Le débat sur l’emploi des jeunes est à la mode au Sénégal et il aurait été étonnant que l’un des spécia­listes de la question, Sanoussi Diakité, n’y mette son grain de sel. Adossé à une expé­rience de certification des emplois, renforcée par 7 ans à la tête de l’Office national de formation profes­sionnelle (Onfp), M. Diakité pense que le moyen le plus sûr d’éviter de voir retomber rapidement dans le chômage les jeunes qui seront embauchés dans le cadre des projets du Président Macky Sall est de mettre en place un programme de certification des diffé­rents emplois qui leur seront confiés. Et il explique pourquoi et comment.Par Mohamed GUEYE

– Scientifique de renom, Sanoussi Diakité a toujours été passionné par les questions touchant à la création de l’emploi. Son passage à la tête de l’Office national de formation professionnelle (Onfp) lui a permis de mettre en pratique certaine de ses idées, et lui a donné le recul pour porter un jugement sur le projet de création de 65 mille emplois lancé par le Président Macky Sall. Au cours d’un échange téléphonique, il a estimé que «c’est un bon objectif, à la différence que l’on ne devrait normalement pas parler de programme d’emploi, mais de politique d’emploi. L’emploi est généré par une activité productive de biens ou de services». Pour lui, on ne peut, dans un pays où domine l’informel, pérenniser l’emploi qu’à travers la certification. Et cela pourrait se faire assez facilement, selon son entendement.
Et il a rappelé que l’on n’a pas inventé le fil à couper le beurre : «Le Président a mis en place un programme spécial de travaux d’intérêt public. Il a parlé de pavage, de reboisement, de l’hygiène, etc. Ces activités, en une période donnée, étaient l’apanage de l’Agetip. Cette dernière allait jusqu’à faire de l’alphabétisation pour amener les gens à exécuter certains types de travaux. On y est quasiment revenu, sans pour autant citer cette structure. Néanmoins, ce sont ces travaux d’intérêt public qui, après, vont créer des emplois.»
M. Diakité considère que «la faiblesse de l’ensemble des programmes, y compris celui de l’Agetip, a été que tous les emplois créés n’étaient pas corrélés à de la certification. Cette dimension a été perdue de vue. Pourtant, c’est la certification qui pérennise l’emploi».
Et pour mieux transmettre sa pensée, il indique : «On peut prendre des gens et les mettre dans des chantiers à haute intensité de main-d’œuvre, – Himo, comme on dit -. Les gens vont travailler. Cela peut durer deux ou trois années, mais cela ne créé pas des emplois. Aux Usa, le Président Biden a lancé un programme massif de renouvellement des infrastructures qui aura pour effet induit la création des emplois. On devrait faire la même chose. En termes de pavage, de remise en état de la voirie, d’assainissement, ou autre.»
Il y aurait néanmoins une forte différence : «Un chantier comme celui soulevé aux Usa, les gens qui y travaillent sont quand même qualifiés. Et quand ils ne le sont pas, on leur fait des programmes spéciaux de formation qualifiante parce qu’il faut poser les gestes qui permettent de fabriquer un produit ou de rendre un service… Cela a été déjà fait après la Deuxième guerre mondiale. Ils ont amené les gens à faire des formations de courte durée. On les forme sur la tâche qu’ils doivent accomplir. Mais la tâche correspond à une catégorie de la chaîne de production. Donc, elle est reconnue dans le système de travail et rémunérée en tant que telle. Et elle offre une perspective de promotion.»

