conjurer -conjurer parce qu’elle représente pour eux, suivant leur vision manichéenne du monde, le mal absolu.
Mais que l’on ne s’y trompe pas : une certaine presse, celle qui n’est pas acceptée et reconnue, va continuer d’exister malgré tout, malgré le désir ardent d’inhibition des nouveaux décideurs au sommet de la République.
Pastef veut, et cela saute aux yeux, trier, sélectionner les médias qui accompagneront notre démocratie. Le «toilettage» dont il s’agit ici est une forme d’extermination de certaines voix médiatiques dissonantes. Comme une machine totalitaire, la pensée, chez ces gens-là, ne se conjugue qu’au singulier. Ceux qui ont le malheur -et le toupet- de la conjuguer au pluriel seront tout simplement vitrifiés.
Même informalisées, ces lignes éditoriales, apparemment pestiférées, vont continuer d’exister, de paraître du lundi au samedi -dimanche pour certaines. Il ne faut pas se fatiguer à trouver des subterfuges et arguties pour les phagocyter. C’est peine perdue. Il n’y a pas, dans ce pays, un pouvoir capable d’uniformiser la presse, de faire d’elle une horde de béni-oui-oui.
Pastef doit œuvrer, et dans son intérêt, à ce que les opinions qui lui sont défavorables soient exprimées. L’Etat pastéfien, car l’Etat est géré suivant les méthodes et la pensée de Pastef, gagnera mieux à laisser la presse, quelle que soit l’orientation de ses lignes éditoriales, à s’exprimer librement dans la responsabilité. Ces magouilles ne font que ternir l’image de notre démocratie. Et ce n’est pas à leur gloire.
Il faut se rappeler, en dernière instance, que la majeure partie des Etats, quels que soient leurs régimes politiques, ont ceci en commun : la honte. Même les Etats autocratiques, par pudeur, se parent d’attributs démocratiques, et évitent, un tant soit peu, de se salir les mains dans des combats peu ou prou légitimes. A plus forte raison pour une démocratie comme la nôtre.
Post-Scriptum : Alors que j’écrivais ces lignes, j’ai appris, le cœur lourd, que Madiambal Diagne a été convoqué à la police, suite à une plainte de Ousmane Sonko. Celui-ci n’a qu’une seule obsession : se venger (se venger de quoi d’ailleurs ?) contre le journaliste -ou l’homme politique.
Nos pensées l’accompagnent. Qu’il tienne bon, comme d’habitude. Ces manœuvres n’auront jamais raison sur le grand Sénégalais qu’il est. Lui qui doit impérativement reprendre la parole.
Baba DIENG – diengbaba@icloud.com