Pastef récompense ses gladiateurs

Il fut un temps où, au Sénégal, il était beaucoup plus facile de croiser un juif nazi que de voir le Premier ministre, loquace et belligérant d’habitude, se présenter à l’Assemblée nationale pour faire sa Déclaration de politique générale. D’innombrables subterfuges ont été dénichés pour se tirer d’affaire. En réalité, le Pmos avait la trouille d’aller confronter les députés de l’ancienne Assemblée.
Les électeurs sénégalais, par le truchement des Législatives, lui ont donné blanc-seing, avec des députés à perte de vue. Devant ceux-ci, si dociles et thuriféraires, enfin, il déclame les grandes lignes -vœux pieux, diront les esprits peu orthodoxes- qui devront extirper ce pays des carcans de la pauvreté et du surendettement.
Le Premier ministre qui bénéficie de la «confiance absolue» de son chef s’est livré à son jeu de prédilection : fouetter, avec son fouet traditionnel de combattant, ses adversaires. C’était l’occasion, encore une fois, de savourer sa victoire sur le tyran Macky Sall, de régler des comptes avec ses prédécesseurs plus que jamais pestiférés – ces futurs occupants des prisons à venir, celles annoncées par le ministre de la Justice.
Monsieur le ministre, ces prisons, c’est pour nous. Pas pour vos enfants !
La Haute cour de Justice a été brandie comme la menace ultime. J’imagine que Macky et ses congénères, ceux qui auraient tué quatre-vingts de nos concitoyens, sont en file indienne chez les vendeurs de gris-gris comme Bara Ndiaye, devenu une grande figure parlementaire, grâce à la libéralité du Pmos. Ils ont intérêt. Les geôles annoncées par le ministère de la Justice, qui sortiront de terre sous peu, seront leur dernière demeure ; ils vont s’y putréfier comme des cafards.
C’est ça aussi la rupture : cibler et traquer des gens jusque dans leurs toilettes. Le «projet» est en marche. A côté des grandes urgences du pays -l’éducation, l’agriculture, la santé, les prix exorbitants des denrées alimentaires, que sais-je encore-, Pastef semble se préoccuper des petites urgences : se venger contre ses ennemis d’hier ayant commis des péchés inexpiables. Même les généraux de l’Armée ne seront pas épargnés.
Le tout de ces jours fastes pour Pastef et ses croyants a été couronné par une autre bonne nouvelle : une enveloppe de 5 milliards de nos pauvres francs Cfa sera décaissée pour, tenez-vous bien, indemniser les victimes et les ex-détenus.
Entendons-nous bien : les honnêtes citoyens qui ont été arbitrairement emprisonnés et mutilés méritent d’être indemnisés. C’est à eux que la République, qui leur a causé du tort, doit quelque chose. Pas aux vandales. Ceux qui avaient incendié certaines maisons des infidèles de leur religion ; ceux qui avaient pillé Auchan et les magasins de braves Sénégalais…
Par victimes et ex-détenus politiques, hélas, Pastef entend ceux qui se sont battus pour le «Projet», ceux qui se sont transformés en gladiateurs pour croupir sous les balles impitoyables des cerbères de Macky. Ceux qui étaient, pour au moins une décennie, dans le maquis, ayant pour ambition de torpiller les soubassements de la République.
Les belligérants contre notre modèle républicain seront, à la mesure de leurs actes de vandalisme, récompensés à coups de millions. C’est le triomphe des émeutiers. Il semble que leurs commanditaires d’hier ont un devoir de reconnaissance envers eux… Aliou Ndao, devenu un faire-valoir de Pastef après avoir servi l’ancien sanguinaire devenu errant, s’est indigné à cause de la modicité de la somme. Il estime que les balles reçues doivent rapporter plus de sous. Ces jeunes, pillards-incendiaires, sont à féliciter avec les mallettes de Omar Bongo aux hommes politiques français. Euh, je dramatise.
Il semble que l’argent viendra diviser ces coreligionnaires si soudés. Ils s’appellent, entre eux, «patriote». Depuis quelque temps, des anciens combattants, frustrés de ne pas avoir reçu leur butin de guerre -oui, ils étaient en guerre contre Macky !-, se sont levés pour taper sur la table : «Notre argent !»
Ils réclament, eux aussi, d’être récompensés. Ils se sont livrés à un «mortal kombat», après tout. Quoi donc de plus normal de les inonder de liasses de billets de banque. Surtout que d’autres ont reçu leur part dans des conditions clandestines et scandaleuses.
Si des gens ont saccagé ce pays sans que les braises de la Justice consument leurs entrailles, il faut s’attendre à ce que d’autres leur emboîtent le pas, demain. C’est toujours la politique qui prend le dessus, qui est le mobile des crimes jamais punis. Et c’est regrettable.
J’avais oublié que c’est désormais, dans ce pays, la loi des vainqueurs. Ceux-ci ont tous les droits, y compris de se partager nos maigres ressources. Les vaincus, eux, se tairont ou iront en prison. Il y aura suffisamment de places, car des prisons, comme annoncé par le ministre de la Justice, nous en aurons à gogo.
Il faut de la patience pour assister à une rupture ; celle-ci, semble-t-il, est renvoyée aux calendes sénégalaises, malgré les grandes promesses du Président Diomaye Faye. Croire au chef ? Pas si facile…
Baba DIENG
diengbaba@icloud.com