Formation rapide
Les jeunes gens qui seront recrutés dans le cadre du programme de promotion d’emploi initié par le président de la République auront également besoin de formation, pour maîtriser les tâches qui sont attendues d’eux. Cette formation pourrait aller d’un à trois mois, assure l’ancien Dg de l’Onfp. «Par exemple, ceux qui seront appelés à faire du pavage pourraient être formés à être ouvriers-paveurs, ou même aides-ouvriers paveurs. Cela leur confère un titre et une certification. Avec ce titre d’aide-ouvrier paveur, ils sont reconnus dans la branche collective des Btp, et ils rentrent dans le système de travail de la branche, dans sa rémunération, et sa protection. Mais si on les prend sans qualification et sans certification, ils vont retourner à la case départ juste après la fin du chantier. Ils auront de la rémunération pendant un moment, mais ils n’auront acquis aucune connaissance. Ils vont retomber dans le chômage et sans certification. Ils n’auront aucun titre à faire valoir sur le marché du travail.»
L’avantage de la certification de leur formation est qu’après un chantier, les ouvriers pourraient être pris sur d’autres, parce que reconnus comme ayant la maîtrise de la fonction de travail.
Diakité souligne : «Durant les 7 ans où j’ai été à l’Onfp, nous avons fait cela, et cela a donné beaucoup de satisfaction. Un jeune ferrailleur formé à l’Onfp en 2013 se félicitait de ce que depuis lors, grâce à cette formation, il n’a plus chômé et a toujours trouvé du travail qui lui assure des revenus réguliers. Donc, ce n’est pas la nature du contrat qui compte, mais la régularité du revenu. Au Sénégal, l’auto-emploi représente plus de 75% des emplois. La consolidation de l’auto-emploi va faire que les gens vont avoir du revenu qui les sort de la zone de précarité et de la logique de survie.»

Revenus réguliers
Cette manière de faire est celle qui consolide l’emploi : «Consolider l’emploi veut dire agir sur l’auto-emploi de manière à ce que cela génère suffisamment de revenus pour les bénéficiaires. Et depuis 2012, je dis que l’on devrait agir sur la qualité de l’emploi et non pas le nombre d’emplois. C’est cela qui permet de sortir de la zone de précarité parce que tout revient à la question de revenus. Emploi égale travail générant du revenu. Si le revenu est faible, l’emploi est faible et la personne ne se sent pas en situation d’emploi. Pour donner de la valeur à l’emploi, il faut que le revenu soit élevé.»
La certification des emplois servirait d’indicateur. Il pourrait établir le niveau de revenu, sa régularité et sa durabilité. L’inventeur de la décortiqueuse à fonio indique : «Consolider les emplois, oui, parce que beaucoup de personnes se plaignent de n’avoir pas d’emploi, alors qu’elles travaillent. Elles sont Jakartamen, marchands ambulants ou autres. C’est du travail, mais pas valorisant. Cela ne génère pas de revenus suffisants pour que ces gens se sentent en emploi. La certification permet une promotion le long des voies de qualification. La reconnaissance influe directement sur le niveau de revenu. Quand quelqu’un est reconnu comme ayant maîtrisé une fonction de travail, une activité ou un geste, il peut monnayer son talent, sa capacité, son aptitude. Et cela lui donne plus de revenus. Et même s’il travaille en auto-emploi, il peut indexer ses tarifs à la catégorie qui lui est reconnue.»
La certification pourrait revenir à l’Onfp, pense celui qui l’a dirigé jusqu’il n’y a pas longtemps. «Il a tous les outils, maîtrise la procédure, ainsi que la méthode et l’organisation pour faire cette certification. L’Onfp est le seul organisme de certification qui peut donner un titre de qualification conforme aux titres de branches. Il est là depuis 1986. En France, chaque branche a sa structure de certification. Ici, l’Onfp a été créé avec la garantie de l’Etat, pour être au service des branches professionnelles en matière de qualification professionnelle. Nous avons pu certifier des ouvriers ferrailleurs, des paveurs, des assistants-topographes, des attachés en passation des marchés, des codeurs,… On leur donne des titres de qualification, pas de diplômes. Et ces gens en ont besoin.» Il est possible, pour les jeunes à recruter, d’organiser des dispositifs ad hoc de formation qualifiante qui n’ont même pas besoin de se tenir dans des centres de formation. Même si le travail venait à durer un ou deux an, les personnes formées auront pu pérenniser leurs acquis grâce à la certification. Et les gens pourraient par ailleurs trouver du travail.
Ayant une activité professionnelle certifiée, les gens pourraient alors se focaliser sur le revenu, et non sur la nature du contrat, car la régularité de leurs revenus leur assurerait alors une vie décente, estime Sanoussi Diakité.
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