Par Hamidou ANNE
– Le rassemblement du collectif And Samm Jikko Yi à la place de la Nation et le soutien d’une partie de l’espace public manifesté à Vladimir Poutine dont les chars ont envahi l’Ukraine renvoient à la même triste réalité : la manifestation sous nos yeux de la haine de la démocratie. Nous assistons à ce que le défunt philosophe Pierre Hassner appelait «la revanche des passions».
L’officine néofasciste Jamra et ses alliés, dans leur entreprise de lutte contre les principes de la démocratie et l’exercice des libertés publiques, me rappellent les ligues extrémistes qui s’organisaient contre la république dans l’Europe des années 30. Leur dessein inavoué est l’installation d’un régime de terreur islamiste réfractaire à toute opinion contraire à leurs idées rances. Ils reçoivent le soutien d’hommes politiques irresponsables, souvent des parlementaires et des maires dont l’agenda, en plus d’être nourri par l’aigreur et la haine crypto-personnelle, est la défiance vis-à-vis des institutions républicaines.
L’homosexualité n’est que prétexte pour les bigots d’And Samm Jikko Yi, ce qui les intéresse au fond est la remise en cause de la laïcité républicaine pour implanter la charia. Ils opèrent par l’imposition de la tyrannie à travers la peur, la manipulation et la désinformation.
De manière logique, ces intégristes ont reçu une oreille attentive auprès d’une partie de la classe politique, notamment de politiciens qui ne reculent devant aucune outrance pour arriver au pouvoir, au risque de tolérer la chute de ceux qui l’exercent aujourd’hui par quelque manière non démocratique. Nous sommes face à des putschistes en puissance. L’alliance entre extrémistes religieux et extrémistes politiques est normale, ils partagent la même aversion pour le débat démocratique. Leur offensive coordonnée au sein du Parlement, auprès des médias et dans la rue m’attriste et m’inquiète. Par opportunisme, des maires et des députés se mettent, tels des mercenaires, à la solde d’idées rétrogrades qui promeuvent le chaos.
Ils ont en commun la haine de la démocratie, de la république et du fonctionnement normal d’institutions certes imparfaites, mais qui sont notre rempart face aux menaces intérieures et extérieures.
Le Sénégal vit ce que toutes les autres parties du monde expérimentent : une haine de la démocratie qui s’exprime tous les jours de manière plus bruyante et plus sotte. La démocratie vit des jours difficiles. Les effets pervers de la mondialisation dans l’économie et au plan culturel sur des millions de gens sont utilisés pour inciter à la remise en cause d’un système de valeurs qui est le meilleur garant face à la tentation à l’absolutisme. La démocratie est la cible de deux menaces majeures. L’une, issue de la gauche, s’en prend au système représentatif, récuse les normes, exige davantage de délibération afin d’ériger un rapport direct entre les élus et les citoyens. Ceci n’est pas la démocratie, mais le désordre. L’autre versant de la défiance démocratique est la critique formulée par la droite, qui véhicule une tentation à l’autoritarisme, un fantasme du leader charismatique qui écrase tout, les citoyens et les institutions, au nom de l’efficacité, qui primerait sur la sacralité de la liberté. On serait, le cas échéant, sous la dictature. Il est courant de voir célébrés dans notre pays les «modèles» russe et chinois par ceux-là qui éructent tous les jours dans les médias et dans les rues sur une prétendue dictature au Sénégal.
Dans notre pays, un parlementaire, un coordonnateur d’un organe de la Société civile censé promouvoir la bonne gouvernance, et de nombreux journalistes sur les plateaux des talk-shows du vendredi soir, saluent l’invasion d’un pays souverain. Leur argument ? Cette haine puérile de l’Occident, plus particulièrement de la France (on y revient toujours !) qui est devenue une obsession et empêche de penser autour d’un socle de principes et de valeurs. Au contraire, c’est l’ère de la posture. Ce sont les mêmes qui célèbrent des putschistes dans la sous-région, mais dénigrent constamment les institutions de notre pays. Ils se disent patriotes, mais ne reculent devant aucun argument de comptoir pour cracher leur morgue antidémocratique et distiller leur fantasme de la dictature et de la guerre. Il faut n’avoir vécu un seul jour sous la dictature ou n’avoir jamais eu le sentiment que chaque souffle de vie est un sursis arraché aux balles et aux bombes pour vanter ces deux horreurs.
C’est parce que j’ai vu l’Irak, la Syrie, la Libye hier, que je vois la Palestine et l’Ukraine aujourd’hui, que je suis conscient qu’en matière de paix, de démocratie et de liberté rien n’est figé et tout est à construire chaque jour ; que je suis triste et inquiet d’observer des responsables publics franchir toutes les limites de la morale et de la décence et saluer des coups d’Etat et des invasions militaires de pays souverains. Demain, dans la même situation, ces gens se rangeront du côté de nos ennemis.