Patrimoine – Rapatriement des biens culturels et humains : La réparation financière agitée

Derrière la restitution des biens culturels et du patrimoine africain casés dans les musées européens, certains réclament une réparation financière en compensation du mal causé, mais aussi parce que ces objets pillés ont eu à générer des ressources durant tout le temps qu’ils ont été dans les galeries européennes.Par Khady SONKO –
Le rapatriement des biens culturels et humains, pillés par les colons, a été le thème d’une conférence hier à l’Université Assane Seck de Ziguinchor (Uasz) dans le cadre du Festival des cultures diolas.
Cependant, au-delà du rapatriement des objets d’art, certains réclament une réparation financière en compensation du mal causé, mais aussi parce que ces objets ont généré des ressources durant tout le temps qu’ils ont été exposés dans les musées européens. «Il y a eu la violence coloniale et celle de la traite négrière qui ont été telles qu’elles ont complétement déstructuré nos espaces communautaires d’origine, nos systèmes de représentation. Il faut d’une manière ou d’une autre réparer cela», développe Adama Diouf, universitaire qui se considère comme un simple citoyen. Ce participant argumente sa conception d’une réparation financière. «On ne peut pas simplement déterminer la réparation à partir d’une valeur monétaire ou financière. Mais cette valeur monétaire, nous la voyons être mise en œuvre dans le marché de l’art. Les objets d’art n’ont pas de prix, mais il y a un marché de l’art où des objets acquièrent une valeur monétaire très élevée qui participe à leur diffusion, mais aussi à leur donner sens et valeur», a plaidé Adama Diouf qui ne peut pas exclure la réparation financière comme outil de restitution de notre patrimoine. «Quelque part, nous en avons besoin pour fonder des politiques de développement, des politiques culturelles dignes de ce nom. Nous avons besoin de construire des lieux où notre patrimoine sera valorisé et pour cela, nous avons besoin que les Etats héritiers de la domination coloniale soient mis en face de leur mauvaise conscience, de toute la violence qui a été la leur pour que véritablement nous puissions nous-mêmes exister dans le concert des nations», a développé Adama Diouf.
Le conférencier comprend l’argument légitime de Adama Diouf. Toutefois, Felwine Sarr attire l’attention sur le fait que ce qui a été perdu a une valeur qui est au-delà de toutes les sommes d’argent. «Il ne faudrait pas qu’on croit que si on met un coût financier, on peut régler la question, qu’on a payé et c’est fini. Ce que je crains, c’est que une fois que l’on paie, on considère qu’on a remis l’équivalent de la perte et à partir de là, on est quitte», confie M. Sarr. Au-delà du sentiment d’être quitte, il ne souhaite pas que l’économie soit mise au-dessus de toutes les formes de valeur, de toutes les formes d’échanges, puisque pour lui, la dimension économique n’est pas le plus important. «C’est la dimension historique, philosophique, spirituelle, symbolique, culturelle, de production de sens qui a une valeur beaucoup plus grande que les quelques euros que l’on récupérera», dira Felwine Sarr.
Le rapatriement des biens culturels a bien commencé. Le Bénin a réussi à récupérer ses trésors royaux d’Abomey (26 statuettes). Le processus est lancé pour la Côte-d’Ivoire, là où Madagascar a reçu quelques objets. «C’est un processus qui est en cours et il n’y a pas que la France. L’Allemagne a rendu des objets du Bénin, la Belgique est en train de travailler sur la restitution, la question prend de l’ampleur depuis quelques années», informe Felwine Sarr.
Pour le Sénégal, il n’y a que le sabre de El Hadji Omar Tall qui a été restitué. Le pays doit faire une demande beaucoup plus vaste pour récupérer son patrimoine culturel se trouvant chez les anciens colonisateurs. «Le Sénégal a créé une commission qui doit lister un certain nombre d’objets qui se trouvent dans les musées français pour que ces objets reviennent», indique M. Sarr.
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